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chemsexPolitique de santé face au danger du chemsex : un rapport pour rien ?

Par Nicolas Scheffer le 25/03/2022
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Sur le front du chemsex, un rapport commandé par le ministère de la Santé recommande de s'appuyer sur les associations pour enrayer le phénomène. Pas de quoi réinventer la roue… qui tourne de manière alarmante puisque le document estime que 20% des hommes gays et bis sont concernés par le sexe sous produits, dont la consommation mal maîtrisée représente un danger notamment en termes d'addiction.

Alors que les excès du sexe sous drogue font des ravages dans la communauté LGBTQI+, les institutions paraissent tarder à prendre la mesure du phénomène. À tel point que chez les soignants et spécialistes du traitement de l'addiction, d'aucuns comparent la situation aux début de l'épidémie de VIH/sida, au sens où le phénomène s'emballe à bas bruit. Attendu donc de longue date – le sujet ayant commencé d'émerger il y a déjà plus de cinq ans –, un rapport réalisé pour le ministère de la Santé, rendu public le 17 mars, alerte sur son ampleur dans la communauté gay : quelque 20% des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes seraient concernés par le chemsex, sans qu'on sache précisément quelle part est tombée dans une consommation non maîtrisée et potentiellement dangereuse. Malgré ce constat alarmant, les recommandations formulées restent très convenues.

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Définition du chemsex et de ses produits

D'abord, qu'est-ce que le chemsex ? "Dans le chemsex, l’objectif des consommations réside principalement dans le but d’initier, de faciliter, de prolonger, ou d’améliorer les rapports sexuels à travers les effets psychoactifs des molécules consommées", explique le rapport chapeauté par le professeur Amine Benyamina, psychiatre addictologue, que nous n'avons pas pu joindre. Une définition qui a évolué puisqu'une première version dissociait la finalité sexuelle de la prise de drogue, et donnait un spectre très large des produits utilisés dans le chemsex, mêlant 3-MMC (ou métaphédrone) au joint fumé en soirée ou au poppers utilisé occasionnellement.

Lorsque le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait annoncé la commande de ce document, on s'attendait à une étude sociologique poussée permettant d'évaluer le nombre de personnes concernées, voire plus précisément combien d'usagers se trouvent pris dans l'engrenage d'une pratique qu'ils ne maîtrisent pas. Au lieu de quoi le rapport se cantonne à citer les – rares – études déjà existantes : "Les 38 études prises en compte estiment une prévalence de pratique du Chemsex de 3 à 29% chez les HSH [hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, ndrl]", apprend-on, perplexe, avant de lire que le rapport retient pour sa conclusion le chiffre de 20% mais sans le justifier. Soit.

Prohibition anti-drogue ou réduction des risques

Au volet des recommandations, le rapport remarque que les chemsexeurs connaissent et utilisent globalement la PrEP, outil efficace de prévention des contaminations au VIH. "Cet outil de prévention pourrait être une opportunité pour offrir d'autres outils de réduction des risques", indique laconiquement le document, qui appelle à collaborer avec les sites et applications de rencontre pour repérer et quantifier les personnes concernées. Il préconise surtout une démarche d'"aller vers", c'est-à-dire de s'appuyer sur les associations communautaires pour cibler le public concerné. Bref, rien de nouveau sous le soleil.

"Ce rapport ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes ! Ce que nous apprennent les principes de Denver, c'est qu'on ne fait pas un rapport sans inclure au sein du comité de pilotage ou d'écriture les associations d'usagers", tempête Fred Bladou, militant chez Aides, qui s'est retiré du comité de relecture. Associer les associations à l'écriture, et non seulement à la phase finale, permettrait selon lui d'éviter certains écueils : "Par exemple, le rapport n'évoque même pas le crystal meth, régulièrement utilisé, alors qu'il parle de méphédrone qui ne l'est plus depuis des années. Cela éviterait également de dire des conneries, comme le fait que les chemsexeurs pratiquent le bareback sous prétexte qu'ils ne mettent pas de capote. Mais le bareback, c'était la volonté de ne pas utiliser de préservatif quand il n'y avait pas d'alternative ! Or, au sein des chemsexeurs, une grande partie prend la PrEP, ils ne prennent pas de risque de transmission du VIH".

Au rayon des recommandations, le rapport de 74 pages prend la peine de diffuser ce message : "Pour votre santé, n'utilisez pas de drogues pour favoriser vos pratiques sexuelles". Recommandation basique, déjà utilisée pour la prévention du tabagisme ou de l'alcoolisme, sans que le rapport n'aborde toutefois la question cruciale du choix entre simple prohibition et une politique ciblée s'adressant aux usages de drogues. "Il faut savoir, soit on promeut une politique de réduction des risques et on s'intéresse aux besoin des usagers, soit on a une politique prohibitionniste", relève encore Fred Bladou.

"Un nouveau rapport qui ne sert à rien"

Dans l'ensemble, la tiédeur des recommandations interroge. "Un nouveau rapport qui ne sert à rien", souffle Anne Souyris, adjointe (EELV) à la maire de Paris, qui s'occupe de la réponse de la capitale au phénomène. Le communiqué de la Direction générale de la Santé (DGS) accompagnant la publication du document se borne d'ailleurs à constater que "les recommandations formulées permettront d’enrichir les actions portées par le ministère des Solidarités et de la Santé autour du chemsex dans le cadre de la feuille de route santé sexuelle 2021-2024 dont le premier jalon est consacré à l’amélioration du repérage et de la prise en charge des personnes pratiquant le chemsex". Et de rappeler le financement du projet ARPA-chemsex (pour Accompagnement en réseau pluridisciplinaire amélioré), déjà connu.

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"C'est dommage de ne pas sortir du rapport avec une ligne directrice complète, reprend Anne Souyris. On pourrait également expérimenter des choses comme la manière dont on s'adresse aux jeunes. Au lieu de cela, on bloque toute acceptabilité de notre message en mettant des messages jugeants". À Paris, au même moment, deux comités de travail ont été formés : l'un pour définir une manière de s'adresser spécifiquement aux hommes gays et bis, l'autre pour définir comment former les professionnels de santé. Une campagne d'information doit par ailleurs être déployée avant l'été. Jean-Luc Romero-Michel, adjoint en charge des discriminations, résume : "Ce dont les associations ont besoin pour accompagner les personnes, ce n'est pas d'un nouveau rapport, c'est de fric". Et le temps file.

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Crédit photo : Hal Gatewood / Unsplash