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genreMaman, tonton, mamie... Comment s’adresser à sa famille de façon non-genrée ?

Par Aline Laurent-Mayard le 29/03/2022
Maman, tonton, mamie... Comment s’adresser à sa famille de façon non-genrée ?

Dans une famille, tout le monde a un rôle bien précis… et bien genré. Pour les personnes non-binaires, ou celles qui rêvent d’un monde moins sexiste, cela peut poser problème. Mais les familles concernées trouvent des solutions.

“Maman”, “petit-fils”/”fille”, “cousins”... Depuis la naissance de mon enfant, de nouveaux mots ont envahi mon quotidien. La personne non-binaire que je suis est ravie (non). Pour la première fois de ma vie, je me sens “triggered” par des mots genrés, comme si une partie de moi disparaissait, comme si je n’étais désormais plus totalement moi-même mais une personne aux rôles genrés pré-établis.

Call me by my name

Quand j’ai annoncé ne pas vouloir être appelée “maman”, j’ai rencontré quelques résistances au sein de ma famille. “Mais, c’est un si joli mot !”, “et comment ton enfant va t’appeler ?”. Je me suis sentie bien seule. Heureusement, j’ai aussi découvert un monde parallèle dans lequel les gens s’appellent par leurs prénoms ou surnoms. 

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Margaux, 26 ans - elle/iel, a grandi avec l’exemple de sa tante Jocelyne qui refuse qu’on l’appelle “tata” ou “mamie”. “Elle ne veut pas expliquer pourquoi. Ça ne m'étonnerait pas qu’elle se reconnaisse dans la non-binarité,” explique-t-elle. Se faire appeler par son prénom dans le contexte familial n’est cependant pas réservé aux personnes non-binaires. Mon amie Joanna en a fait la demande car elle ne se reconnaît pas dans le mot “tati” qu’elle trouve trop vieillot et impersonnel. 

Cela ne semble pas poser de problème dans la vie quotidienne. Quand il faut présenter Jocelyne, les membres de la famille de Margaux utilisent simplement son prénom ou expliquent son lien avec les autres membres. C’est “la sœur de Laurence”, “la sœur de la mère de Margaux”, etc.

Des mots d’enfant sur mesure

La grande sœur de Margaux a du mal avec cette absence de petits noms familiaux. Impossible pour elle que son enfant appelle Margaux par son prénom. “C’était important pour elle que son enfant ait le lien qui nous relie dans le nom”. Margaux, qui est non-binaire, a donc réfléchi à une alternative à “tata”. Elle a choisi “tati”, “que je trouve plus neutre”.

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Aaricia, 26 ans - elle/iel/il, a ellui aussi fini par accepter qu’il fallait qu’iel se trouve des alternatives non-genrées. “Ca posait des problèmes à ma grande sœur et ma mère parce qu’elles ne savaient pas quels termes utiliser”. Mais iel ne parvient pas à leur en proposer. “Je n’arrivais pas à rechercher des termes, ça me prenait la tête”, explique-t-iel. C’est sa petite sœur qui a fait le boulot pour iel et qui a suggéré à leurs petits neveux de 5 ou 6 ans de l’appeler “tontie”. Une initiative qui l’a ému·e et aidé·e. Depuis, ils utilisent systématiquement ce nouveau mot.

Parfois, ce sont les enfants eux-mêmes qui trouvent des noms non-genrés pour leurs proches. Sacha, deux ans à l’époque, a spontanément appelé ses parents “paman” et “mampa”. “Je pense qu’au début c’était par erreur, par léger bégaiement, explique son parent Lola (elle/iel). Mais on l’a encouragé·e à continuer. Je suis donc paman et mon conjoint [qui est cis] est mampa.”

Tous ces petits noms créés sur mesure fonctionnent bien dans le cadre familial, moins dans un cadre plus formel. Est-ce que les gens vont saisir qui est la “mampa” de Sacha ? A qui les neveux d’Aaricia font référence quand ils parlent de leur “tontie” ? Quels mots peut-on utiliser lorsque l’on souhaite utiliser des mots d’adultes ?

Des familles réticentes

Même dans notre très genrée langue française, certains liens familiaux peuvent être nommés de façon neutre, grâce aux mots “parent”, “enfant” ou encore “adelphe”. Remis au goût du jour par la communauté queer, ce terme issu du grec ancien signifie “enfants nés de mêmes parents”. Une belle alternative à “frères” et “soeurs”. Pour les autres relations, tout reste à inventer. 

Certains mots semblent venir naturellement. Ma sœur appelle mon enfant son “neuvièce”. De nombreuses personnes se définissent comme des “toncles”. Et il y a aussi une quantité de “parraines” et “marrains”. S’ils viennent naturellement, c’est que ces mots sont des contractions du masculin et du féminin. Faciles à imaginer et comprendre, mais pas vraiment neutres, ce qui peut déranger.

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Olam, 36 ans, n’aime pas trop les “mélanges”. D’ailleurs ses pronoms sont “ya” plutôt que “iel”.  “Je trouve “iel” joli mais cela ne me correspond pas”, explique-t-ya. Il y a deux ans, Olam s’est assis·e avec Pierrot, son neveu de 9 ans, pour trouver un remplacement à “tonton”. Iels ont noté plein de mots sur un bout de papier. Olam espérait un terme neutre, malheureusement pour ya, son neveu a opté pour "tonti".  “Ça ne faisait pas partie de mes mots préférés, regrette-t-ya. Mais Pierrot était en joie de sa découverte. En l'entendant le dire, j’ai commencé à apprécier ce mot”. 

En réalité, puisqu’aucun mot ne s’est encore imposé, on pourrait inventer des alternatives neutres. C’est ce que propose le site La Vie en Queer dans son petit dico de français neutre / inclusif. Parmi les suggestions, il y a “ness” pour remplacer “neveux”/”nièce ou “cousan” pour “cousin·e”. Mais la vraie difficulté, comme le prouve l’histoire d’Olam, ce n’est pas de créer des mots mais de les faire accepter. On l’a bien vu avec le pronom “iel”, l’adoption de mots neutres ne se fait pas sans vague.

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La proposition d’utiliser le mot “adelphe” (qui n’est pourtant pas une invention récente) est souvent reçue avec méfiance, voire refus. “Ma mère et ma grande sœur trouvent systématiquement des raisons pour ne pas utiliser de mots neutres, témoigne Aaricia. Ma grande sœur, par exemple, trouve que “adelphe”, ça ressemble à “Adolphe” et que c’est moche”. Pour débloquer la situation, Aaricia a écrit une petite bande dessinée. Sa mère et sa sœur ont mieux compris que l’utilisation systématique de termes féminins blessait Aaricia. “Elles sont plus apaisées et ont commencé à alterner entre le masculin et le féminin. Mais ma grande-sœur ne dit toujours pas adelphe.”

Oui au neutre, pas à l'outing

Aux Etats-Unis, où les mots “niblings” (les enfants d’un adelphe) et “piblings” (les adelphes d’un parent) commencent à être utilisés et connus, une question se pose : quand doit-on utiliser des termes neutres ? 

Dans un article du média en ligne Them, lae journaliste Wren Sanders explique avoir été déconcerté·e quand sa tante l’a présenté·e comme saon “nibling”, un terme qu’iel n’avait pas revendiqué. Wren Sanders explique préférer le terme “nièce”. “Cela ne me rend pas moins non-binaire que celleux qui utilisent des termes neutres” explique-t-iel. On ne le répètera jamais assez, toutes les personnes non-binaires ne se genrent pas au neutre. Et une même personne peut vouloir le neutre pour un mot et pas pour un autre. J’en suis un exemple. Cela ne me dérange pas d’être une “nièce”, mais j’ai horreur qu’on m’appelle “maman”.

L’utilisation automatique du neutre pour les personnes non-binaires pose aussi le problème du “outing”. Si seules les personnes non-binaires sont désignées par les termes “adelphes” ou “neuvièces” alors les utiliser reviendrait à dévoiler l’identité de genre des concerné·es. Dans le futur, quand les mots non-genrés seront plus connus, Aaricia les utilisera le plus possible, “mais j’aurais toujours une retenue, explique-t-elle, parce qu’on ne sait jamais qui est en face”. 

Une solution serait d’utiliser ces termes neutres pour tout le monde de sorte qu’ils ne soient plus vus comme des termes réservés aux personnes non-binaires. Mais Aaricia pointe la limite de ce raisonnement : “il y a des gens qui ont besoin de se rattacher à un genre”. Pour elle, l’idéal serait “d’utiliser des termes non-genrés quand on connait pas le genre et la préférence de la personne et d’utiliser le mot choisi par la personne une fois qu’on le connaît"

Olam partage ce point de vue. “Je ne veux pas annuler ou effacer des mots mais laisser la place à d’autres, explique-t-ya. J’aimerais simplement que les gens se questionnent sur les mots qu’ils utilisent et qu’ils réalisent que ces mots ne disent rien de l’amour que deux personnes se portent.”