coming out"C'était un cataclysme" : le coming out de mon fils a changé ma vie

Par Léa Fournier le 17/05/2020
Coming out

En 2010, quand Nathalie apprend que son fils est homosexuel, c’est une « catastrophe » pour son foyer. Elle pleure, punit Pierre, rompt les liens forts qui les unissent alors. Aujourd’hui, elle raconte à Têtu son cheminement, du déni, à la colère et la honte, puis à l’acceptation de l’homosexualité de son fils.

Mon fils Pierre fait son coming out en 2010. Nous avons emménagé à Nancy, tous les deux, trois ans auparavant.  À notre arrivée, je n’ai plus rien. Je suis seule, maman divorcée, sans travail. À l’époque, j’ai un cancer du sein et je fais des chimiothérapies. Mon fils croit que je vais mourir. Il se réfugie dans l’église à côté de son école, pour pleurer. Ni Pierre ni moi n’avons été éduqués dans la religion. Mais il trouve quelqu’un à son écoute à l’église. Le soir, il y est souvent, alors j’y vais aussi, d’abord par curiosité.

Lorsque j’y mets les pieds, je ressens une chaleur. Je choisis alors pendant plusieurs années de ne plus quitter l’Église. Je deviens notamment amie avec le père Paul*, un prêtre de la communauté de l’Emmanuel.

« Je l’ai écouté mais je ne l’ai pas entendu »

On est en 2010, Pierre a 15 ans quand il choisit d’aborder son homosexualité avec ce prêtre. Peut-être par peur de me le dire à moi. Pierre lui précise : « Je veux bien que tu en parles à maman ». Le père Paul* me le dit donc directement : « Ton Pierre est attiré par les garçons, il ne sait pas comment te le dire. » Plus tard, je me suis rendue compte que je ne l’avais pas entendu. Je l’ai écouté mais je ne l’ai pas entendu. Il n’y a qu’aujourd’hui, avec le recul, que je peux me dire ça.

À cette annonce, je ne réponds donc pas, c’est trop pour moi, je ferme les yeux. Le soir, Pierre et moi avons une petite conversation sur le canapé. Cela dure à peine dix minutes. C’est une sorte d’état des lieux, pour lui dire que je suis au courant.

"Qui va me faire des petits-enfants?"

Six mois plus tard, je viens de trouver un boulot et nous avons changé de maison. Un matin, je vide simplement la poubelle de sa chambre, j’ai toujours mes oeillères. Je trouve un préservatif, alors qu’il a dormi avec un garçon la nuit précédente.  C’est un cataclysme, un choc, une catastrophe. D’un seul coup, je me sens démunie. Je ne sais pas quoi faire. Je pleure. Je viens seulement de saisir la conversation que nous avons eu six mois auparavant. Je me dis : « Qui va me faire des petits-enfants ? »

J’avais bien ficelé mes bagages, pour continuer à vivre avec la maladie, sans le père de Pierre, que j’aimais toujours, avec mon tout nouveau travail. J’avais préparé ma petite vie. Et d’un seul coup, un nouvel élément arrive, qui n’était pas prévu. Je me réfugie chez des amis pour en parler. J’y passe l’après-midi et la soirée. C’est un couple uni, avec quatre enfants, très ouvert et hyper catholique. Je comptais sur eux pour me dire quoi faire. Ils n’avaient pas de réponse à m’apporter. Je me suis sentie très seule.

"Aujourd’hui, je sais que je n’aurais pas réagi pareil s’il avait couché avec une fille."

Des années sans contact

Le prêtre me dit de voir les choses différemment, comme si Pierre n’était pas homosexuel, comme si j’avais juste surpris un acte sexuel avec une fille. Alors je le punis en disant que c’est trop tôt pour avoir des rapports sexuels. Comme je ne sais pas comment réagir, je bloque tout, je le mets sous cloche. Il est privé de sorties, de téléphone, d’internet. Je lui interdis d’inviter des amis et d’aller à la danse. Je me fâche. On a une discussion très dure. En même temps, j’ai honte de cette colère. C’est une catastrophe dans notre foyer, nos relations se dégradent énormément. Le contact est coupé, on mange juste ensemble et on ne parle que quand on est obligés. Ça dure quelques années. C’est long. Pour moi, mais surtout pour lui.

Je l’envoie chez la psychologue. Alors que c’est moi qui aurais dû la voir. Je m’attends à ce qu’il puisse se confier à elle, car moi je suis hors-service. Il a seize ans et demi et moi, j’ai toujours mes oeillères. La psy me convoque au bout de trois séances. Elle m’explique qu’il n’a pas de problème. Je me dis : « Si elle elle ne peut pas m’aider non plus, je suis encore plus démunie. »

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« J’ai honte du regard que les autres peuvent avoir sur lui. »

Honte du regard des autres

À l’école, il subit du harcèlement depuis longtemps. J’ai toujours essayé de le surprotéger. Mais je ne sais pas comment faire. Il est raillé, rejeté, battu. Parce que les autres le trouvent efféminé. L’école est impuissante, je le change d’établissement quatre fois.

J’ai honte du regard que les autres peuvent avoir sur lui. On est toujours dans la sphère de l’Église, on ne vit que comme ça, on va en week-end communautaire. Je me rends compte que les gens autour de nous le jugent et le rejettent. Par exemple, certains lui proposent de faire du baby-sitting, mais ne le rappellent pas. Je m’en fais tout un monde : « Ils ne veulent pas que leurs enfants fréquentent Pierre. »

Culpabilité

Pendant trois ans, je réfléchis, je chemine. Je prends conscience de sa souffrance au fur et à mesure. Je me dis que pour un adolescent, se poser autant de questions sans avoir personne à qui en parler, ça doit être dur. Je commence à culpabiliser.

Arrive 2013, l’année des débats autour du « Mariage pour tous ». J’ai un déclic. Je vois Pierre, dans la basilique, préparer les enfants de chœur pour la messe, alors que la paroisse remplit des bus, direction la «Manif pour tous» à Paris. C’est ce qui déclenche ma colère. Je ne monte pas dans le bus. Je me rebelle. Les gens de ma communauté m’ont toujours dit qu’il ne fallait pas juger les autres. Et là, je vois des dizaines de catholiques qui le jugent, lui. Ils manifestent contre mon fils. On me demande : « Pourquoi tu viens pas avec nous ? » Je réponds que je reste sur le banc de l’église, avec les homosexuels, pour prier avec eux. Que s’ils veulent venir s’y réfugier, ils ne la trouveront pas vide.

https://tetu.com/2019/09/06/aujourdhui-encore-je-me-sens-sale-mes-parents-mont-emmene-a-la-manif-pour-tous/

Manif pour tous

Je regrette qu’on ne remplisse pas de bus pour aller les soutenir. Je leur dis : « Vous vous rendez compte ? Le gamin qui voit ça à la télé, c’est horrible. » Je me mets dans le regard de mon fils. Voir nos amis, qui nous ont tant aidé et qui respectent pourtant Pierre, lutter contre les droits des homosexuels, ça doit être dur pour lui. Je comprends sa douleur.

« Je cherche à recoudre le cordon ombilical. »

La même année, Pierre déménage. Il prend un appartement seul et va à la fac. C’est la perte de mon fils. Il suit sa route et moi la mienne. Je me dis qu’il faut que je l’accompagne. Je cherche à recoudre le cordon ombilical. Je lui dis que s’il a quelqu’un, il faut qu’il m’en parle, qu’il me le présente. Je lui répète souvent. Mais il ne m’amène personne.

Quand il déménage à Paris quelques années plus tard pour ses études, on retrouve vraiment nos liens, qui m’avaient tellement manqué. On se voit le week-end, chez lui, pour des moments artistiques, des petits restos, des apéros. Il a un studio avec une seule pièce alors on dort ensemble, on regarde des films. Il n’y a plus beaucoup de tabou.

"Je veux qu'il soit heureux"

Aujourd’hui, Pierre a 25 ans. Il ne m’a jamais amené personne. Mais on est très proches. Il m’a appelée tous les trois jours pendant le confinement. On parle de ce qu’il lit, de ce qu’il fait, de ce qu’il mange. Quand je vais le voir, il n’hésite pas à me dire : « Ce garçon, c’est mon ex-petit-ami ». Il ne me présentera personne tant qu’il n’aura pas trouvé le bon, je crois. Et ça, c’est s’il décide de trouver le bon ; c’est comme il veut !

Je pense qu’il a été marqué par ces années où ça s’est mal passé. Je l’ai perturbé avec ma manière de faire, plus qu’indélicate. J’aurais voulu réagir autrement, je m’en veux. On n’a pas les armes en tant que parent, on n’est pas préparé.

Aujourd’hui, ma seule préoccupation, c’est que je le voudrais heureux, c’est ça qui m’inquiète. J'ai peur qu'il soit malheureux. Parce que la société n’est pas prête. Déjà quand on est dans la norme, le monde est une vraie jungle, alors quand on est homosexuel...

 

* Le prénom a été modifié.

 

 

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