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transidentitésTransidentités : comment les médecins tentent de se former

Par Elodie Hervé le 14/04/2022
Transidentité, soins et Assurance maladie

Face à l’absence de prise en compte des transidentités dans les programmes des études de médecine, les soignant·es s’organisent pour accéder aux formations et aux informations afin d'inclure les personnes trans dans des parcours de santé dignes de ce nom. 

Cela fait plusieurs semaines qu’il cherche un médecin pour le suivre. Alix, 22 ans, écume les réseaux d’entraide et les listes de généralistes safe pour une prescription de testostérone dans le sud de la France. “À chaque fois que je pense avoir trouvé, on me dit qu’il ou elle ne prend plus de patients. C’est un peu désespérant…” Entre la pénurie médicale et le manque de formation des médecins sur les transidentités, beaucoup de personnes trans se retrouvent éloignées du soin, ce qui retarde les prises en charge.

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Pour évaluer l’étendue de ce manque, l'association OUTrans s'est penchée sur les généralistes et endocrinologues à Paris. Sur 10.000 généralistes qui exercent dans la capitale, seulement 10 acceptent de faire une primo-prescription d’hormones, et seulement cinq endocrinologues sur soixante testé·es acceptent de suivre des personnes en transition. Une situation d’autant plus dramatique qu'on sait que l’accès aux hormones réduit le risque de dépression et de suicide, davantage prévalent chez les personnes trans. 

La santé trans, une charge mentale sur les associations

Marie [le prénom a été modifié], généraliste de 43 ans, explique avoir des difficultés à suivre les parcours de personnes trans. Principalement par méconnaissance : “Le mois dernier, des parents m’ont contactée pour me dire que leur ado était trans. Je n’ai pas su quoi faire. J’ai juste reçu l’ado et ses parents séparément, mais c’est tout. Je ne savais pas vers qui les orienter ni ce que je pouvais mettre en place. Donc par volonté de ne pas nuire, je n’ai fait que les écouter.” Cette petite phrase, “d’abord ne pas nuire”, est une maxime médicale du serment d’Hippocrate, que les médecins prononcent avant de commencer à exercer. 

“Aujourd'hui, la charge mentale pour mieux prendre en charge les personnes trans repose presque exclusivement sur les associations, signale Anaïs, co-présidente d’OUTrans. Il y a un manque complet de formation sur les transidentités côté médecins. Et ce manque de formation, nous le payons lors de nos rendez-vous.”

"On ne voit la personne qu’à travers son corps et surtout à travers ses pathologies. C’est très mécanique."

À défaut de recevoir une formation sur le sujet au cours de leurs longues études, de plus en plus de jeunes médecins se tournent vers les associations de personnes concernées et les congrès médicaux pour tenter de trouver des réponses à leurs interrogations. Début mars, le syndicat d’internes Insar-IMG organisait ainsi à Tours (Centre-Val de Loire) un atelier de sensibilisation aux “identités de genre” à destination des futur·es médecins, pouvait-on lire dans le programme. 

“C’est une demande de nos adhérent·es, souligne Elodie Atlan, du syndicat Isnar-IMG. Pendant nos études de médecine, nous n’étudions pas la relation patient·e-médecin. On ne voit la personne qu’à travers son corps et surtout à travers ses pathologies. C’est très mécanique. De fait, il y a un gap énorme quand on se retrouve face à certain·es patient·es.” Cette année, plus de 250 internes s'étaient inscrit·es pour assister à l’atelier dispensé par OUTrans. “Beaucoup de médecins et futur·es médecins ont une volonté de bien faire mais pas les outils pour le mettre en œuvre, d’où la nécessité de mettre en place des formations, reprend Elodie Atlan. L’an passé, l’atelier sur les transidentités était plein et beaucoup de personnes n’avaient pas pu entrer dans la salle. Cette année, on a prévu large avec le plus grand amphi disponible au palais des Congrès de Tours.” 

"Je suis un peu paumée"

Dans la salle, l’ambiance est studieuse. “Certaines personnes ici n’ont jamais rencontré une personne trans dans leur vie, commence Anaïs. Eh bien voilà, vous en avez une en face de vous ! Ne vous inquiétez pas ce n’est pas contagieux.” La glace est brisée, des rires un peu gênés se font entendre. Anaïs poursuit en détaillant les différences entre genre, sexe et attirances. Une mise à niveau nécessaire, estime Maxime, jeune interne de 23 ans. “Sincèrement c’est un sujet qui m’intéresse mais nous n’avons aucune formation en médecine générale sur les transidentités. C’est très spécifique comme prise en charge et personnellement, je ne connaissais même pas la différence entre genre et sexe.”

Comme lui, beaucoup de médecins dénoncent le manque de formation mais aussi l'hégémonie que tente d’imposer l’ex-SoFect, aujourd’hui renommée Trans-Santé (ou FPATH), sur la manière de prendre en charge les personnes trans. Les méthodes de cet organisme sont aussi très contestées par les associations de personnes concernées. En décembre 2020, plusieurs d’entre elles, dont Acceptess-T, OUTrans ou encore Aides, avaient publié une lettre ouverte à ce sujet“J’ai l’impression que l’on nous demande d’orienter les personnes trans vers Trans-Santé et qu’en même temps, ce n’est pas safe pour elles, remarque Corinne [prénom modifié], généraliste de 37 ans. Je suis un peu paumée, et j’ai du mal à savoir que faire face à un·e patient·e trans.”

Un manque de formation qui n’est pas sans conséquences

Julie Gilles de la Londe, médecin généraliste spécialisée dans les parcours de transidentités, explique que des formations et des solutions alternatives à Trans-Santé commencent à se mettre en place. “Cela évolue, lentement mais sûrement. Par exemple, on a réussi à créer un réseau de médecins qui échangent sur la prise en charge des personnes trans, hors Trans-Santé. Cela permet aux personnes qui veulent se former ou juste avoir une réponse à une question de trouver une réponse adaptée, rapide et sans aucun jugement. Peu à peu, on y arrive mais il y a énormément de retard.”

D’autant plus que certains manuels à destination des futur·es médecins continuent d’aborder les transidentités uniquement sous le prisme des IST ou de la maladie psy. Le terme “transexualisme” y est d’ailleurs encore employé. “Il faut arrêter de penser que l’on a un problème, déplore Anaïs. On est là et ce manque de formation a des conséquences désastreuses sur nos vies.” Pour elle, l’évolution viendra bien des futur·es soignant·es. “Les prochaines générations de médecins sont plus militantes, moins masculines aussi. On le sait, on le voit, les féminismes poussent vers une évolution des mœurs. D’ici quelques années, on nous prendra mieux en charge, j’en suis sûre !” Alors, en attendant que les livres de ces futur·es médecins incluent les personnes trans, elle tente de limiter au maximum les dégâts. 

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