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santéÀ l'hôpital faute de formation, médecins et patients souffrent de la transphobie médicale

Par Élie Hervé le 07/06/2021
trans hôpital

"Transexualisme", "trouble de l'identité"… En France, les médecins et les soignant-es ne sont pas formés ou mal formés aux transidentités. Ce qui peut conduire à des discriminations de personnels transgenres et des mauvais traitements subis par des patient-es.

Dans son hôpital, un mineur n’allait pas bien, raconte Eliot, 26 ans, psychologue. Les idées suicidaires l’envahissaient et le jeune soignant suppliait les médecins de lui prescrire des hormones pour commencer une transition. “Sauf que pour les médecins, cela n’avait aucun lien. S’il n’allait pas bien, c’était parce qu’il avait un problème avec la frustration. Dans leur logique, c’était de sa faute s’il avait des idées suicidaires parce qu’il refusait un obstacle, alors que lui voulait juste entamer un processus de transition.” Eliot ne compte plus les mauvais traitements de ce type. Au cours de son cursus en fac de psychologie, déjà, il se souvient des remarques déplacées, des propos transphobes et d’avoir dû attendre lui-même la fin de son cursus pour faire son coming out trans. “C’est simple, pense-t-il, si je l’avais fait avant, je n’aurais peut-être pas été diplômé.”

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Des violences systémiques

Comme lui, beaucoup de soignant-es et médecins trans contacté-es par TÊTU soulignent la difficulté d’exister dans des parcours étudiants où les transidentités ne sont abordées que sous le prisme de la maladie psy ou du VIH. Par exemple, dans un ouvrage à destination des étudiants en médecine, le “transexualisme” apparaît dans le chapitre “sexualité normale et ses troubles”. Ce manuel, toujours distribué au futur-es urologues, souligne que la prise en charge psychiatrique doit être “longue et répétée et doit inclure l'entourage. Elle doit établir un diagnostic précis du trouble de l'identité. Elle recherche une contre-indication à la transformation hormonochirurgicale : psychopathie (délire, fétichisme…), visée utilitaire (prostitution).Un encadré dans un autre manuel de cours à destination des futurs psychiatres parle des “dysphories de genre” et fait la différence entre “transexualisme”, transgenre et “transvestisme”.

"L’accès à la transition est une question d'autonomie mais c’est aussi une intervention de prévention en santé mentale."

Cette façon de ne pas former les futurs médecins aux transidentités peut conduire à des violences, explique Morgan, un interne trans qui milite à Espace Santé Trans. “Aujourd’hui, on constate qu’il existe une mortalité plus importante sur les personnes trans que la population générale. La première cause de mortalité, c’est le suicide. C’est en lien avec les discriminations et les violences mais aussi avec l’accès aux hormones. L’accès à la transition est une question d'autonomie mais c’est aussi une intervention de prévention en santé mentale, essentielle, à laquelle les gens doivent pouvoir avoir accès rapidement et dans des conditions favorables.

Lui dénonce le manque de formation des médecins de villes mais aussi l'hégémonie qu’a essayé d'installer, en 2010, l’ex-SoFect (devenue Trans-Santé). Cette association, qui se définissait comme une société savante, réunissait des soignant-es et des médecins pour prendre en charge les parcours de transition au sein de l'hôpital public. Peu formés ou alors via le diplôme universitaire sur “le transexualisme” mis en place par… la SoFect, une partie des médecins se retrouvaient à mégenrer ou à refuser des prises en charge de personnes trans. Après plus de dix ans de mauvais traitements, les associations de personnes concernées estiment que moins de 20% des personnes trans font désormais appel à cet organisme. 

Refus de soins 

Yaëlle, 45 ans, a tenté de passer par l’antenne de la SoFect de Marseille. “A cette époque, j’avais 40 ans. Je suis allée voir un psychiatre au sein de l’hôpital de la Conception. Tout ce que je racontais était mis en doute. Je me suis sentie très mal à l’aise et elle m’évaluait. Elle me regardait aussi comme si j’avais 15 ans et semblait douter de qui j’étais.” Face à ces réflexions, elle s’est tournée vers le privé pour son parcours de transition.

"Les psychiatres, les endocrinologues, tous les médecins sont violents. Ils veulent juste nous faire rentrer dans des cases."

Sacha, 24 ans, a lui aussi vu son identité mise en cause par une autre équipe de la SoFect. “Lors d’un rendez-vous avec une psychiatre, la personne face à moi m’a mégenré, me prenait de haut et voulait absolument que j’arrête la testostérone.” Et ça ne s'arrête pas là : “La psychiatre a fait pression sur mon endocrinologue pour qu’il arrête de me prendre en charge et lors d’une hospitalisation pour tout autre chose, elle a demandé à ce que l’équipe ne me fasse plus d’injection de testo. Résultat, je devais demander des permissions pour ne pas arrêter brusquement l'hormone." Aujourd’hui, Sacha a changé d’équipe médicale pour éviter toute nouvelle discrimination. Il cherche désormais un-e nouveau-elle endocrinologue pour poursuivre son parcours. “Après cinq ans d’hormones, sérieusement c’est dur.”

Entre le manque de respect et la transphobie, je n’ai pas compris ce que je faisais là, abonde Léa*, qui réside à Bordeaux. Je me genre au féminin depuis deux ans mais pour eux, ce n’était pas possible. La SoFect n’a pas pour objectif de nous aider dans nos transitions mais de mettre en place leur protocole binaire et hétéronormé. Les psychiatres, les endocrinologues, tous les médecins sont violents. Ils veulent juste nous faire rentrer dans des cases.” 

De la SoFect à Trans-Santé

Face à ces témoignages qui s'accumulent depuis dix ans, la SoFect a décidé en avril 2019 de changer de nom. Sans tambour ni trompette, en octobre 2020, l’organisme disparaît pour laisser place à Trans-Santé. La différence ? Pour la première fois, des associations et des personnes trans entrent dans les instances dirigeantes. Trois associations ont accepté d’y siéger : Transat, située à Marseille, le PASTT (Paris) et L’Hêtre (Mulhouse).

A contrario, Acceptess-T ou Espace Santé Trans dénoncent une “mascarade” et co-signent en décembre dernier une lettre ouverte avec Aides et OUTrans pour rappeler qu’un “changement de nom ne change pas celles et ceux qui le portent.”  Le texte est cinglant : “Les membres de la SoFECT ont, pendant des années, imposé des protocoles inhumains aux personnes trans, sélectionnées sur des critères sexistes, homophobes, grossophobes, putophobes, sérophobes, classistes et âgistes. Ils et elles ont été dénoncé·e·s à maintes reprises par les associations trans françaises et internationales, mais sont accueilli·e·s à bras ouverts à la nouvelle SoFECT-Trans Santé (FPATH)”.

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Contactée par TÊTU, Béatrice Denaes, vice-présidente de cette nouvelle structure Trans-Santé, dit comprendre les réserves sur l’ex-SoFect. “En revanche, Trans-Santé n’a rien à voir avec l’ex-SoFect, si ce n’est que ce sont les mêmes médecins. On veut se battre pour tuer le mythe. Et moi, je ne suis pas là pour faire joli. Je vais me battre comme journaliste et femme trans pour décoller ce sparadrap que l’on nous colle, et qui tient mieux que le sparadrap du capitaine Haddock”, martèle-t-elle, avant de rappeler qu’à ce jour, aucune formation n’a été diligentée auprès des médecins et soignant pour mieux prendre en charge les personnes trans.

Des initiatives locales

Dans les centres, certaines équipes de l’ex-SoFect expliquent pourtant bien qu’il ne s’agit que d’un changement de nom et de structure, mais que le changement s’arrête là. Même analyse pour la chercheuse Karine Solène Espineira, membre associée au laboratoire d’études de genre et de sexualité à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis : “Pour faire changer en profondeur un organisme, ouvrir un peu les portes n’a jamais fonctionné. Cette ouverture superficielle est surtout là pour tenter de redonner une légitimité à la SoFect, qu'il faut désormais appeler Trans-Santé. Mais rien n'évoluera sans une refonte en profondeur du système de soins français.” 

Face à cette situation, des initiatives locales se mettent en place. Un diplôme universitaire à Paris Diderot propose de former toutes les personnes qui le souhaitent et décortique les pratiques médicales sous le prisme des genres. À Lille, Cyane Dassonneville vient de fonder le premier comité d’usagers sur les parcours de santé trans. “Nous existons depuis un an et l’idée est de former les médecins pour qu’ils nous prennent mieux en charge, afin que la transphobie et les violences involontaires, par méconnaissance, cessent. Il existe une carence énorme dans la manière dont les médecins et les soignant-es sont formés et nous, on en paye les conséquences tous les jours dans nos parcours de soins.

En attendant que les parcours de transitions s’adaptent à tous-tes, Eliot n’arrivait pas à s’imaginer travailler dans une ambiance si pesante. Il a quitté l’hôpital public après ses stages pour devenir psychologue au sein du centre LGBTQI de Normandie. “Je ne me voyais pas faire autre-chose, explique-t-il. Les discriminations vécues pendant mes études m’ont convaincues de me bouger pour lutter contre la transphobie médicale.”

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Crédit photo : Sinitta LeunenUnsplash