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culture"Télévision queer" : histoire de la visibilité LBGTQ+ dans la culture TV

Par Anne-Laure Mignon le 22/06/2022
"Queer as Folk" : le casting du reboot réuni dans une première photo

La communauté LGBTQI+ n’a jamais été aussi visible à la télévision. Un rattrapage soudain après des années de disette. Retour sur 40 ans d'histoire télévisuelle avec Joëlle Rouleau, qui a dirigé un livre sur le sujet.

Commençons par le commencement. En France, on date l’arrivée des premiers postes de télévision dans les villes, approximativement, aux années 60/70. Au sein des foyers, plutôt autour des années 70/80. À l’écran sont alors diffusés les premiers journaux, les premiers films, les premières émissions, les premières publicités, etc. Avec une abonnée absente de ces programmes : la communauté LGBTQI+. Et pour cause, à l’époque, les droits des LGBTQI+ sont quasi inexistants, et l'homosexuel persona non grata.

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La télé d’époque s'inscrit évidemment dans ces mœurs sociales. "Elle trône alors au milieu du salon et réunit toute la famille aux heures de grande écoute", retrace Joëlle Rouleau, professeure au département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, co-autrice du livre Télévision Queer (aux éditions du remue-ménage). "Les publicitaires et les chaînes de télé n'avaient aucun intérêt, à ce moment-là, à inclure les LGBTQI+ dans leurs programmes, si ce n’est le risque de se mettre une certaine audience à dos. La télé était alors réservée au 'grand public', point", poursuit-elle. Arnaud Alessandrin, sociologue du genre, confirme : "Dans les années 70/80 aux États-Unis, l’homosexualité pouvait être abordée très timidement dans certains talks-show, de façon assez critique la plupart du temps, mais en France, tabou total". Sans compter la mauvaise publicité générée par l’épidémie de sida, qui viendra encore noircir ce tableau. 

L'ère des séries américaines

Il faudra attendre les années 80/90, quand les droits des homosexuels commencent à progresser et que la société intègre peu à peu ces évolutions, pour apercevoir les premières figures gays à l’écran en France. Elles proviennent d'abord majoritairement de programmes américains. Ainsi dans la série Dynastie (1981), un des personnages, Steve, fait son coming out. En 1996, l’animatrice américaine Ellen DeGeneres affirme son homosexualité en plein direct. La même année, elle fera la une du Time, titrée "Yep, I’m gay". "Un tournant", selon Joëlle Rouleau.

En France, la Gay Pride de 1981 accueille des milliers de participants et se voit relayer par les médias. "C’est un autre moment de bascule, souligne Arnaud Alessandrin. L’image de contamination et de mort qui pesait alors sur les homosexuels glisse du côté des images de vie et de fierté." À l’écran, les homosexuels occupent une nouvelle place. En 2000, pour la première fois, une série, Queer As Folk, raconte le quotidien de cinq homos (hommes et femmes) et de leur entourage. En 2004, The L Word met en scène un groupe de lesbiennes, de bisexuelles et de personnes transgenres. La machine est lancée.

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Stéréotypes et représentation

Poussée par l'avènement d’internet, avec la vidéo sur demande, les formats en ligne puis les premières plateformes de streaming, "la télé sort petit à petit du salon et se consomme de façon plus indépendante", reprend Joëlle Rouleau. Les programmes, eux, continuent de s’adapter aux évolutions sociétales comme le mariage pour tous, qui se démocratise en Occident dans le courant des années 2010. Les LGBTQI+ intègrent petit à petit les séries américaines grand public : les Desperate Housewives (2004), Grey’s Anatomy (2005), Orange is the new Black (2013) ou encore Sense8 (2018). "Un pas de plus en faveur de la visibilité des personnes queers", appuie Joëlle Rouleau. Voire un pas de trop ? Dans son ouvrage, la chercheuse dénonce ce rattrapage soudain, cette sur-représentativité à la sauce 2020 où, si chaque série remplit son quota LGBTQI+, beaucoup desservent finalement la cause à coups de stéréotypes. Le gay efféminé et comique, la lesbienne garçon manqué… Ou bien, au contraire, les personnages vont s’"homonormaliser", créant une normalisation caricaturale et limitée. 

Des clichés qui s’évaporent de nos jours. Dans Heartstopper, par exemple, qui retrace une histoire d’amour entre deux adolescents et prône la bienveillance. "C’est la série avec laquelle toutes les sensibilités queers auraient voulu grandir", salue la professeure. L'aube, avec également des séries comme Euphoria ou Sex Education, d’une nouvelle ère à la fois plus inclusive, plus réaliste et plus respectueuse, bref : plus inspirante.

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Crédit photo : Queer as Folk, Showtime