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histoire"Les conditions de sa mort ont fait de Pasolini une icône gay"

Par Pierre Cochez le 06/07/2022
Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

Cette année 2022 marque le centenaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini. En novembre 1975, le cinéaste et poète italien est mort assassiné sur la plage d’Ostie à l’âge de 53 ans.

L’écrivain René de Ceccatty est le principal traducteur français de Pier Paolo Pasolini. Sa biographie du cinéaste est publiée chez Folio cette année. Il aussi réuni articles et conférences sur le cinéaste italien aux éditions du Rocher, et contribué, au Seuil, à la publication d’un livre d’entretiens du réalisateur avec Jon Jalliday. Il explique à têtu· quels étaient les combats de Pasolini et comment l’artiste vivait son homosexualité.

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L’homosexualité est-elle centrale dans l’œuvre de Pasolini ?

René de Ceccatty : Pasolini ne revendiquait pas son homosexualité. Il ne s’est pas servi de son homosexualité pour être célèbre, elle n’était pas au premier plan dans sa vie, simplement, elle était notoire. C’est à son corps défendant que Pasolini est devenu une icône homosexuelle. 

Son assassinat à Ostie en 1975 a eu un retentissement immense. Les conditions de sa mort ont fait de lui une sorte de martyr éternel. Comme le Caravage. C’est un paradoxe car cette icône gay avait peu d’affinités avec la lutte des homosexuels pour leurs droits. Cela le différencie, par exemple, d’un Michel Foucault qui revendiquait l’acquisition de droits égaux pour les homosexuels. 

Aujourd’hui, en regardant notre monde, Pasolini ne se réjouirait certainement pas de la normalisation des rapports dans la société homosexuelle. Il n’y verrait sans doute qu’un mimétisme avec les comportements hétérosexuels et n’apprécierait pas cet "embourgeoisement". 

Comment Pasolini a-t-il vécu son homosexualité ?

Il est certain que Pasolini n’était pas heureux d’être homosexuel. Il l’a écrit. En 1949, après avoir été accusé de détournement de mineurs, il doit abandonner son emploi de professeur et décide de quitter son Frioul natal qu’il adorait. Il est également exclu du parti communiste pour "indignité morale". Il s’installe à Rome avec sa mère, avec laquelle il vivra jusqu’à sa mort. Son père les rejoindra et sera durant quelques années son secrétaire.

Cet exil romain va devenir une chance pour Pasolini. D’abord, il découvre, comme enseignant, le milieu des banlieues. Aujourd’hui, il serait vu comme une sorte de petit bourgeois parti à la découverte du 93. Ensuite, à Rome, il découvre un milieu artistique débarrassé du fascisme étouffant, et qui va connaître deux décennies d’une richesse intellectuelle exceptionnelle. Il y est intégré facilement, car son premier recueil de poème, écrit en Frioulan, a été remarqué. 

En 1962, il rencontre Ninetto Davoli, un jeune garçon de 14 ans, qui devient son compagnon et son acteur fétiche jusqu’à la mort de Pasolini. Ils n’avaient pas ensemble ce que l’on appelle "une vie de couple". Il ne découchera pas une seule nuit de l’appartement qu’il partage avec sa mère. 

Il faut ajouter qu’il provoquait des relations vénales avec des jeunes hommes, ce qu’Elsa Morante, par exemple, lui reprochait en estimant qu’il était ainsi en contradiction avec lui-même. Cette tendance le conduira vers la mort à Ostie, même si les circonstances de son assassinat restent obscures.

La sexualité paraît centrale dans son œuvre filmée, de Théorème à son dernier film Salo ou les cent vingt journées de Sodome. Est-ce le cas ?

Théorème est un film majeur. C’est une œuvre poétique qui livre une vision sacrée de la sexualité. À ce moment-là, Pasolini était convaincu que le rapport sexuel pouvait être une sacralisation de l’autre et de soi-même, s’il est vécu dans l’authenticité.  

Il va ensuite évoluer vers un dégoût de la sexualité, lié à une sorte de masochisme. Il y a chez Pasolini cette tendance à l’humiliation volontaire qui l’a conduit à la mort. Salo – œuvre posthume – est un film profondément déprimé, celui d’un artiste dont la force de provocation a été brisée. 

L’immense succès de ses précédents films, le Décaméron et Les Mille et une nuits, lui a déplu. Il a trouvé ce succès vulgaire. Les spectateurs ont dénaturé le message qu’il voulait y faire passer. Ils n’y ont vu que des joies populaires sur la sexualité. En fait, Pasolini a été déçu par lui-même.

Que voulait transmettre Pasolini ?

Pasolini ne voulait pas réaliser une œuvre provocante. Simplement, il y avait en lui de nombreuses révoltes. Ses choix sexuels, il les gérait, et il avait trouvé un équilibre avec Ninetto Davoli. Par sa création artistique, il voulait prendre la défense du sous-prolétariat, c’est-à-dire des gens désocialisés, des délinquants, de ce milieu populaire qu’il rencontrait dans la banlieue de Rome et plus tard en voyageant, notamment en Inde ou dans le Maghreb. 

Son œuvre se veut une dénonciation politique de l’hypocrisie bourgeoise. Il retenait ce qu’il y avait en commun entre le marxisme et le catholicisme : la défense des pauvres. Quand on dépouille l’Église de son hypocrisie, elle rejoint le socialisme. C’est ce qu’il a voulu montrer dans son film L’Evangile selon Saint Mathieu. Un Christ révolté, violent, qui défend le peuple. 

Les dernières années de sa vie, à partir de 1969, Pasolini a pu voir monter l’extrême violence qui agitait l’Italie. Il a observé aussi la montée du matérialisme, de la consommation. Cela a été terrible, pour ce marxiste. Son idéal politique s’écroulait. Il éprouvait du dégoût pour la dénaturation du peuple Italien. Pour lui, le terrorisme d’État avait gagné.

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► Quelques œuvres de Pasolini :

1955 : publication du roman Ragazzi di vita, roman à succès
1957 : Les cendres de Gramsci, recueil de poésie
1964 : L’Evangile selon Saint Matthieu, Lion d’argent au Festival de Venise
1968 : Théorème, prix de l’Office catholique du cinéma à Cannes
1969 : Médée, avec Maria Callas
1970 : Décaméron
1972 : Les contes de Canterbury, Ours d’or à Berlin
1973 : L’odeur de l’Inde, récit de voyage
1974 : Les Mille et Une nuits, grand prix spécial du jury à Cannes
1976 : Salo ou les cents vingt journées de Sodome

Crédit photo : Pier Paolo Pasolini, Rome, juillet 1960. Farabola/Leemage via AFP