Abo

musiqueOliver Sim : "La honte, c'est comme les champignons, ça prolifère dans le noir"

Par Florian Ques le 08/07/2022
The XX,Oliver Sim,pop,album,EP,vih,homosexualité,séropo

Quelques semaines avant la sortie de son album Hideous Bastard, Oliver Sim a mis en ligne sur les plateformes ce vendredi GMT, un EP de 4 titres qui donne l'eau à la bouche. Pour le dernier numéro de têtu·, disponible tout l'été en kiosques, nous l'avons rencontré.

[Cette interview est à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, actuellement en vente]

"Bâtard hideux” – “Hideous bastard” en langue originale – est le pseudonyme choisi par Oliver Sim sur les réseaux sociaux, mais aussi le nom de son premier album, qu’il dévoilera en septembre. Pourtant, lorsqu’on le rencontre, le temps d’un café, avec sa coiffure impeccable et son sourire Colgate, ce n’est pas exactement ainsi qu’on le qualifierait. De passage en coup de vent à Paris – “C’est comme une seconde maison ici”, confie-t-il –, le chanteur et bassiste est ravi, quoiqu’un brin anxieux, de discuter de son nouveau chemin en solitaire. Car s’il représente un tiers du groupe britannique de rock indé The xx depuis 2005, ses acolytes de longue date, Romy Madley Croft et Jamie xx, jouissent déjà, quant à eux, de carrières solos fructueuses. Aussi n’était-ce qu’une question de temps – et d’inspiration – avant qu’Oliver ne marche dans leurs pas. 

Séropo, gay et fier

“Ce projet, c’est totalement moi, affirme-t-il. Quand j’ai commencé à travailler sur ce disque, j’ai pris conscience que j’avais, avec le groupe, écrit majoritairement des chansons d’amour. Puis, sans que ç’ait été prévu, j’ai commencé à écrire sur la honte.” Un sentiment sur lequel il admet avoir beaucoup travaillé au fil de ces dernières années, aussi bien en lisant The Velvet Rage (sous-titré “comment dépasser la douleur de grandir dans un monde d’hommes hétéros”), du psychologue Alan Downs, qu’en entamant une thérapie. “Pendant longtemps, je me contentais de ne pas y prêter attention, poursuit l’artiste. Mais la honte, c’est comme les champignons. Ça pousse dans l’obscurité, et ça prolifère.”

À lire aussi : "Il m'arrive d'oublier que je suis séropositif" : Bernard et Joël nous racontent comment ils vivent avec le VIH

C’est pourquoi Oliver Sim a décidé de mettre en lumière ce sentiment qui l’a longtemps rongé. Et ce, de la manière qu’il maîtrise le plus : en musique. “Aujourd’hui, je pense qu’il est non seulement important pour moi d’être fier de mon orientation sexuelle, mais aussi d’identifier les aspects avec lesquels je ne suis pas encore tout à fait à l’aise”, reprend le chanteur. Lorsqu’on lui demande d’expliciter, il se mordille la lèvre. Pause. “Une chose sur laquelle je me suis beaucoup focalisé ces dernières années, c’est ma séropositivité, et la façon dont elle s’est intimement liée à ma sexualité, finit-il par lâcher avec une contenance toute britannique, pesant le poids de chaque mot. J’ai appris que j’étais positif au VIH très jeune, alors que je découvrais encore qui j’étais et que j’explorais mon rapport au sexe. Il a donc fallu que j’arrive à décorréler ces deux aspects de mon identité, et ça a été un processus très difficile.”

Mélancolie et films d’horreur

Pour Oliver Sim, Hideous Bastard est très clairement le disque de la vulnérabilité. Sur les quelques morceaux de son album qu’il a bien voulu nous faire écouter, il délivre des paroles à la fois poétiques et incisives, entre désillusion et mélancolie. Un virage intimiste… mais aussi plus pop, car, en dépit de la noirceur omniprésente de ses textes, le chanteur opte pour des mélodies rythmées, voire dansantes. “Cet album aborde des thèmes assez lourds, mais je tenais à ce qu’il reste festif, explique-t-il. Je ne voulais pas signer un disque qui me fasse passer pour une âme sombre et torturée, car ce n’est pas du tout ce que je suis.” S’il insiste sur le fait d’être encore “en pleine construction”, le musicien, trentenaire, a dû aussi déconstruire beaucoup de choses. 

The XX,Oliver Sim,pop,album,EP,vih,homosexualité,séropo

Sur “Fruit”, déjà disponible en single, il parle avec amertume du côté “trop féminin” qu’il avait quand il était plus jeune. “Quand je pense à mon enfance, je me dis que ma féminité était quelque chose que j’aimais vraiment chez moi, avant de comprendre que le monde extérieur n’était pas du même avis, analyse­-t-il. À l’école, j’avais comme ce feu qui brûlait en moi, une forme de rage féminine que je ne pouvais montrer, ce qui est triste car je privais mon entourage d’une partie de ce que j’étais.” Une fureur qu’il décèle également chez ses idoles de toujours : Jamie Lee Curtis dans Halloween, Sissy Spacek dans Carrie au bal du diable et Sigourney Weaver dans Alien. “Je pensais être amoureux d’elles, mais en réalité je voulais leur ressembler, admet le chanteur. Elles étaient à la fois féminines, très en colère, élégantes, et en même temps si puissantes, dans le contrôle.”

À lire aussi : Queer Cannes, épisode 3 : rencontre avec Yann Gonzalez et Oliver Sim

Oliver souhaitait rendre hommage à cette sainte trinité ; c’est chose faite avec le court-métrage Hideous, une collaboration avec Yann Gonzalez présentée au Festival de Cannes et conçue en cohérence avec l’album. “Durant le confinement, pour me stimuler un peu, j’ai voulu entrer en contact avec des personnes créatives, détaille-t-il. Yann est la première personne à qui j’ai envoyé un message.” Après un an de correspondance, l’idée d’un projet commun émerge. Dans le film, qui est à la fois psychédélique et très camp, Oliver Sim réalise un rêve de gosse : se grimer en monstre de Frankenstein. “J’ai toujours voulu le faire, lâche-t-il, le sourire jusqu’aux oreilles. J’ai dû ressembler à cette créature pendant quatre ou cinq jours, et je passais plus de trois heures au maquillage. J’avais l’impression de ressembler aux vampires dans Buffy.” Le grand brun porte d’ailleurs littéralement sa fascination pour l’horreur sur lui et, à mi-chemin de notre conversation, déboutonne sa veste en denim pour révéler un tee-shirt à l’effigie de Scream, l’une de ses sagas préférées. Mais son film d’horreur fétiche reste It Follows de David Robert Mitchell : “Le film est très astucieux dans la manière de délivrer son message. C’est ça que j’adore avec l’horreur : on peut en tirer des leçons de vie. J’ai besoin, pour assimiler certaines choses, de cette couche de fantaisie.”

À lire aussi : "The Rocky Horror Picture Show" sur Disney+ : pourquoi il faut (re)voir ce classique queer

Pour l’heure, c’est dans une salle de répétition et non de cinéma qu’Oliver Sim s’apprête à passer les semaines à venir. Ou sur Instagram. “Les réseaux sociaux font partie du monde actuel et peuvent s’avérer utiles, estime-t-il. MySpace a, par exemple, été très formateur pour moi. C’est comme ça que The xx est né. Mais c’est différent aujourd’hui, car je dois être sur les réseaux pour promouvoir ma musique.” Un exercice qui n’est pas qu’une corvée pour l’artiste, qui se réjouit de voir des gens danser sur ses chansons ou les déclarations de ses prétendants se glisser dans ses messages privés. “Quand ça arrive, c’est génial, parce que le dating, c’est putain de difficile, avance-t-il après un soupir des plus sincères. D’autant que je ne suis pas du genre à faire les choses à moitié. Si je rencontre un homme et qu’il y a un feeling, je ne peux pas faire comme si de rien n’était. Avec moi, c’est directement « allez, on est en couple », s’exclame-t-il en riant.

Surmonter les standards

De fil en aiguille, il mentionne un flirt, qui n’a malheureusement pas abouti, avec un “mec magnifique” de Los Angeles. “Comme je reviens de là-bas, je suis maintenant convaincu d’avoir des dents jaunes et un corps flasque, dit-il, un peu dépité. Je suis tellement heureux d’être rentré en Europe pour me rafraîchir la tête. Il y a des standards de beauté qu’on doit surmonter, et, pour ça, il faut surtout garder son sens de l’humour. C’est quand je me prends trop au sérieux que je complexe le plus.” Afin de terminer notre échange sur une pointe d’optimisme, on lui demande s’il existe un moment particulier où il s’est senti fier de son homosexualité. Sa réponse fuse du tac au tac : “Quand je suis avec mes ami·es. Je doute beaucoup vis-à-vis de moi-même, mais je ne doute jamais du fait que j’ai les meilleur·es ami·es du monde. Essentiellement queers, d’ailleurs. J’ai juste Jamie xx en pote hétéro, pour remplir les quotas.” ·

"GMT" d'Oliver Sim, EP de 4 titres déjà disponible sur les plateformes de streaming
"Hideous Bastard", album à paraître en septembre.