Disponible en France sur Disney+, le déjanté et cultissime The Rocky Horror Picture Show est le film à voir et revoir sans modération en ce Mois des fiertés. On vous explique pourquoi ! Let’s do the time warp again, and again, and again...
Sur l’écran noir apparaît en gros plan une grande bouche rouge aux dents blanches. Elle chante l’histoire à venir : "Science fiction, double feature / Doctor X will build a creature / See androids fighting Brad and Janet / Anne Francis stars in Forbidden Planet / Wo-oh-oh-oh-oh-oh / At the late night, double feature, picture show…" Bienvenue dans le Rocky Horror Picture Show. Comédie musicale inclassable qui a bercé plusieurs générations de fans, elle raconte l’histoire de Janet Weiss et Brad Majors, un jeune couple hétérosexuel excessivement culcul, destiné à se marier. Un soir, leur voiture tombe en panne sous la pluie et les tourtereaux se réfugient dans la seule demeure proche, un château gothique où réside un certain Dr. Frank-N-Furter. Vêtu d’un corset à paillettes, de porte-jarretelles et bas résille, jonché sur des talons aiguilles, l’étrange et charismatique scientifique travesti propose à Janet et Brad d’assister à la naissance de sa dernière création, un homme "parfait", qui répond au nom de Rocky… Et c’est parti pour 1h40 de rencontres bizarres, de chansons iconiques, d’humour noir et de découvertes sexuelles !
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Des planches aux salles obscures
Avant de devenir un film adulé, The Rocky Horror Picture Show a connu une première vie sur les planches. L’étrange histoire du Dr Frank-N-Furter est née de l’imagination de Richard O'Brien, artiste à la double nationalité anglaise et néo-zélandaise, à qui l’on doit les paroles, la musique et les dialogues de cette géniale bizarrerie. On est au début des années 70 et le jeune acteur, fan du genre horrifique, de films de séries B et de comics depuis sa plus tendre enfance, est au chômage. Histoire de passer le temps, il imagine en quelques mois hivernaux une parodie qui rendrait hommage aux films d’horreur et de science-fiction des années 30 à 60, le tout sous forme de comédie musicale.
Dès sa sortie sur les planches – elle est jouée pour la première fois au Royal Court Theatre en juin 1973 – la pièce The Rocky Horror Picture Show, produite et dirigée par Jim Sharman, est un succès en Angleterre, puis aux États-Unis et dans le monde entier. Londres, Los Angeles, Séoul, Sydney, Rio De Janeiro, Hong Kong… Depuis ses premières représentations dans les seventies, elle n’a quasiment jamais cessé d’être produite aux quatre coins du monde.
En 1975, deux ans seulement après ses débuts théâtraux triomphants, la troupe se voit offrir l’opportunité de briller dans les salles obscures. Jim Sharman réalise et coécrit avec Richard O’Brien l’adaptation cinématographique de The Rocky Horror Picture Show. Le rôle phare, celui du "Sweet Transvestite from Transylvania" est confié à Tim Curry, qui l’incarne déjà depuis deux ans au théâtre avec une flamboyance incomparable. Little Nell, Patricia Quinn et Richard O’Brien (le créateur s’est attribué un rôle, étant aussi acteur) font également partie de la distribution originale et reprennent leurs rôles respectifs de la groupie Columbia, et des frères et sœurs flippants Magenta et Riff Raff. Le tournage a lieu dans les studios de Bray et à Oakley Court, une maison de campagne près de Maidenhead, dans le Berkshire en Angleterre, qui a servi pour de nombreux tournages des productions de la Hammer (spécialisée dans les productions horrifiques et de science-fiction à petit budget, elle a régné sur le genre dans les années 50 et 60, notamment avec la saga Dracula). Les Américains Barry Bostwick et une Susan Sarandon au tout début de sa brillante carrière d’actrice rejoignent la troupe (sur demande du studio 20th Century Fox) pour incarner Janet et Brad, délicieuse parodie du couple hétérosexuel américain.
Energie, fluidité, sensualité
Ce qui distingue The Rocky Horror Picture Show des autres productions, c’est son énergie musicale et la sensualité queer dégagée par la performance iconique de Tim Curry. La bande-son géniale rend hommage au rock, celui d’Elvis Presley des années 50 mais surtout au glam rock festif et extravagant des années 70. Ce sous-genre du rock au succès éphémère (une dizaine d’années) est notamment représenté par la star bisexuelle David Bowie. Il met sur le devant de la scène une esthétique à base de paillettes, de cuir et de costumes gothique-chic. Et si une revendication politique est attachée au mouvement glam rock, c’est bien celle du droit à la liberté sexuelle, à la sensualité androgyne et la queerness. The Rocky Horror Picture Show représente la quintessence du glam rock, qui vit alors ses plus belles heures à Londres. Son créateur Richard O’ Brien, a expliqué dans un entretien : "Le glam rock m’a permis d’être vraiment moi-même."
De la scène d’intro iconique "Science Fiction/ Double Feature" aux titres endiablés "The Time Warp" (dont les paroles invitent le public à suivre une chorégraphie) ou "Hot Patootie – Bless My Soul", en passant par "Sweet Transvestite" (qui présente le Dr. Frank-N-Furter) ou "Touch-a, Touch-a, Touch-a, Touch Me" (quand Janet assume son envie de sexe), les séquences musicales produites par Richard Hartley s’enchaînent à un rythme effréné sur cette bande-son passée à la postérité, qui respire la liberté sexuelle.
Le personnage de Janet est le pendant queer de celui de Sandy (Olivia Newton-John) dans la comédie musicale Grease (sortie au même moment, en 1978, et aussi adaptée d’une comédie musicale à succès, jouée à Broadway en 1972) : les deux personnages de blondes naïves se décoincent en musique et découvrent leur sexualité. Si Sandy décide de changer pour correspondre aux attentes de Danny, dans Rocky Horror, Janet change car elle a découvert son propre plaisir. Son empouvoirement passe par sa sexualité. Avec son esthétique camp, ses acteurs et actrices au jeu over the top, ses répliques alternativement stupides, géniales ou les deux à la fois (“it’s not easy to have a good time” lance Frank vers la fin du film et il a bien raison, surtout pour les personnes LGBTQI+) et sa critique hilarante de l’hétéronormativité (le Docteur travesti vient de "Transylvania"), The Rocky Horror Picture Show est une œuvre queer par excellence, qui tient une place de choix au panthéon de la culture drag.
Cinquante ans plus tard, elle reste cet hymne joyeux et chaotique à la fluidité sexuelle. Les personnages de Janet et Brad explorent leur sexualité au contact de Frank, bisexuel. Ils participent à une scène d’orgie en compagnie des "transylvaniens" tandis que Frank chante "don’t dream it, be it" ("ne rêve pas, vis-le"). Difficile de faire plus limpide comme métaphore de l’éveil à la queerness. Ce message était évidemment intentionnel de la part de Richard O’Brien (âgé de 80 ans), qui s’identifie comme une personne du troisième genre. Son œuvre mélange pêle-mêle les thèmes du travestissement, de la transidentité et de la bisexualité. Elle encourage tout·e un·e chacun·e à s’accepter tel qu’on est, à prendre du plaisir et à célébrer la non-conformité de genre.
Un demi-siècle d’amour de la part des fans LGBTQI+
Au fil de l’intrigue abracadabrantesque de The Rocky Horror Picture Show, on assiste à la création d’un “homme parfait”, à un meurtre avec une pioche, à une scène de cannibalisme ou encore des séquences de sexe très osées (une ode au voyeurisme, une orgie, des scènes lesbiennes et homosexuelles…). On ne vous a pas non plus parlé d’un complot extra-terrestre et de la Convention annuelle des Transylvaniens ! Autant dire qu’à sa sortie au cinéma, cet ovni filmique non-identifié n’a pas franchement séduit les critiques, qui crient alors au nanar bordélique. Histoire de sauver les meubles financiers, le studio 20th Century Fox tente alors une manœuvre inédite pour une major : projeter son film en "midnight movie". Il s’agit de séances de minuit réservées aux films de séries B, kitchs et étranges, qui défient les conventions de l’époque.
C’est là que The Rocky Horror Picture Show trouve son public de joyeux weirdos, fans de science-fiction, de comics et pour une bonne part queers, rejetés par la société et qui se prend d’amour pour les aventures de Frank et des Transylvaniens. Une communauté d’initié·es se crée autour de l'œuvre. À une époque où internet et les réseaux sociaux n’existent pas, la seule interactivité possible est de se retrouver dans les cinémas et de vibrer ensemble. Et puis l’une des spécificités du film est d’inviter son audience à un visionnage enthousiasme et interactif. Installé derrière son bureau, le très sérieux narrateur (appelé le criminologue et joué par Charles Gray) raconte à sa façon (c'est-à-dire n’importe comment !) l’histoire au public, en brisant le quatrième mur. Le film, méta à souhait, est par ailleurs truffé de références à la pop culture, dans son intrigue hommage aux films de la Hammer et au Frankenstein de Mary Shelley, mais aussi visuellement (on croise les peintures de La Joconde, La Création d’Adam ou American Gothic, des statues d’Apollons avec du rouge à lèvres, une parodie de King Kong etc…) et dans les paroles de ses chansons, qui font références à des films d’horreur (comme It Came From Outer Space) ou à des comics tels Flash Gordon ou L’Homme invisible…. Passion pop culture quand tu nous tiens. Elles sont autant d’invitations au public à réagir, à s’impliquer et à jouer autour de l'œuvre pour former une communauté de passionné·es.
D’années en années, le culte grandit et des fans toujours plus nombreux se pressent aux séances de minuit. Déguisés, ils et elles chantent et dansent sur les séquences musicales, reproduisent les dialogues en même temps que les personnages, lancent du riz, de l’eau, du papier toilette au moment opportun et ajoutent eux-mêmes des répliques à celle du film, qu’ils et elles connaissent par cœur. Des règles se mettent en place, comme crier le nom du film dès que le le nom Rocky Horror (le patronyme de la créature parfaite de Frank, un jeune homme blond et super musclé) est prononcé, hurler "slut" pour Janet (évidemment au second degré, dans la plus pure tradition de la culture drag) et "asshole" pour Brad, danser le Time Warp... Petit à petit, des troupes professionnelles costumées viennent faire des projections du Rocky Horror Picture Show un spectacle dans le spectacle. C’est le phénomène de shadow casting.
En France, la sauce prend en 1978 quand le film commence à être diffusé dans un petit cinéma indépendant du 5e arrondissement, le Studio Galande. Depuis bientôt cinquante ans, deux fois par semaine, le cinéma projette le film avec la participation de troupes théâtrales diverses (en ce moment No Good Kids les vendredis, et Times Slip les samedis). Ces séances animées et endiablées ont largement participé à la longévité exceptionnelle de Rocky Horror Picture Show et à son statut à part. Ses fans ont transformé un flop commercial et critique en un tel culte que le film est devenu le plus longuement projeté de l’histoire du cinéma ! Le plus célèbre de ses aficionados, Sal Piro, est entré au livre Guinness des records en 1987 pour avoir vu le film plus de 750 fois (il en est à plus de 4000 aujourd’hui !). Il est devenu aussi adulé que le casting du film.
En cinquante ans, la façon dont on aborde les thématiques LGBTQI+, dont l’orientation sexuelle et l’identité de genre très présentes dans TRHPS, ont bien entendu énormément changé. S’il a été précurseur en célébrant la fluidité sexuelle et l’état d’esprit queer juste après les émeutes de Stonewall, le film n’a pas manqué de faire l’objet de critiques rétrospectives, notamment sur le fait que Tim Curry est un acteur cisgenre a priori hétérosexuel, que la représentation bisexuelle y est stéréotypée (le personnage de Frank est un être ultra-sexuel, meurtrier à ses heures perdues et correspond au trope du "bisexuel psychotique") ou que le casting était 100% blanc. S’il a connu une suite largement passée inaperçue (Shocks Treatment, 1981), le film a surtout fait l’objet d’un téléfilm hommage en 2016 et plus inclusif, The Rocky Horror Picture Show: Let's Do the Time Warp Again, réalisé par Kenny Ortega, avec l’actrice transgenre Laverne Cox dans le rôle du Dr. Dr Frank-N-Furter. Tim Curry y fait une apparition dans le rôle du criminologue et Sal Piro effectue un cameo dans le rôle d’un photographe. Ce cadeau pour les fans ne nous donne au final qu’une envie : découvrir ou revoir à nouveau l’original !
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