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interview"Drag Race France", house music, violences policières… Entretien avec Kiddy Smile

Par Antoine Patinet le 02/08/2022
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Après avoir fait danser l’Élysée et participé à la diffusion du voguing en France, Kiddy Smile continue de queerifier l’Hexagone dans Drag Race France. Il vient d'être sacré par le magazine anglais Attitude Pride Icon of the Year. Mais le DJ garde des idées politiques bien ancrées.

[Cette interview est à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, actuellement en vente]

“Fils d’immigrés, noir et pédé.” En 2018, la France découvre, à travers ce message inscrit sur un t-shirt, Kiddy Smile, DJ et figure parisienne du voguing, alors invité à se produire à l’Élysée pour la Fête de la musique. La fachosphère s’indigne, mais aussi une partie des fans de l’artiste, qui y voient une tentative de pinkwashing du président Macron. Mais, depuis, Kiddy a su retrouver les faveurs de son public. Par la suite, un duo, “Que du love”, avec la princesse de la pop, Angèle, achève rapidement de faire de lui un musicien qui compte.

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En 2016, son premier titre, “Let a b*tch know”, l’avait déjà fait connaître chez les amateurs de musiques électroniques. Aujourd’hui, le musicien de 39 ans s’apprête à dévoiler un nouvel EP, Paris’ Burning vol. 1, calibré pour les clubs, et dont les paroles, les clips et la couverture dénoncent les LGBTphobies, la stigmatisation des personnes racisées, la répression policière et la montée de l’extrême droite en France. En parallèle, il est un membre du jury chaque semaine plus flamboyant de Drag Race France. Mais comme on s'était quittés sur un désaccord, on a d'abord remis les choses à plat...

Aujourd’hui, accepterais-tu encore une invitation d’Emmanuel Macron à te produire à l’Élysée ?

Kiddy Smile : Non, je n’irais pas. Cette image a déjà existé.

Tu as eu des critiques très négatives après cet événement…

Certaines personnes issues de ma communauté se sont mises en travers de ma route parce que je faisais quelque chose qui ne convenait pas à leurs plans. Je n’étais pas la seule personne LGBTQI+ invitée ce jour-là, mais, étrangement, toutes les attentes étaient focalisées sur ma venue. De la part de certaines personnes de couleur, je peux le comprendre ; mais de celle de personnes LGBTQI+ blanches, c’est une autre forme de post-colonialisme : comme iels ne comprennent pas mes combats, iels considèrent qu’ils ne sont pas valides. Quand tous les gens d’extrême droite me sont tombés dessus, qu’ils ont trouvé mon adresse, envoyaient des menaces de mort à ma mère et m’attendaient à la sortie des clubs où je me produisais, où était la communauté LGBTQI+ ? Iels étaient bien silencieux… Et encore, j’ai de la chance, car je suis un homme. Les choses sont encore pires pour les femmes trans noires

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Pourquoi cette colère contre notre Une “Queer queen” ?

Les mots sont importants. On ne peut pas utiliser des termes d’oppression pour désigner des personnes non concernées – même des allié·es. En vrai, je trouve Marina Foïs sympathique – elle m’a même apporté son soutien quand on me critiquait pour être allé à l’Élysée –, mais elle a aussi utilisé le mot “pédé” pour décrire Flaubert à la télévision. Le retournement des stigmates ne peut se faire que par les personnes qui les subissent, sinon ça ne veut rien dire. Selon moi, le premier magazine LGBTQI+ français doit utiliser son espace pour mettre en avant les artistes de la communauté qui n’ont pas accès aux couvertures de la presse traditionnelle. C’est pour cela que je suis venu en compagnie d’autres artistes issu·es de la ballroom scene, dont on ne parle pas assez. Aujourd’hui, je pense représenter quelque chose. Me voir en couverture d’un magazine inspirera peut-être quelqu’un, l’aidera à y croire et à voir les choses en grand

Dans ton nouvel EP, tu dénonces les violences policières. C’est quoi le problème avec la police ?

Je suis partagé… Est-elle nécessaire ? utile ? Est-ce qu’elle ne fait pas plus de mal que de bien ? On entend les policiers se plaindre qu’ils n’ont pas assez de moyens ; mais les moyens actuels sont-ils bien dépensés ? Ce dont la police a besoin, c’est de formations, d’empathie, de tout démanteler pour tout reconstruire… Si j’étais policier, j’aurais la sensation d’être en échec à partir du moment où certaines personnes se sentent en danger en ma présence. Pourquoi les personnes noires doivent-elles encore enseigner à leurs enfants comment se comporter en présence de policiers, même lorsqu’elles n’ont commis aucun délit ?

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Sur l’album, tu abordes aussi des questions liées à la spiritualité…

En ce qui me concerne, j’ai une relation particulière à la spiritualité… À certains moments, j’ai pu mal envisager ma relation avec Dieu, avec la nature de la prière et le fait d’appartenir à un groupe prêt à m’exclure pour qui je suis. Aujourd’hui, je suis en paix avec tout cela, mais ça a été difficile à atteindre.

Comment as-tu trouvé cette sérénité ?

J’ai du mal à donner ce genre de conseils, car je suis conscient que mon parcours est atypique. J’ai eu le privilège d’étudier à Los Angeles et d’y fréquenter une église où tout le monde, même le prêtre, était des personnes LGBTQI+. Voir des gens se tenir la main sous un rainbow flag dans une église, c’était puissant. En France, les lieux de culte sont très blancs, très hétérosexuels. J’ai plus de mal à m’y sentir le bienvenu.

Pourquoi mettre tant en avant des questions politiques dans ta musique ?

Ce serait beaucoup plus compliqué de les occulter. Quand j’ai démarré ma carrière, il y avait tellement de restrictions : tu ne pouvais pas chanter en anglais ni parler d’homosexualité par exemple. J’avais l’impression d’être contraint de parler de futilités, alors que j’avais des choses à dire. Après les gens font ce qu’ils veulent. Ton art peut être politique ou ne pas l’être : il n’y a pas une seule façon d’en faire.

Comprends-tu les critiques contre la DJ russe Nina Kraviz, laquelle n’a pas dénoncé l’invasion de l’Ukraine ?

C’est différent… Pense-t-elle aux gens qui, là-bas, écoutent sa musique ? Elle peut garder le silence, mais elle doit accepter que le public lui demande de rendre des comptes. En revanche, tout le monde lui tombe aussi dessus parce que c’est une cible facile ; les gens ont un problème avec les femmes qui réussissent ce qu’elles entreprennent.

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Ton EP célèbre la French Touch. C’est une filiation importante pour toi ?

Je vais encore me faire des ennemis… Il m’a vraiment fallu du temps pour comprendre que, la French Touch, c’était de la house, et que la house est une musique noire et gay. Si je n’avais pas rencontré DJ Mehdi, je penserais probablement encore la même chose aujourd’hui. C’est lui qui m’a parlé de disco, des warehouses, de Frankie Knuckles et de Ten City. Et c’est là que j’ai compris. En France, la musique électronique, c’est un truc de gamins riches de Versailles. J’ai demandé à Laurent Garnier pourquoi sa génération n’avait pas mieux crédité la communauté LGBTQI+ afro-américaine. Il m’a répondu que tout le monde savait… Mais ce n’est pas vrai. Qui savait ? Qui avait accès aux clubs en 1989 ? Pas les gens comme moi.

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Sors-tu toujours autant qu’avant ?

Pas vraiment. J’ai un petit chien dont je m’occupe, je lis des livres, j’apprends le piano… Quand je sors, c’est principalement dans des balls. D’ailleurs, en dépit de la popularité du mouvement, on a toujours autant de mal à trouver des salles et des financements.

Tu es à l’affiche de l’édition française de Drag Race en tant que jury. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Drag Race est une émission qui a été créée par une personne queer et noire. Qu’on soit fan de Ru Paul ou non, c’est une exemple de réussite et de persévérance. Pouvoir contribuer à faire rayonner le drag français au travers d’un concept créé par RuPaul, c’était un honneur. Je tenais aussi à y participer pour que le public comprenne à quel point le drag est un art noble, une discipline minutieuse qui demande à avoir de multiples talents : la couture, la performance, le maquillage… Je voulais aussi faire entrer nos récits dans des foyers où l’on ne parle pas de queerness.

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C’est quoi la particularité du drag français ?

D’abord, il y a toute une influence tirée du cabaret que je n’ai vue nulle part ailleurs. Et puis aussi un sens de l’esthétisme très rétro. En tout cas, j’ai été ébloui par le talent de toutes ces queens. Dès le premier épisode, on sentait que le niveau serait excellent, et la compétition rude.

Comment ça s’est passé avec les autres jurés ?

Je ne les ai pas supporté·es ! (Rires.) Non, on s’adore. On a des sensibilités différentes, mais on était plus ou moins d’accord – au début, du moins. On se retrouvait sur cette envie de baser nos jugements sur des arguments artistiques concrets, et de ne pas laisser le parcours des artistes nous influencer.

Chanteur, producteur, DJ, organisateur de balls, jury dans Drag Race… C’est comme ça qu’on s’en sort quand on est “noir, pédé et fils d’immigrés” ?

Je n’ai jamais fait les choses parce que je le devais, mais parce que j’en avais envie. Multiplier les casquettes, ce n’est pas pour tout le monde. Il est aussi bon de se focaliser sur un talent et de le maîtriser pleinement. Mais, à vrai dire, je n’ai pas l’impression d’avoir 50 000 métiers. Je n’en ai qu’un seul : être moi-même.

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Crédits : Mister Fifou pour têtu·