Après un certain âge, on a l’impression de cohabiter avec un corps qui fléchit. Quelle place reste-t-il aux plaisirs charnels lorsque l’on craint d’affronter le regard des autres, et en particulier celui des jeunes ?
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“Mon corps, je ne le regarde plus. Je ne le supporte plus, balance Michel*. Et ça fait une bonne dizaine d’années que c’est comme ça.” Pourtant, nul chagrin dans cette réponse, simple constat de cet homme de 74 ans dont le corps, cela dit, lui procure toujours du plaisir. Alors, il en prend soin, bien qu’ils soient quelque peu fâchés. “Je marche 7 km par jour et j’ai adopté un régime alimentaire, précise-t-il. Je fais cela pour qu’il ne me lâche pas.”
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Son appartement est rempli de peintures de paysages et de bronzes de corps masculins. “Plus jeune, j’ai eu beaucoup de succès. J’étais bien monté, ça aide”, se souvient Michel, dans un franc sourire qui aide aussi… Et le temps ne l’a pas beaucoup “assagi”. “Quand tu prends du Viagra, tu retrouves ta bite de 20 ans. C’est spectaculaire ! dit-il, satisfait. J’aimerais pouvoir me calmer, mais cela me ferait du mal.” Alors il s’est organisé. “Quand tu es homo et que tu as passé 45 ans, tu deviens aussi gris que les murs dans les lieux de drague gay, déplore-t-il. Mais je me débrouille : je vais en sauna hétéro. Les mecs ne s’y rendent pas pour draguer, ne recherchent rien de particulier ; il y a moins de concurrence, donc j’ai donc plus de chances.”
Sauna gay et coloc
Bertrand, lui, fréquente les saunas gays une fois tous les dix jours. “J’ai 76 ans, ma libido a baissé. Mais ça m’arrange d’être moins asservi à la sexualité, note-t-il. J’éprouve malgré tout encore le besoin d’être touché, caressé, d’avoir des orgasmes. Les Anglais disent que c’est un besoin qui tient « from womb to tumb », c’est-à-dire de l’utérus à la tombe. Vous savez, j’ai vu ma mère dépérir en maison de retraite par manque de tendresse”, explique cet ancien professeur d’anglais.
Aujourd’hui, il partage avec quatre autres gays approchant des 60 ans une colocation dans le 9e arrondissement de Paris, organisée via l’association Grey Pride. “C’est une excellente solution de remplacement à la maison de retraite, explique-t-il. L’appartement fait 170 m2 et a trois salles de bains. Chaque matin, on se hug pour se dire bonjour. Ça me donne de l’énergie.” Qu’il dépense lors de ses expéditions régulières dans les saunas, lesquelles lui demandent également une certaine préparation. “Sur conseil de mon médecin, je suis un parcours PrEP pour être libre de ma sexualité, précise Bertrand. J’ai aussi un traitement au Cialis qui me permet d’avoir des érections.” Avec l’âge, le septuagénaire voit bien que son agenda se remplit de rendez-vous médicaux. Son urologue lui a d’ailleurs expliqué qu’il était normal de ne plus émettre de sperme au moment de l’orgasme : “Ça me frustre. Mais ce sont les surprises de l’âge.”
Au sauna, il constate qu’il y a de moins en moins de jeunes, probablement en raison des applications. “Du coup, je ne dénote pas trop. Et puis, dans la pénombre, on voit moins les corps. Cela dit, je n’ai pas honte du mien. De manière générale, je trouve qu’ils ont tendance à vieillir moins vite que les visages.” Stéphane, lui, a “baissé le rideau”. Plus de libido. Presque par hasard. “Il y a quelques années, mon médecin m’a prescrit des bêtabloquants pour faire chuter ma tension sanguine. Lors d’une visite de routine, il m’a demandé si mes désirs avaient disparu. En fait, je ne m’en étais pas vraiment rendu compte. Il m’a alors proposé des hormones, que j’ai refusées, car ce manque de libido me procurait un sentiment de paix”, explique-t-il. Ce tout juste sexagénaire estime par ailleurs “s’être bien amusé” durant sa jeunesse, et regrette simplement, aujourd’hui, de s’être senti moche : “Ce n’était pas le cas, je le vois quand je regarde les photos de mes 20 ans. Mais la tête que j’ai à présent me permet de prendre conscience du temps qui passe. C’est important”.
Amour et crépuscule
Si sa nouvelle “liberté” lui convient, il ne dirait toutefois pas non à une nouvelle histoire d’amour. “Être amoureux donne de l’intensité à la vie”, ajoute-t-il. Aujourd’hui, Stéphane partage une “solitude choisie” avec deux chats et de nombreux amis. “Les histoires de sexe des autres continuent de me distraire, précise-t-il. Mais il est vrai que j’ai l’impression d’être le seul asexuel.”
“Je suis plutôt content de ne pas avoir la même fringale de sexe qu’à 40 ans, note, de son côté, Paul. Jusqu’à 65 ans, j’ai eu, sans grande difficulté, des aventures avec des hommes jeunes. Mais, maintenant, à l’approche des 80, il serait incongru de séduire un homme d’une trentaine d’années. Les rapports seraient faussés”, constate cet avocat d’affaires parisien au goût raffiné. Chez lui, comme sur lui. “À l’âge de 10 ans, j’ai commencé à aimer m’habiller, raconte-t-il. Les vêtements améliorent l’image que l’on peut avoir de nous-même. C’est une forme de respect de soi d’être convenablement vêtu.”
Une discipline qu’il applique également à son corps svelte, droit et vif. D’ailleurs, Paul a accepté les recommandations de son médecin : finis le vélo, le ski et le tennis. S’il veut continuer à entretenir son corps, c’est avant tout “pour être capable de voyager et de marcher”. Alors, il se concentre sur la natation : trois fois par semaine, à la piscine des Halles, un repaire de corps jeunes et souvent gays. “Je les regarde avec admiration et discrétion, car je ne veux pas qu’ils croient que je les drague. Leur beauté ne me fiche pas le cafard. Je les regarde comme on va au musée”, glisse-t-il en souriant.
Pour Paul, la jeunesse est remplie d’éclat : “C’est l’âge où le monde te paraît ouvert, où l’on est certain de rencontrer l’amour. Il y a cette attente de la vie, d’une aurore glorieuse, que l’on perd ensuite. Moi, j’avais l’impression d’être moche moralement et physiquement. J’allais voir un psy qui m’assurait que je ne resterais pas gay, et des prêtres qui me disaient que j’étais un monstre.”
Ô jeunesse ennemie
Passé 40 ans, il a également trouvé déprimant de fréquenter les bars gays : “On se sent comparé, même si on est resté pas trop mal. Ces lieux sont très sexualisés. C’est dommage.” D’ailleurs, Patrick a une suggestion à faire pour améliorer les lieux de drague pour les plus âgés : “J’aimerais bien aller dans les bars, mais il faut rester debout, et, au bout d’un moment, ça me fatigue. En Belgique, les jeunes et les hommes plus âgés sont assis au bar et parlent ensemble. À Paris, il suffirait de mettre des tabourets aux comptoirs.”
Patrick, jeune sexagénaire, regrette le dynamisme de son corps jeune : “Je n’ai plus la capacité de passer une nuit blanche et de travailler le lendemain, comme j’ai pu le faire.” Après avoir vécu une histoire d’amour de onze ans, il a décidé de revenir à Paris, pensant y retrouver plus facilement un compagnon que dans la Nièvre. “Je n’ai jamais recherché de mecs plus jeunes que moi. Mais à Paris je pars avec un handicap : j’ai un peu de ventre, et, ici, c’est la culture du corps, déplore-t-il. Les homos de mon âge recherchent souvent chez l’autre le corps qu’ils avaient jeunes.” Lui, ce qui le touche dans le corps d’un homme, c’est “la chute de reins, les fesses, la bouche”. “Je reste romantique et sensuel. La beauté du corps va avec le reste. Un corps dégradé peut m’attirer si la personnalité qui va avec m’attire”, ajoute-t-il.
Patrick voit dans la profusion des corps sculptés sur les réseaux “la preuve que nous transformons toute notre vie en produits de consommation”. “Les sites de rencontres sont maltraitants. C’est si simple de couper une communication ! Du coup, la relation en direct devient trop engageante, les gens se retrouvent seuls, ont peur de tout”, conclut celui pour qui, ça, c’est le cauchemar !
*Tous les prénoms ont été modifiés
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Crédit illustration : Vaadigm Studio
