[Cet entretien est à retrouver dans le magazine de l'été, dont Lucky Love est en couverture !] Mannequin et comédien, le cool kid Lucky Love fait ses premiers pas dans la musique avec des titres prometteurs, queers et engagés.
Photographie : Camille Monpach pour têtu·
Stylisme : Kevin Lanoy
“Ça va mon chéri ?” À peine arrivé dans le studio, Luc Bruyère salue tout le monde avec un sourire jusqu’aux oreilles et gratifie qui le souhaite d’une accolade. À 28 ans, il peaufine son disque inaugural sous l’alias Lucky Love, de loin son projet artistique le plus intime. “Par manque de confiance en moi, je n’avais jamais vraiment envisagé de faire de la musique, confie-t-il. Je ne pensais pas avoir les capacités pour me lancer, d’autant que je ne viens pas d’une famille où la culture est vraiment célébrée.” Ses années passées chez Madame Arthur, cabaret mythique du 18e arrondissement parisien, vont d’ailleurs l’aider à prendre confiance en lui et, surtout, à dompter sa voix.
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Tout au long de la quinzaine de morceaux qu’il nous a laissé écouter – dont seulement trois, “Masculinity”, “Paradise”et “Love”, sont pour l’instant disponibles –, Lucky Love s’amuse avec le vocodeur et zigzague entre les styles pour aboutir à une musique hyper moderne. S’il s’enracine dans la pop avec de grands clins d’œil à Michael Jackson, Ariana Grande ou Lady Gaga, on décèle aussi chez lui certaines influences, par exemple James Blake ou Woodkid – pour la noirceur mélancolique –, ou encore Labrinth et Sophie. “J’adore la musique dite populaire – même si je ne la décrirais pas comme ça –, et je déteste celle destinée à l’entre-soi, note-t-il. Je ne voulais pas faire de la musique prétentieuse. Je tenais aussi à ce que mon projet soit un refuge pour les gens.”
"Une beauté autre enfin célébrée"
En grandissant, son refuge à lui a d’abord été la danse. Né avec un seul bras, Lucky Love évolue dans la différence. “Les enfants sont un peu cruels et sans filtre, concède-t-il lorsqu’on tente de retracer sa jeunesse dans le Nord de la France. À l’école, j’ai essuyé les moqueries de mes camarades. Ce qui m’aidait, c’était d’aller à la danse. Là-bas, je me créais de nouveaux mondes sans violence.” Néanmoins il précise avoir été un “sale gosse” pendant une partie de sa scolarité : “Je me suis fait virer de quatre établissements pour convaincre mes parents de me mettre en école d’art.” Après avoir été formé au Ballet du Nord, le centre chorégraphique national de Roubaix, il intègre l’Institut Saint-Luc, en Belgique – aux côtés de Roméo Elvis, son colocataire d’un temps.
Malgré un brevet en art conceptuel en poche, c’est vers le mannequinat que le grand brun se tourne dès son arrivée à Paris. En dépit d’un portfolio que beaucoup jalouseraient, il pose un regard doux-amer sur cette profession. “Quand je suis arrivé dans le milieu, on ne parlait pas encore de diversité, déplore-t-il. C’était un peu violent ; je ne trouvais pas d’agence, car on ne savait pas quoi faire de moi.” À force de persévérance, il pose devant des pontes de la photographie de mode, comme Mario Testino ou Craig McDean. En parallèle, des marques établies, comme Kenzo ou Nike, le sollicitent. “Ça a été salvateur parce que ça m’a permis de prendre confiance en moi et de me rendre compte que j’allais pouvoir être l’exemple que je n’avais pas eu, l’exemple d’une beauté autre enfin célébrée. J’en étais fier”, tient-il à ajouter.
Naissance de Lucky Love
Un sentiment qu’il a par ailleurs toujours ressenti concernant son homosexualité. “À l’âge de 13 ans, j’ai enfilé un mini-short pour sortir dans une ville de province habillé comme la plus grosse des tantouzes, confie le chanteur. Mais j’étais tellement fier. Les gens me regardaient cette fois pour autre chose que mon bras manquant. Ça a été le premier moyen pour moi de sortir de mon handicap.” Sur Instagram, il se détache volontiers des carcans de genre pour jouer avec une androgynie mesurée. C’est peut-être ce côté transgressif qui a tant séduit Béatrice Dalle, avec qui il a travaillé pour une adaptation théâtrale d’Elephant Man en 2019. L’actrice prête également sa voix dans un clip de l’artiste, pour son plus grand bonheur : “C’est une de mes meilleures amies, un peu ma mère artistique.”
Mais, ces derniers mois, c’est de Juliette Armanet qu’il s’est rapproché. Après qu’il a repris Charles Aznavour sur la plateau de l’émission Culturebox, la chanteuse lilloise l’a contacté. “On avait l’impression d’être de vieux ami·es”, se remémore-t-il, amusé. Elle le convie alors à faire sa première partie lors d’un concert à l’Olympia : “À la fin, la foule a crié «Lucky Love !». Je me suis pris une grosse claque d’amour. C’était incroyable.” Mais s’il raffole de l’extase que lui procure la scène, il a de tout autres recommandations lorsqu’il s’agit d’écouter ses chansons. “Il faut, surtout, des écouteurs, car je pense que c’est une musique qui, avant d’être partagée dans une grande salle, mérite d’être écoutée seul chez soi, en immersion. L’album a été conçu sous marijuana, il faut dire ce qui est”, précise-t-il en rigolant.
Ses années au contact de la nuit parisienne n’ont pas altéré sa simplicité, et l’artiste le doit sans doute à sa proximité avec sa mère – sa “première fan” –, bien que leur relation n’ait pas toujours été sans remous. Lorsqu’elle découvre son homosexualité en fouillant dans son portable, quand il a 14 ans, elle ne comprend pas tout de suite. “Maintenant, on aune relation géniale, assure-t-il. Je lui parle de mes amants, de ma vie amoureuse. Le jour de mes 24 ans, elle m’a remercié en me disant qu’elle trouvait magnifique qu’un enfant puisse éduquer son parent.” Sous son apparence de cool kid, émane de lui la sagesse d’une personne qui aurait vécu mille vies. “Mon seul conseil dans la vie, c’est de ne pas feindre, de ne pas se mentir, d’accepter que tout ne soit pas toujours facile, conclut le chanteur. J’ai d’abord voulu chercher l’amour des autres et ensuite puiser dans cet amour pour m’aimer moi-même. Mais ça ne marche pas. Il faut vraiment creuser en soi et faire face à ce qui nous fait obstacle. Il ne faut jamais céder à la honte.”
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