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reportageL'arc-en-ciel qui a brûlé sept fois, symbole de la résistance LGBTQI+ en Pologne

Par Elodie Hervé le 06/09/2022
Sur la place Zbawiciela de Varsovie, le rainbow de la discorde

Dans le centre de la capitale polonaise, un arc-en-ciel fait de fleurs en plastique a été brûlé sept fois. Reconstruit huit fois, il a depuis été désinstallé mais la communauté LGBTQI+ tente de le faire renaître de ses cendres.

Sur la place Zbawiciela de Varsovie, les cafés et restaurants se remplissent sous une chaleur écrasante. Autour de ce rond-point où l’herbe devait être verte à une autre époque, les immeubles se dressent imposants et silencieux. C’est ici, dans le centre de la capitale polonaise, qu’un arc-en-ciel avait été installé par l’artiste Julita Wójcik en 2015. D’un bout à l’autre de la place centrale, l'arche de fleurs artificielles interpellait les passants sur les droits des personnes LGBTQI+ en Pologne. 

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Fièrement, l'installation a résisté durant trois ans aux différentes attaques de l’extrême droite, avant d’être définitivement retirée en 2015. Depuis, des projets éphémères ont vu le jour et le collectif Homokomando a lancé un appel à projets pour tenter de le reconstruire. "Ce n’est pas juste parce qu’il a brûlé sept fois qu’on veut le reconstruire, explique Linus Lewandowski, fondateur de l'organisation. C’est parce qu’il est devenu un des symboles visibles des difficultés, qu’il a permis d’ouvrir le débat sur les personnes LGBT et de compter nos alliés." Homokomando tente depuis plusieurs années de mobiliser architectes et artistes pour trouver les fonds et les appuis politiques nécessaires afin de reconstruire ce symbole de toute une communauté. Et dans les critères annoncés, l'appel demande que la conception soit “aussi indestructible que possible, en particulier ininflammable.”

L'homophobie au pouvoir en Pologne

Vladimir, 30 ans, se souvient de l'installation. "J’ai grandi sans aucune représentation gay, témoigne-t-il. J’ai eu du mal au début à comprendre pourquoi cet arc-en-ciel était autant rejeté puisque je ne comprenais pas sa signification. Vivre en Pologne en étant gay est très difficile à cause des propos haineux. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que j’étais moi-même gay puis à me autoriser à l’être. J’avais l’impression que c’était une anomalie."

En Pologne, les partis conservateurs au pouvoir ciblent régulièrement ce qu'ils appellent "l'idéologie LGBT". Cette homophobie est devenue encore plus décomplexée depuis le retour à la tête de l’État du parti d’extrême droite Droit et Justice (PIS) en 2015. En 2019, un décret permettant la mise en place de zones dite "libres de l'idéologie LGBT" a été adopté. Depuis, les agressions augmentent autant que le sentiment d’impunité. 

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"Ce qu’il faut comprendre c’est que même à Varsovie, il y a des attaques, souligne Anna Maria Zukowska, du parti Alliance de la gauche démocratique. À cause de cette ambiance, le taux de suicide des enfants et ados LGBTQI+ est très élevé en Pologne. Cet arc-en-ciel détruit, et les zones anti-LGBT, ce sont des symboles politiques forts qui ont des conséquences directes sur le climat général." 

Symbole de la difficulté à exister dans un pays où l’extrême droite conservatrice est au pouvoir, cet arc-en-ciel de la place de Zbawiciela aura cristallisé les tensions pendant ses trois ans d'existence. Bartosz Kownacki, secrétaire d’État au ministère de la Défense nationale de l'époque, avait même commenté sa destruction en 2015 sur son compte Facebook, en ces termes : "L’arc-en-ciel des pédés brûle à la place de Zbawiciela".

L'arc-en-ciel de la résistance

Pour répondre à la haine ambiante, les militant·es rivalisent d’originalité. Des faux panneaux installés pour dénoncer les zones dites "libres de l’idéologie LGBT" aux hologrammes arc-en-ciel, les actions militantes se multiplient. "Cette haine a fait naître une solidarité énorme, explique Bart Staszewski, militant gay. Elle nous aura au moins permis de nous compter, et de compter nos allié·es." Le temps de la Pride, en juin, Homokomando a trimbalé un arc-en-ciel en mousse dure pour que les adelphes puissent se photographier dessous. Une voiture de police postée derrière s’assurait qu’il ne soit pas attaqué. "Il ne suffit pas de dire que l’on existe pas pour que l’on disparaisse, martèle Bart Staszewski. Même en Pologne, il y a des gays."

Ce projet éphémère vient compléter une longue liste de tentatives de faire revivre le Rainbow de Zbawiciela. En 2018, pendant un mois, de l’eau, des lumières et un hologramme sont venus refaire vivre cet arc-en-ciel, la nuit et sous haute surveillance policière. Cette installation avait été renommée "the unbreakable Rainbow" (l'arc-en-ciel incassable). "Lui, il ne pouvait pas brûler, se remémore Martyna, 35 ans. C’était très beau de le voir surgir de cette place, la nuit comme ça." En 2021, l’arc-en-ciel reprend ses quartiers le temps d’un tournage, cette fois-ci en ballons et avec l’obligation de le démonter une fois le tournage terminé.

Le drapeau des fiertés s'affiche aussi furtivement sur un balcon, ou dans les mains d’une statue, lors d’actions militantes souvent réprimées. L’extrême droite s’en empare aussi lors de happenings violents au cours desquels il arrive qu’un drapeau arc-en-ciel soit brûlé. "Maintenant, nous voudrions un Rainbow qui ne soit pas une installation temporaire", reprend Linus Lewandowski. En attendant, pour le faire exister, c’est sur une application de réalité augmentée que ça se passe. Polar Rainbow, de l'artiste Kristaps Ancāns, est visible à Varsovie le long du méridien 21 est. Une fois l’application installée, le Rainbow apparaît à des endroits choisis, dès lors que l’on porte l’appareil photo du téléphone dans la bonne direction.

"S'étendant sur le méridien 21E du pôle Nord au pôle Sud, ce double arc-en-ciel virtuel symbolise la solidarité avec les communautés LGBTQIA+ du monde entier", souligne la fondation Bęc Zmiana. Une façon aussi de rappeler que les droits des personnes LGBTQI+ sont encore remis en cause. "Tant que l’on aura pas un mariage gay et lesbien accepté dans toute l’Union européenne, on continuera à se battre, assure Anna Maria Zukowska. Le mettre en place à l’échelle de l’UE pourrait permettre de changer beaucoup de choses, pour nous comme pour beaucoup d’autres pays." 

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Crédit photo : Adrian Grycuk CC Wikipedia