En symbole de paix, Kyiv et Varsovie ont organisé leur Pride ensemble, ce samedi 25 juin dans la capitale polonaise. Une manière de rappeler que la guerre en Ukraine n’est pas terminée et de tenter de mobiliser la communauté internationale sur le sort des LGBTQI+.
“Laissez ! Laissez ! Laissez l'homophobie à Poutine !” Des paillettes, de l'amour et une grande fierté de se retrouver en si grand nombre. Cette année, les Prides de Varsovie et de Kyiv ont marché ensemble, samedi 25 juin, dans la capitale de la Pologne. Sous un soleil brûlant, des milliers de personnes se sont élancées pour demander la paix en Ukraine et des droits des deux côtés de la frontière.
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“Moi aussi je veux pouvoir vivre. Moi aussi je veux pouvoir me marier”, lance Aline [prénom modifié], 36 ans. Pour la première fois, la voici dans une Pride avec sa copine. “On vit à Varsovie, mais jusqu'à présent on n'osait pas trop venir. Et ça fait trop plaisir de savoir que l'on n'est pas seules.”
La Pologne, pire pays européen pour les LGBTQI+
En Pologne, les personnes LGBTQI+ sont régulièrement la cible d'attaques et de discriminations. Pour l'Ilga, c'est même le pire pays de l'Union européenne sur ce plan, derrière même l'Ukraine qui pourtant ne ménage pas ses efforts sous la houlette de Viktor Orbán. Depuis l’arrivée au pouvoir du très conservateur Andrzej Duda, en 2015, les Polonais·es ont vu certains de leurs droits régresser, comme l’accès à l’avortement, déjà très restreint en Pologne. En 2019, le président lance même une vaste campagne pour créer des zones qu’il désigne comme
"libres de l’idéologie LGBT". Le sud-est du pays, aux valeurs chrétiennes conservatrices, y adhère de façon massive. Depuis, les violences et les stigmatisations augmentent.
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Car si aucun panneau ne matérialise physiquement ces zones anti-LGBT, "ça a un impact symbolique énorme'', explique Anna Maria Żukowska, du New Left Party. "Et on sait qu'en politique, le symbolique est très important. Cela donne une sorte de carte blanche aux homophobes. Même à Varsovie il y a des attaques, pas autant que dans le sud du pays mais elles existent. Cette situation est surtout très difficile pour les enfants et les adolescent·es. Nous avons un taux de suicide énorme au sein de la communauté LGBT."
Entre deux camions de policiers, les chars font entendre leur musique. Britney, Cher ou encore Abba résonnent entre ces murs de béton. Des policiers en uniforme encadrent le cortège, auxquels s'ajoutent un service de sécurité privé et des policiers en civil. “Notre principale préoccupation pour l’organisation de la Pride c’est la sécurité”, explique Julia Maciocha, une des co-organisatrices de la Pride de Varsovie. L'attaque de la nuit à Oslo est aussi dans tous les esprits. Une minute de silence est observée pour les victimes de toutes les violences LGBTQIphobes.
"Nous existons"
En marge du village associatif, des catholiques intégristes tractent pour des "thérapies de conversion". Un peu plus loin, une contre-manifestation tente de faire entendre ses idées nauséabondes. Sans succès. L'amour et la joie d'être ensemble l'emportent, et les participant·es de la Pride ignorent royalement ces quelques activistes d'un autre temps.
“On est vraiment très nombreux cette année, je n’avais jamais vu autant de monde, s'enthousiasme Vladimir, 35 ans. J’ai grandi sans savoir qu’il y avait des gens comme moi. Mon premier mec, j’avais 25 ans et on se cachait.” Avec son drapeau des Bears of Poland, il avance désormais fièrement au grand jour. Une brise donne de
l’envol à une licorne. Dans cette grande avenue de Varsovie, certaines multinationales américaines ont aussi leurs chars.
“Le plus important aujourd'hui, c'est que l'on marche ensemble pour la paix et pour nos droits, rappelle Edward Reese, 37 ans, un des co-organisateurs de la Pride de Kyiv. L'Ukraine a arrêté toutes les aides et les protections envers les LGBT. On a besoin d'aide. On manque de tout et les discriminations ne s'arrêtent pas avec la guerre.” À ses côtés, Lenny Emson, directeurice de la Pride de Kyiv, acquiesce. “Pour des raisons évidentes, nous ne pouvions pas marcher dans notre ville cette année, mais malgré tout c’était très important pour nous de montrer que nous existons. La guerre s’installe dans le temps et il est essentiel de ne pas oublier les personnes qui restent ou qui reviennent en Ukraine.”
Marioupol, Boutcha, Kyiev
Dans le cortège, des “free hugs” s'échangent. Des paillettes sont lancées et le chant national ukrainien résonne. Une vingtaine de personnes déploient un Rainbow. Devant, un drag kinq aux couleurs de l'Ukraine tient dans ses mains un drapeau européen. Un char est applaudi. Sur son flanc, les noms des villes martyres de la guerre en Ukraine : Marioupol, Boutcha, Kyiv, devenus tristement célèbres à cause des massacres perpétrés par l'armée de Vladimir Poutine.
Par respect pour les Ukrainien·nes, il avait été demandé aux participant·es de ne pas arborer de drapeaux russes. “Nous apprécions les efforts de la société civile russe pour s’opposer au régime, mais nous demandons un certain respect”, explique Lenny Emson, avant de rappeler les viols, les meurtres et les actes de torture commis par l’armée russe dans son pays. Sur les pancartes, des messages militants et qui rappellent que la guerre n’est qu'à quelques heures de voiture d’ici : “La Pride en Ukraine se fait sous les bombes russes”…
Bohdan, 26 ans, est fier de marcher dans son pays d'adoption avec ses adelphes d'Ukraine. Sur son tee-shirt, le nom d'un plat traditionnel est inscrit. “C'est une histoire drôle, ce plat. Parce qu'il a un nom que même les Russes n'arrivent pas à prononcer et depuis, c'est devenu une blague. On se moque d'eux. On leur montre qu'à la fin, on gagnera.” L’an prochain, la Pride de Kyiv espère pouvoir marcher dans ses propres rues, et rendre l'invitation aux camarades de Varsovie. En attendant, une cagnotte en ligne a été lancée, afin de tenter de mobiliser la communauté internationale et d'éviter une famine cet automne.
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Photos : Élodie Hervé