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visibilité"Les élèves ont bien intégré ma transition" : rencontre avec Mika "la Transeignante"

Par Laure Dasinieres le 06/09/2022
La Transeignante

Connue sous le pseudonyme "la Transeignante" sur Twitter, Mika Alison raconte dans un livre sa transition au sein de l’Éducation nationale et développe des réflexions essentielles sur la transidentité à l’école.

Rentrée doublement occupée pour la Transeignante. Outre les retrouvailles avec ses élèves, Mika Alison signe un livre, Vivre sa transidentité à l’école, publié chez Double Ponctuation. Racontant sa transition au sein de l’Éducation nationale, elle met en valeur l’importance d’une éducation à la sexualité pleinement inclusive. Nous avons échangé avec elle, à quelques jours de la rentrée. 

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Avant ta transition, avais-tu des craintes pour ton avenir dans l'Éducation nationale ?

Mika Alison : Oui, bien sûr ! J'avais des années de peur derrière moi, et j’avais pu lire et entendre des témoignages de confrères ou consœurs qui avaient été mis au placard du fait même de leur transition, soit par leur rectorat soit par leur établissement. Je ne voulais bien sûr pas vivre ça ni être mutée, ni faire de pause dans ma carrière. Il faut noter que chez beaucoup de prof concerné·es, aux inquiétudes concernant la transition se greffent celles en termes de précarité, par exemple les contractuels craignent de ne pas voir leur contrat renouvelé.  

Comment as-tu préparé ta transition au sein de ton établissement scolaire ? 

Quand il est apparu que pour moi cela ne pourrait pas être autrement, j’ai parlé avec une collègue dont j’étais proche. Elle m’a rassurée et je savais que j’avais deux-trois personnes sur qui compter au sein de l'établissement. C’était à la fin de l’année scolaire 2017-2018. J’ai parlé à ma cheffe d'établissement. Elle a pu m’apporter les réponses sur comment ça allait se passer concrètement. Elle m’a dit que c’était une démarche personnelle et que son rôle était de faire en sorte que ça se passe au mieux pour moi dans le milieu professionnel. C'était très rassurant. Elle avait bien compris que je voulais rester au sein de l’établissement et que je ne voulais pas d'interruption dans ma carrière. Elle m’a expliqué qu’elle allait avertir le rectorat pour qu'il puisse suivre la situation et m’apporter son aide si besoin. Ça m’a permis de me lancer assez tranquillement dans ma transition de manière personnelle, en me disant que ça n’aurait pas d'impact trop lourd sur l'aspect professionnel.

Sans sa volonté de bienveillance et d’accompagnement, et sans le rectorat de Nancy-Metz qui a bien joué son rôle, je n'aurais pas aussi bien vécu ma transition. C’est une des choses que j’ai voulu transmettre à travers mon livre : les personnes autour de nous, notamment celles en capacité de décision, vont soit nous aider soit nous compliquer grandement la tâche. Il y a rarement de juste milieu. 

Comment ont réagi tes élèves? 

À la rentrée 2018, j’étais toujours connue sous mon identité masculine par les élèves. Je ne me sentais pas prête, notamment en termes de passing. J’ai fait la bascule au printemps 2019, en prenant du temps pour parler avec mes classes afin de leur expliquer quelle était ma démarche et pour les laisser me poser des questions. Je ne voulais pas mettre mes élèves devant le fait accompli ni qu’ils et elles se racontent des histoires.

J’étais nerveuse mais ça s’est plutôt bien passé. Ils ont une certaine curiosité, posent des questions de manière spontanée, parfois sans filtre, ils attendent des réponses. J’avais une bonne relation avec eux, ça a joué. Et puis il faut souligner que je m'adressais à eux en position d’autorité, je suis leur prof, pas leur camarade ni le parent d’un·e camarade. Si certains élèves ont pu être marqués par ma transition, tous l’ont bien intégrée. 

Tu sens une plus grande ouverture d’esprit chez les ados que chez les adultes sur les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle ? 

Il y a sans doute une plus grande ouverture d'esprit chez les collégiens. Certes, ils sont très imprégnés de ce que société, parents et culture ont pu leur transmettre mais ils sont plus réceptifs à une certaine diversité que les adultes qui ont déjà construit plein de représentations, de croyances, et doivent les déconstruire. Je pense qu’il sont souvent en manque de représentation. Si cela s’est bien passé, c’est aussi que mes élèves me connaissaient en tant que personne, en tant que prof. C’est une visibilité différente de celle stéréotypée et stigmatisante encore trop véhiculée dans les médias.  

Tout n’est pas tout blanc, non plus. Par exemple, quand je n’étais pas out, j’avais une apparence androgyne. Pendant un moment, certains élèves frappaient la porte et partaient en courant. On a fini par les attraper. Confronté à la cheffe d’établissement adjointe, l’un d’entre eux a dit que c’était parce que j’étais “un pédé”. Et pour lui, cela justifiait ce harcèlement… Dans le même temps, je commence à entendre des voix parmi mes élèves qui intègrent la diversité des corps et interrogent les injonctions sociales genrées comme l’épilation pour les femmes. C’est assez nouveau et plutôt encourageant. 

T’arrive-t-il de parler de ces sujets en classe ?

Oui, bien sûr, ce sont des sujets que l’on aborde en cours de biologie. L’éducation à la sexualité fait partie des missions des professeurs de SVT et cela fait partie du programme que de parler de contraception, d’IVG, de PMA… Mais il est rare que ces questions soient abordées autrement que sous un prisme hétérosexuel et cisgenre. J’ai aussi une boîte à questions dans ma salle de classe pour pouvoir laisser celles auxquelles je peux répondre au cours suivant. Nous faisons également venir des associations extérieures comme Le Planning Familial ou Couleurs gaies à Nancy, ainsi que des professionnels de santé. Clairement, l’homosexualité et la bisexualité sont des questions que les collégiens et lycéens ont du mal à aborder avec leurs pairs, et des élèves ont pu venir me parler de questions liées à leur orientation ou à leur identité. 

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Crédit photo : Mika Alison