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cultureMylène Farmer, Dalida, Cher, Britney Spears... : anatomie des icônes gays

Par Fatma Torkhani le 16/09/2022
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Adulées et glorifiées, les icônes gays ont marqué toute la pop culture. De la figure maternelle, indépendante ou exubérante, aux nouveaux visages de la culture queer, retour sur un compagnonnage de toujours.

Lady Gaga, Cher, Judy Garland… dans la pop culture, bon nombre de femmes ont depuis toujours été érigées au statut suprême d’icônes par les populations gays. Elles sont souvent citées par les garçons homos comme des modèles, en qui ils se reconnaissent, et qui les ont accompagnés tout au long de leur construction et acceptation. Pour Maximilien, 25 ans, Mylène Farmer a ainsi été "le pansement sur [ses] plaies""Dès que je l’ai découverte, je me suis reconnu en elle et en son univers, raconte le jeune homme originaire de Corse. Par mon identité sexuelle, je me suis souvent senti isolé et en décalage. Mais quand j’écoutais Mylène Farmer chanter, j’avais l’impression que ses chansons étaient écrites pour moi."

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Une identification des gays qui peut paraître paradoxale, les chanteuses en question étant majoritairement dans des relations hétérosexuelles. Le réalisateur du documentaire Tellement Gay : Homosexualité et Pop Culture, Maxime Donzel, l’explique par différents facteurs : "Pendant très longtemps, les homosexuels n’avaient pas énormément de choix en matière d’identification. Il y avait très peu d’icônes ou de personnes qui étaient publiquement out dans les cultures de masse donc on se tournait vers ce qui nous semblait le plus logique, c'est-à-dire des femmes avec qui on a pour point commun d’être exclus du patriarcat et qui, comme nous, aiment les hommes."

L’icône gay, mère et sainte

Yoan, étudiant en urbanisme, déclare qu’il s’est très vite senti lié à la diva italienne Dalida. "Queer et arabe, Dalida a été pour moi une identification très forte parce qu’elle a des identités multiples, elle est très dramatique et chante souvent un amour impossible", confie-t-il. Il est particulièrement touché par son titre "Pour ne pas vivre seul", car "le titre de la chanson évoque à lui seul la peur qu’on peut ressentir face à l’acceptation de notre homosexualité".

Selon Maxime Donzel, ces figures féminines viennent également pallier un manque familial et religieux dont peuvent souffrir les homosexuels : "Très souvent la religion nous est interdite. Avec les icônes gays, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la dévotion, de l’adoration comme on pourrait le faire avec des saints. Elles peuvent également incarner des figures tutélaires, presque maternelles, qui nous aiment sans hésitation, ce qui est un peu le rêve de tout gay qui n’a pas été soutenu par ses parents dans son coming out."

"Ce sont des femmes qui ne cherchent pas par tous les moyens à plaire au regard masculin."

L’attachement des gays à ces figures ne semble toutefois pas être seulement le fruit d’interprétations et d’un manque de représentation, à en croire le célèbre musicien et compositeur Nile Rodgers. Le co-compositeur d’un des plus grands hymnes gays de l’histoire, "I’m Coming Out" de Diana Ross, explique dans le documentaire Queer Pop que la plupart des musiques des années 70 et 80 s’adressaient à une audience gay, en répondant à leurs besoins émotionnels et traumatiques, sans que cela soit officiellement déclaré.

Les icônes seraient-elles donc les représentantes de tout temps d’une culture gay ? C’est ce qu’avance Maxime Donzel en affirmant qu'on trouve chez elles "une théâtralité à la limite de la vulgarité, qui bouscule le bon goût. Ce sont des femmes qui ne cherchent pas par tous les moyens à plaire au regard masculin mais qui, au contraire, peuvent le mettre mal à l’aise, et c’est en ça que consiste la culture camp qui est intrinsèquement liée aux gays." Pour illustrer son propos, il évoque le costume d’écorchée porté par Mylène Farmer lors de sa tournée de 2009. "Il y a quelque chose entre le sexy et le dégoûtant, souligne-t-il. En faisant ça, elle ne cherche pas à plaire aux hommes mais montre bien qu’elle a une particularité et qu’elle la cultive."

Récupération et queerbaiting 

"Aujourd’hui la culture camp et queer fait intégralement partie de la pop culture et cela de façon totalement assumée", analyse Guillaume, créateur de la chaîne YouTube Popslay. Les nouvelles icônes gays sont "un Lil Nas X, qui redéfinit les codes du rap en embrassant un homme sur scène, ou encore un Sam Smith, qui assume publiquement sa non-binarité". Se posent alors de nouvelles questions comme celle de l’honnêteté des artistes et du marketing. "Le public est très sensible à la sincérité des artistes qui se veulent icônes gays, rappelle-t-il. Il y a eu tout un débat sur Taylor Swift quand elle a sorti son album Lover et qu’elle a commencé à utiliser toute une esthétique queer, notamment dans le clip "You Need To Calm Down". Ça a beaucoup interrogé mais finalement, avec le temps, on l'a acceptée parce qu’on a compris que c’est une réelle prise de position, avec des convictions sincères."

Quand le statut d’icône gay devient un élément marketing, on parle alors de queerbaiting. Un terme qui renvoie au fait que des artistes s’emparent de codes queers dans leur œuvre mais seulement de façon esthétique, pour gagner en popularité ou en tirer du profit. Sur sa chaîne YouTube, Popslay revient sur le cas du titre "Girls", de Rita Ora en featuring avec Cardi B, Bebe Rexha, et Charli XCX, où les quatre artistes clament aimer embrasser des filles quand elles boivent du vin, ce qui avait dérangé beaucoup de personnes. D’ailleurs, la superstar Katy Perry, interprète du célébrissime "I Kissed a Girl", reconnaît aujourd’hui "que si c’était à refaire, elle changerait sûrement quelques paroles à sa chanson".

Des icônes gays aux icônes queers

Les icônes d’aujourd’hui sont également plus inclusives et représentatives de toute la communauté LGBTQI+, là où les icônes gays traditionnelles semblaient s’adresser seulement aux homosexuels. "Je n’ai pas eu d’icônes auxquelles je m’identifiais, elles sont arrivées beaucoup plus tard", souligne Camille, étudiant·e en conception de costumes. Même si iel a été déjà ammené·e à se reconnaître à travers certaines d’entre elles, comme Britney Spears ou encore Lady Gaga dont elle regardait "les clips en boucle", le fait que ces chanteuses "parlent à 99% de rapports hétéros" l’en éloigne.

Aujourd’hui, Camille trouve en Hayley Kiyoko, Angèle ou encore en King Princess ses propres modèles. À ce titre, Guillaume note qu'"on ne parle plus vraiment d’icônes gays mais plutôt d’icônes queers". Maxime Donzel y voit une nouvelle façon d’appréhender les icônes et les modèles : "Les anciennes générations se contentaient de miettes. On essayait de trouver des signaux là où on pouvait, tandis que la nouvelle génération queer exige des icônes qui ne soient plus seulement alliées mais des gens qui leur ressemblent." Ce qui n'est pas trop demander.

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Crédit photo : DR (montage)