Dans les 11 titres de son premier album, Le Moment Présent, Mélodie Lauret déploie une une poésie directe et introspective, explorant nos rêves, nos désillusions, nos "coups de coups de foudre". Rencontre avec une jeune pousse à suivre, et à retrouver dans le têtu· en kiosque ou, si vous êtes à Paris, le lundi 7 novembre sur scène au Pop-Up Du Label.
Photographie Audoin Desforges
“Je sais pas mentir.” Dans “Le Moment présent”, le deuxième titre éponyme de son album inaugural, Mélodie Lauret a résumé son style. Depuis 2019, avec un EP et plusieurs morceaux dévoilés au compte-gouttes, l’artiste construit sa discographie comme un témoignage de vérité sans fioritures sur sa jeunesse queer, explorant ses déceptions amoureuses, les coups de foudre nombreux d’un cœur qui s’emballe à chaque nouvel émoi, les désillusions du passage à l’âge adulte, et les rêves énormes que la vie nous oblige parfois à revoir à la baisse.
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“Je serai jamais une star, je brillerai jamais dans le noir, moi j’serai au bar du coin, et j’attendrai là-bas, pendant qu’ils font l’Olympia”, chante-t-iel sur “Star”, étonnant premier single paru au printemps. Un titre à contre-courant de nombreuses punchlines d’une nouvelle scène française biberonnée aux égotrips du rap, laquelle n’hésite pas à revendiquer dans ses chansons son ambition de conquérir le monde, mais surtout sa confiance insolente à y parvenir. “Évidemment qu’une partie de moi a envie de devenir une star et de chanter « je serai jamais une star » sur la scène de l’Olympia. Mais je ne crois même pas que ça me plairait d’en être une. J’ai envie d’être aimée, j’ai envie de m’aimer, mais je veux surtout qu’on m’écoute et qu’on me laisse la place de dire ce que j’ai à dire.”
Artiste-interprète
Depuis l’enfance, Mélodie Lauret a cherché à tâtons ce qui serait son porte-voix. “J’ai fait des trucs insensés – j’ai même participé à un concours de mini-miss !” raconte-t-iel. C’est à Saint-Maur-des-Fossés, en banlieue parisienne, où iel a grandi, qu’iel commence à trouver des réponses. Au conservatoire de la ville, plusieurs de ses potes suivent une classe de comédie musicale. Un choix pratique géographiquement, mais surtout logique puisqu’iel cherche le médium idéal pour s’exprimer. Avant de décider de les embrasser tous. “Je ne peux pas choisir entre la musique et le théâtre”, affirme Mélodie, qui mène, depuis, les deux de front : alors qu’iel préparait son album, on a pu lae voir dans le très joli court-métrage musical Partir un jour, avec Juliette Armanet, et on lae verra prochainement au théâtre dans la pièce de Rébecca Chaillon. Cette ambivalence semble l’aider à vaincre un complexe hérité de sa formation. “Je me sens comme un imposteur à me définir comme chanteur. Dans la comédie musicale et la pop, la norme, c’est d’avoir une voix puissante. Quand je regarde The Voice, j’ai envie de pleurer, je me dis que je ne sais pas chanter. C’est pour ça que je préfère me considérer plutôt comme artiste-interprète.”
Les chansons de ce Moment présent se prêteraient de toute façon mal à une démonstration de puissance vocale, qui n’aurait pour effet que de masquer l’essentiel. La plume de Mélodie Lauret a trop de verve pour les lignes mélodiques des standards de la pop radio, même si “Coups de coup de foudre” a le potentiel pour être fredonnée dans toutes les voitures de France. En 11 titres, iel déploie une écriture mature, une poésie du “je” directe et introspective, comme un instantané des flux indomptables qui traversent la tête de leur auteur·ice. “Chez moi, l’écriture est toujours une urgence. Quand j’écris, je suis dans une sorte de transe, et j’ai beaucoup de mal à revenir sur mes textes ensuite.” Le résultat est sans posture, sans snobisme, l’interprétation sensible et sincère, et les fragments de ce cerveau qui doute trouvent vite un écho chez qui veut l’entendre. Et particulièrement, peut-être, auprès du public queer.
Fini les étiquettes
Mélodie Lauret voulait nous accueillir dans un endroit qui ait du sens. On s’est finalement donné rendez-vous dans son petit appart parisien. Dans la pièce principale, la première chose qu’on voit, c’est un “Queer” peint en bleu sur sa bibliothèque rouge. Sur les murs, des affiches célèbrent le sexe lesbien ou se moquent des mecs “cishet” (cis et hétéros). Au-dessus de son piano, un vinyle de Jacques Brel côtoie The Little Big Book of Pussy (le petit grand livre des chattes) et son pendant masculin, The Big Penis Book (le livre des grosses bites). Mec ou meuf, pédé ou lesbienne, Mélodie Lauret a quitté les étiquettes pour se construire une identité qui lui appartient, et le chante sans détour dans “J’en fais mon arme” : “Homme ou femme, je me suis posé la question. J’ai fait le choix de pas choisir, je suis un peu rien, je suis un peu tout.” Une chanson comme une révolution douce, un doigt d’honneur susurré à tous ceux qui refusent encore de croire que le genre serait une construction sociale.
“La non-binarité m’est apparue plus politique que la fluidité de genre.”
“Petite, je n’étais pas vraiment androgyne, se souvient-iel. Mais en grandissant, j’ai commencé à m’habiller plus butch, à m’approprier une certaine masculinité. Et certains jours, je me sentais vraiment plus mec que meuf.” Une fois ce constat posé, difficile pourtant de trouver le mot juste pour expliquer aux autres ce que l’on a découvert de soi. “La non-binarité m’est apparue plus politique que la fluidité de genre. En tout cas, elle m’a vraiment permis de changer mon rapport à ce que je croyais être un ressenti illégitime, qui ne méritait pas que je demande aux gens de modifier leur façon de m’appréhender.” Dans la vie comme dans ses chansons, Mélodie Lauret alterne depuis le féminin et le masculin, et la seule chose qu’iel demande à ses interlocuteurs, c’est de ne pas utiliser de mots trop genrés. “Quand j’explique ça à quelqu’un et que la personne fait semblant de comprendre avant de m’appeler « meuf », ça m’exaspère ! dit-iel en riant. Mais je sais qu’on revient de loin, qu’on s’est tous et toutes construit·es dans la binarité du genre, et que c’est difficile pour les gens de la remettre en question du jour au lendemain. On a le droit de se tromper, tant que ce n’est pas malveillant.”
Si le titre qui a donné son nom à l’album dénonce les injonctions à vivre “le moment présent”, d’autres obligations interrogent l’artiste de 23 ans, et même au sein de cette communauté queer à laquelle iel appartient pleinement. “J’ai parfois l’impression que je ne serai jamais assez militant. Mais je crois qu’il faudrait qu’on accepte tous que chacun milite à sa manière, avec ses armes et ses contraintes. Exister, parler, assumer, c’est déjà militant.” Animal nocturne, Mélodie Lauret regrette aussi qu’il soit difficile, quand on est queer, de “rencontrer des gens sans avoir à danser sur de la techno”. “J’aime créer un vrai lien, apprendre à connaître les gens, et dès qu’on m’accorde un peu d’intérêt, je m’enflamme”, explique-t-iel. Sous l’autodérision, plusieurs de ses chansons semblent le confirmer. Alors Mélodie Lauret, cœur d’artichaut ? “Je ne cherche pas l’amour, je cherche à être bousculé·e par quelque chose. J’ai besoin d’avoir la sensation de perdre le contrôle. J’ai besoin de cette ivresse.”
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