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interviewTove Lo : "Dirt Femme renvoie surtout à la vision que je porte sur ma féminité"

Par Florian Ques le 14/10/2022
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Libérée des labels, la Suédoise Tove Lo revient avec Dirt Femme, un nouvel album qui continue de creuser son sillon de techno-pop parfois torturée, mais toujours réjouissante. Dans le numéro de têtu· de cet automne, elle se confie sur la genèse de cet album, sa vision de l'amour, de la féminité, de la fête et de la communauté LGBTQI+.

Photographie Audoin Desforges

Neuf ans après sa sortie, “Habits (Stay High)” continue d’être une valeur sûre, le genre de tube qu’on peut écouter en boucle sans jamais se lasser. Cette prouesse, on la doit à son interprète, Tove Lo – à prononcer “touvé lou”, comme nous l’a appris RuPaul lors du passage de la Suédoise dans Drag Race: All Stars. Avec quatre disques au compteur, la chanteuse n’avait plus vraiment à faire ses preuves. Pourtant, en mai, elle n’a pas manqué de consolider sa réputation de popstar avec “No One Dies From Love”, un hit techno-pop aux contours futuristes, premier single de son album à paraître, Dirt Femme. Au beau milieu de la pandémie de covid, alors que son contrat d’exclusivité avec Universal prenait fin, Tove Lo a créé son propre label indépendant. C’est donc sous Pretty Swede Records et en grande forme qu’elle revient, avec une douzaine de titres aussi torturés que dansants, infusés avec une dose généreuse d’électro. De passage express à Paris, l’électron libre de la pop scandinave nous a accueilli dans l’intimité de sa chambre d’hôtel afin d’honorer son statut de drama queen pleinement assumé.

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Ton nouvel album s’intitule Dirt Femme. On dirait un peu une typologie de lesbienne, comme butch ou lipstick, tu ne trouves pas ?

Tove Lo : C’est pas faux. (Rires.) En tout cas, c’est vraiment un terme dans lequel je me retrouve. Je suis pansexuelle, pas lesbienne, mais cette notion de “dirt femme” [qu’on traduirait littéralement par “femme saleté”] renvoie surtout à la vision que je porte sur ma féminité, et c’est le thème que je voulais creuser dans cet album. Au début, je voulais que le disque s’appelle Feminine, mais il manquait quelque chose. J’ai rajouté “dirt” parce qu’on me répète constamment que je suis très brute de décoffrage, très naturelle. Ça faisait sens.

Dans le single inaugural de l’album, "No One Dies From Love", tu chantes : “Personne ne meurt d’amour, je suppose que je serai la première.” C’est très dramatique comme phrase !

J’avais un tas d’émotions intenses qui me traversaient au moment de l’écriture de cet album. C’est vrai qu’il est très dramatique, mais il reflète parfaitement ma vision de l’amour. En fait, je trouve intéressant d’observer comment quelqu’un d’amoureux se comporte. La personne la plus équilibrée et la plus rationnelle du monde peut totalement vriller au nom de l’amour. C’est quelque chose qui me fascine. Et même si on ne peut pas vraiment mourir d’amour, la perte d’un être auquel on tient donne tout de même l’impression qu’on ne pourra jamais remonter la pente.

Quelle est la chose la plus folle que tu aies faite par amour ?

Je dirais que c’est d’avoir déménagé dans un nouveau pays à l’autre bout du monde pour rejoindre la personne que j’aimais. Mais si on parle de quelque chose de fou au sens négatif du terme, alors c’est de m’être totalement perdue dans une relation au point d’avoir perdu confiance en moi.

En matière de séduction, qu’est-ce qui te fait chavirer ?

Si je regarde mes histoires passées avec des hommes, des femmes, des personnes non-­binaires… je me dis que je n’ai pas de type. Bon, iels avaient quand même toustes les cheveux longs. (Rires.) Peut-être que j’ai un genre, en fin de compte.

En tant que femme pansexuelle mariée à un homme, as-tu l’impression d’être perçue comme hétéro et qu’une partie de ton identité queer est gommée ?

Pas vraiment, non. Mon mari, comme moi, est très ouvert d’esprit. On habite dans une résidence collective avec nos ami·es, qui viennent de tous horizons, et ont des identités et des sexualités variées. Donc on peut dire que ma queerness est présente au quotidien. En revanche, les personnes qui ont toujours eu du mal avec ma sexualité ont été soulagées de me voir avec un homme. Elles ont dû se dire que j’étais rentrée “dans le droit chemin”. En vérité, je n’ai jamais aspiré à une vie banale d’hétéro.

Tu étais connue pour faire beaucoup la fête au début de ta carrière. À 34 ans, es-tu toujours la même party girl ?

Sur ce point, rien n’a changé ! (Rires.) On est samedi matin, et je te laisse deviner pourquoi j’ai l’air aussi fatiguée. Je continue d’être fêtarde, mais de façon plus responsable. Quand je sais que j’ai un énorme concert le lendemain, je ne prends pas le risque d’abîmer ma voix et je reste sage. Mais il faut savoir pourquoi tu fais la fête. Si c’est pour t’échapper ou fuir tes émotions, comme c’était mon cas à l’époque, ça peut devenir risqué.

En parlant de fêtes et d’excès, ton titre “How Long” figure dans la bande-son d’Euphoria, qui est aussi la série la plus queer du moment…

En fait, Sam Levinson, le créateur de la série, a tourné dans un lieu que j’avais utilisé dans mes récents courts-métrages. C’était un signe ! Alors je lui ai écrit une lettre pour lui déclarer à quel point j’étais fan de son travail. J’avais adoré la première saison, et son aspect cru et cinématographique. Je sais que beaucoup la trouvent provocatrice, mais je ne vois pas ces aspects comme des défauts.

Tout le monde se met à refaire de la pop des années 1980, comme The Weeknd ou Dua Lipa. Mais toi, tu n’aimes pas faire comme les autres…

(Rires.) Le seul morceau de l’album qui s’approche de cette période musicale, c’est peut-être “No one dies from love”. En vérité, on est toustes influencé·es par les mêmes choses, mais on a des histoires à raconter qui nous sont propres. Pour ma part, j’essaie surtout de ne pas trop écouter ce que les autres artistes proposent, et de suivre mon cœur. C’est le seul moyen de produire quelque chose d’original. Il y a tellement de meufs uniques et talentueuses dans la pop. La dernière chose que j’ai envie de faire, c’est d’imiter leur travail.

Les chanteuses pop ont la cote auprès de nombreux hommes gays. Tu sais pourquoi ?

De nombreuses popstars soutiennent la communauté LGBTQI+ et prennent le temps de créer des espaces safe où chaque personne peut être totalement elle-même. Et puis il me semble que les notions d’indépendance et de résilience véhiculées par les pop girls parlent beaucoup aux personnes queers. En tout cas, j’adore cette sorte d’alliance qui existe entre nous. (Rires.) ·

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