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sexoRedécouvrir le sexe après le chemsex

Par Mathias Chaillot le 07/11/2022
chemsex illustration

Si arrêter le chemsex est un vrai défi en soi, il s'accompagne d'un chantier de taille, celui de reconstruire sa sexualité. Un processus qui nécessite de la patience, de l'écoute, et peut s'apparenter à un réapprentissage.

Damien, 33 ans, a toujours de la libido. Le souci, c’est qu’il ne sait plus comment s’en emparer. Pendant quelques années, toute sa sexualité s’est déroulée sous drogue, en particulier de la 3-MMC, dont il était gros consommateur. Alors quand il a décidé d’arrêter de consommer, il a dû réapprendre le sexe : “La première fois que je suis retourné chez un mec, j’ai hyperventilé. Je tremblais, mais j’étais content, comme si j’accomplissais un truc super difficile.” 

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Le type se montre compréhensif et propose, pour y aller doucement, de prendre un bain à deux. Ils se caressent, un truc s’agite sous l’eau. Ça marche ! Depuis, Damien a de nouveau pratiqué le chemsex. Sans drogue, en revanche, il n’a toujours pas dépassé l’étape des câlins : “Au début, chaque fois que je sentais que ça dérapait, je faisais une crise de panique. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour que je réussisse à faire du sexe tranquillement, sans angoisse… Je ne sais plus ce que ça fait, finalement, une sexualité sans chems.”

La peur de perdre sa sexualité est souvent un frein au sevrage, constatent les médecins. Après avoir jeté tous ses produits, Mathieu, 31 ans, qui prenait même des produits pour se branler seul dans sa chambre, craignait de “retrouver une sexualité complètement ennuyeuse, de passer de 72 heures avec des effets incroyables à quelques dizaines de minutes douche comprise”. “Je me demandais carrément si j’arriverais à bander !” ajoute-t-il. Un mois après avoir arrêté la drogue, il rencontre un mec en soirée et passe une folle nuit. “Donc, oui, c’est possible !” assure-t-il aujourd’hui, soulagé.

Prendre son temps

Dans de nombreux cas, lorsqu’on arrête le sexe sous drogue, il faut bien admettre qu’on ne va pas retrouver le même niveau d’excitation. Ce qui est parfaitement normal. En effet, s’ils augmentent l’envie sur le moment, les produits limitent le désir le reste du temps. Quand il est sorti de son dernier cycle de consommation, Nicolas, 24 ans, a perdu toute libido durant plusieurs mois. “Avant, j’étais un peu esclave de mes envies, et il me fallait les soulager tout de suite, explique-t-il. J’ai trouvé génial de retrouver un peu de calme.” Il en a alors profité pour essayer de retrouver une sexualité plus portée sur les autres. “Dans le chemsex, on veut exactement tel truc, telle position… indique-t-il. Récemment, un mec a voulu faire des câlins après un rapport. J’étais perdu : 'Mais pourquoi il fait ça ?' J’ai l’impression d’avoir été élevé par des loups et de sortir du bois.”

Dans les cercles de parole d’anciens chemsexeurs, certains racontent passer, parfois, par un ou deux ans d’abstinence. Frédéric décrit cette période comme sa “plus longue descente”. Lui a commencé à sniffer avec son mec il y a cinq ans : “Le sexe n’a jamais été aussi bon.” Après leur rupture, il décide d’arrêter et connaît une période de creux, avant que rêves érotiques et érections matinales ne reviennent au bout de trois mois. Son premier plan cul sans drogue est par la suite “minable”, et le second “catastrophique”. “J’étais terrorisé, je me suis mis à pleurer”, confie-t-il. Puis, un jour, Nicolas finit chez un autre mec, prend son temps, et fait l’amour. “Depuis l’arrêt du chemsex, c’est la seule nuit où ma sexualité et ma libido ont été correctes, précise-t-il. Aujourd’hui, j’aimerais vivre quelque chose de fun, mais j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. Alors je me contente de séduire. Pour le reste, il va me falloir encore un peu de temps.”

Retrouver son corps

Avant de reprendre le sexe à deux, les sexologues conseillent de prendre le temps de se redécouvrir seul. Pour arrêter la drogue, Valentin, 30 ans, est passé par un programme en 12 étapes (sur le modèle des Alcooliques anonymes). Réalisant qu’il avait aussi un problème avec le sexe, il a décidé d’arrêter, pour mieux y revenir. “Au début, soit je rencontrais des mecs avec des produits et je n’arrivais pas à dire non, soit ça se passait mal et je capitulais, raconte-t-il. Je me suis alors astreint à une abstinence affective et sexuelle pendant un an, et ça a été la clé. Ça m’a permis de me concentrer sur moi, de partir à la découverte de ce que j’aimais, de voir quelles zones de mon corps me faisaient quoi.”

Il réapprend alors à se masturber – sans écran, car le porno peut renforcer l’envie d’y retourner –, “le plus dur”, et se touche devant son miroir. “Quand je prenais une douche, je me caressais en répétant 'ça, c’est ma jambe gauche, ça ma jambe droite, ça ma bite…'. Ce travail de reconnexion 'ici et maintenant' est très important, note Valentin. Par la suite, les choses se sont faites naturellement.”

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Pratiquer le slow sex

Une fois la libido revenue, l’autre crainte est de ne pas retrouver “l’intensité” des parties de chemsex. Spoiler : ces performances sont impossibles sans produit chimique. L’accepter est une étape nécessaire.

Pour retrouver la dimension relationnelle de la sexualité, le médecin et sexologue au centre de santé communautaire Le Checkpoint Paris Pierre Cahen propose aux couples de passer par ce qu’il appelle des “rendez-vous corporels” : “Le but est de chercher le toucher, la sensualité, sans être axé sur la performance, l’érection. Prendre du bon temps, et constater que c’est agréable. On laisse venir ce qui vient – ça peut être du sexe, mais le but n’est pas de reproduire toute la séquence d’une relation sexuelle. Les produits donnent l’illusion qu’on aime tout le monde, et en descente on se rend compte que ce n’est pas complètement le cas. Or, même dans un plan cul, il y a une dimension relationnelle. Il faut la percevoir et la cultiver.”

Cette façon de mettre deux corps en relation n’a rien de nouveau : c’est ce que l’on appelle le slow sex, une manière de faire l’amour tournée vers l’écoute de ses sens, de son corps, de son partenaire, et non vers la performance et l’orgasme. Une façon de privilégier le voyage à la destination, en somme, qui peut même passer par un bain à deux ou un massage, par exemple. Le slow sex permet ainsi de se reconnecter à des sens mis à mal par les produits, de réapprendre à se laisser exciter sans aide chimique et de faire descendre la pression qui, souvent, effraie les anciens chemsexeurs. En revanche, il ne faut pas espérer retourner dans une partouze sans prendre de chems et réussir à tenir six heures et à baiser dix mecs.

Chercher la connexion

S’il y a une chose qui différencie, après le chemsex, un plan foireux d’une baise du tonnerre, c’est la connexion, insistent de nombreux ex-chemsexeurs. Pendant un temps, on baise moins, mais on baise mieux. Thierry, 40 ans, se souvient de ce mec qu’il a croisé sur Grindr après avoir arrêté les chems. L’autre lui propose de le rejoindre… dans un bar, avec ses potes. Malgré ça, un jeu de séduction se met en place. “Au bout d’une heure, il me propose d’aller chez lui faire des câlins, pas forcément du sexe, raconte-t-il. On s’embrasse, puis on sort dans la rue en se tenant la main. Je n’avais pas spécialement envie de niquer. Mais après vingt minutes de gestes tendres, j’étais chaud, et je n’ai eu aucun problème pour avoir un rapport !”

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La quarantaine finissante, Julien, lui, était parti du principe qu’il ne pourrait plus faire de sexe sans produits stupéfiants. Mais lors d’un “date classique”, après quelques pintes, “on a commencé à faire monter le désir – pas comme sous 3-MMC où l’on se suce et se pénètre en quinze minutes,précise-t-il. On a passé un moment incroyable. Parce qu’on a pris le temps, que j’avais confiance, que je fais un travail sur mon estime de moi, sur mon rapport à mon corps. Ça m’a fait réaliser qu’avant j’avais une sexualité épanouie. En fait, les drogues désinhibent tellement qu’on n’essaye même plus de faire monter la sensualité soi-même. Sans produit, on a une sexualité altruiste.”

Altruiste, mais différente. Tristan, 27 ans, a aimé les exploits que lui permettait de réaliser le chemsex mais s’est rendu compte que la tendresse était une “performance” que beaucoup de mecs aimaient aussi. “J’ai développé une sexualité beaucoup moins axée sur la pénétration, explique-t-il.Sous chems, on a tendance à vouloir aller directement au but. Depuis que j’ai arrêté, les câlins sont prépondérants, on se donne du temps pour se découvrir.”

Régler ses problèmes

Parfois, il est aussi nécessaire de s’interroger sur les blocages sexuels antérieurs que les produits ont pu, un temps, mettre de côté. La difficulté à être passif, l’hypersexualité, ou encore une mauvaise image de soi. Il ne faut alors pas hésiter à en parler avec un·e professionnel·le. “L’image du corps, ses complexes, comment on se sent avec son orientation… Dans tout travail en sexologie, il faut se poser ces questions. Il y a un lien évident entre homophobie intériorisée et malaise dans la sexualité, et en prendre conscience est une première étape, prévient l’addictologue Dorian Rollet. Par ailleurs, l’addiction sexuelle est souvent liée à un désœuvrement, à l’ennui, ou à quelque chose de subdépressif.”

Se faire du bien

Une fois ces étapes passées, avec leurs réussites et leurs échecs, arrive un jour où les parties de jambes en l’air deviennent de nouveau satisfaisantes. “Et ce sexe est beaucoup plus réel, s’extasie Victor, 37 ans. Il faut juste trouver la personne avec qui l’on créera un équilibre, et que l’on connaît suffisamment pour lui faire confiance et ne pas avoir peur.” Aujourd’hui, sa sexualité sous drogues ne lui manque pas. “J’ai pris beaucoup de plaisir. J’y reviendrai peut-être, mais pour l’instant je n’en ai plus envie, affirme-t-il. Il faut se demander : qu’est-ce que ça remplit comme fonction, et comment la remplir autrement ?”

D’autant qu’arrêter le chemsex ne veut pas dire tirer un trait sur certains exploits. “C’est probablement plus difficile d’assumer des pratiques hard sans produit, reconnaît le sexologue Pierre Cahen. Mais on n’est pas obligé d’y renoncer. La solution peut être de les diversifier plutôt que se focaliser sur 'je ne peux jouir que comme ça'.” Mikaël, en couple, avec une très grosse libido, s’autorise encore parfois une petite session chemsex avec son mec, mais ces dernières sont rares. Le reste du temps, affirme-t-il, ses parties de jambes en l’air sont tout aussi intenses, et ce grâce à la communication. “Sous chemsex, tu dis 'défonce-moi et on verra bien'. Sans drogue, il faut se faire confiance, être prêt à essayer, à revenir en arrière, et si l’on ne réussit pas, ce n’est pas grave”, précise-t-il. Après tout, ce n’est que du sexe. 

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Illustration : Paul-Antoine Bernardin et Vaadigm Studio