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spectacle"Pour un temps sois peu", incroyable "stand-up triste" et percutant sur la transidentité

Par Aurélien Martinez le 13/11/2022
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Tout ce mois de novembre à Paris, au Théâtre de Belleville, l’autrice et comédienne Laurène Marx joue son "stand-up triste" Pour un temps sois peu. Un spectacle en forme de "reprise de pouvoir sur la parole intime des trans". Et un uppercut politique.

"Nous les trans on est des petites sirènes, on change nos corps et nos voix pour plaire au prince mais à la fin de la journée on est toujours renvoyées à cette même réalité cruelle : on est des femmes avec des queues." Pour un temps sois peu, c’est un seule-en-scène dans lequel l’autrice et comédienne Laurène Marx se livre frontalement autant qu’elle bouscule son auditoire. Pendant 1h30, elle prend le micro pour ne (presque) plus le lâcher et ainsi partager ses réflexions, son sarcasme, ses colères… "Là, le gaz, il fuit depuis quinze ans, vingt ans et ça va péter... c’est l’heure d’imploser et crois-moi c’est graphique..."

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Lorsqu’on la rencontre à la terrasse d’un café quelques jours après la toute première au Théâtre de Belleville, elle nous précise pourquoi elle qualifie Pour un temps sois peu de "stand-up triste" : "Je voulais que ça soit non didactique, non théorique, accessible à tout le monde, jamais élitiste, en faisant tout apparaître comme des punchlines. C’était important pour moi que ça soit efficace, rythmé." Ça l’est, tant dans le fond, avec un texte frénétique bourré d’ironie acerbe et de pas de côté, que dans la forme, avec une mise en scène sobre faite principalement de jeux autour du fameux micro de stand-up qui permettent, à certains moments, de créer une complicité avec le public, avant de tout casser en une seconde. Intense.

"Si les femmes ne s’habillent plus en femme, en quoi s’habillent les trans ?"

Écrit d’une traite en quelques jours, le texte de Laurène Marx, très oral, met des mots sur son histoire et son quotidien de femme trans non-binaire. "Prépare-toi à être ballottée et à dormir dans le froid des regards, à être renvoyée sans arrêt vers ton pays d’origine : HommeLand. Le pays de naissance de toutes les meufs trans. Ils te parleront avec la même bienveillance insultante qu’ils ont envers les enfants et les migrants, ils te traiteront avec la même violence, tu n’es rien. Tu vas devenir." Phrase après phrase, l’autrice étale sa rage. Et, avec ses saillies adressées autant à elle-même qu’au public, cogne sur beaucoup de monde : la société violemment transphobe, les médecins qui font du mal aux corps et âmes des personnes trans, les soi-disant alliés qui ne le sont pas tant…

En dévoilant avec autant de franchise une large partie de sa vie, Laurène Marx n’a-t-elle jamais eu peur d’aller trop loin dans la mise à nu ? "Ce spectacle, c’est vraiment une prise de risque pour moi", nous répond-t-elle. "Je suis dans l’écriture de l’intime, je l’assume. Si tu écris en ayant honte, ce n’est pas possible. Surtout que dans mon existence, tout est censé me faire honte : je dois avoir honte d’être une femme, je dois avoir honte d’être trans, je dois avoir honte d’avoir une bite… C’est donc hors de question que ceux qui contrôlent ma vie – je ne me maquille pas dans la rue, je ne mets pas de robe… – contrôlent aussi mon écriture."

Son monologue s’avère alors éminemment politique, à l’image de ce passage : "En même temps, tu le sais, tu te le dis : faut être un peu profondément désaxé pour vouloir être une femme. Socialement parlant je veux dire. Celles qui sont nées comme ça, c’est moins leur faute, mais celles qui se battent pour être reconnues comme telles, c’est forcément des désaxées. Ou alors y’a un truc qu’elles n’ont pas compris. Désolée." "Je ne sais pas si ça se voit encore : au départ, je voulais questionner ce qu’est la féminité, complète-t-elle en interview. C’est ce que je dis à un moment sur scène : 'si les femmes ne s’habillent plus en femme, en quoi s’habillent les trans ?' C’est une phrase un peu con, mais elle montre bien ce qu’est la binarité, ce qu’elle nous impose."

"Pas une énième histoire fantasmée"

Avec ce texte féministe d’une grande force (une partie du public, dont nous, sort secouée), Laurène Marx a l’impression d’avoir franchi un cap. "Je pense que j’ai véritablement appris à écrire il y 3-4 ans. Maintenant, je ne peux plus envisager de faire une pièce qui parlerait d’autre chose que de ce que je connais." Elle qui vient de loin ("Je n’ai pas de contacts, je n’ai pas fait d’école, de rien ; je n’ai même pas mon bac, j’ai arrêté l’école à 15 ans") écrit pourtant depuis l’âge de 15 ans – elle en a 35 aujourd’hui. Si, dans son ordinateur, elle a plus de vingt pièces et une dizaine de romans en jachère nous raconte-t-elle, elle a également déjà plusieurs textes publiés.

Quant à son joliment titré Pour un temps sois peu, il a vu lui le jour en 2019, dans le cadre d’une commande d’écriture passée par un festival sur le thème "c’était mieux après". S’il a d’abord été porté par une comédienne cisgenre (le spectacle est créé en ce mois de novembre à Rennes et tournera ensuite), Laurène Marx a finalement décidé cette année d’également le jouer elle-même, avec l’aide de la metteuse en scène Fanny Sintès. D’où ces punchlines en note d’intention qui résument toute l’aventure (et pourquoi deux spectacles sur la même pièce sont à l’affiche au même moment) : "Une histoire de femme trans par le détail, les détails dangereux, les détails cruels, mais les détails réels raconté par une personne qui l'a vécu, vraiment vécu. Dans sa chair et dans son amitié. Et pas une énième histoire fantasmée, écrite ou jouée par un ou une non trans. Pour un temps sois peu est un manifeste, une reprise de pouvoir sur la parole intime des trans. Une tentative de créer plus de culture. Plus de culture, pas plus de fantasme."

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>> Pour un temps sois peu, au Théâtre de Belleville (Paris) jusqu’au 29 novembre
Tournée en construction (infos à venir sur le site du bureau de production FAB - Fabriqué à Belleville)
Texte disponible en librairie

Crédit photo : Boris Dydim