Après les mots "fierté" et "boycott", le dernier numéro de têtu· disponible en kiosques vous propose de réfléchir au concept bien connu dans la communauté de "famille choisie", construction et recours fréquent des personnes LGBT pour lutter contre la solitude.
“Notre Front sera ce que vous et nous en ferons. Nous voulons détruire la famille et cette société parce qu’elles nous ont toujours opprimés”, avançait le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) dans le journal maoïste Tout ! du 23 avril 1971. Si cette position peut aujourd’hui paraître radicale, elle s’explique aisément à cette époque où les propositions faites aux LGBTQI+ en matière de famille se résumaient au placard, à un mariage hétéro et à une vie de mensonges.
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La situation a fort heureusement évolué, notamment depuis le mariage pour tous, voté en 2013, et la révision de la loi bioéthique, qui a permis à la PMA pour toutes les femmes de voir le jour en 2021. Mais combien d’entre nous avaient déjà renoncé, parfois dès l’adolescence, à fonder cette famille qui nous a si longtemps été refusée ? Combien de lesbiennes n’étant plus en âge de procréer au moment du passage de la loi n’ont pu avoir d’enfant, et combien d’autres, sur liste d’attente, regardent aujourd’hui le temps passer avec angoisse ? Enfin, combien d’hommes incapables de payer les frais d’une GPA à l’étranger renoncent à devenir pères, après avoir fait le constat sans appel qu’ils n’éveillent aucun désir de coparentalité du côté de leurs amies lesbiennes ou hétérosexuelles ?
Une famille d'amis construite pour durer
Alors nous nous sommes depuis longtemps organisés autrement pour tisser des liens avec les autres, affronter le monde qui nous entoure et combler notre besoin d’appartenance. Quand la famille initiale ne joue pas son rôle – selon le dernier rapport de SOS homophobie, 10% des violences exercées contre les personnes LGBTQI+ ont lieu dans la famille nucléaire –, quand celle que nous sommes contraints de renoncer à construire n’existe qu’en négatif par le vide qu’elle laisse dans nos vies, il en est une autre, que certains membres de la communauté ont créée pour tenir le coup : la famille choisie. Si elle répond à un appel affectif, à un besoin de tendresse et de compréhension, on s’y rend aussi des services, partageant coups de main, bons plans ou entraide matérielle. Une famille d’amis construite pour durer, à la fois témoin de nos coups du sort et soutien indéfectible pour les surmonter, perméable et vivante, agissant comme un recours face à la solitude, un refuge face à l’hostilité du monde, mais aussi un lieu où apprendre à lutter contre, ensemble.
C’est pourquoi, à l’heure où les lieux LGBTQI+ disparaissent à bas bruit et où les applications de rencontres ont limité nos interactions à une simple finalité sexuelle, où toute une génération décimée par le sida se trouve aujourd’hui esseulée et boomerisée, où nos homophobies intériorisées continuent de nous isoler et où certains peinent à reprendre le cours de leur existence post-confinement, cette famille choisie que nous avons offerte au monde nous rappelle que l’un de nos principaux combats, et souvent le premier à se poser à nos existences queers, est celui que nous menons de tout temps contre nos solitudes.