Ce 17 janvier, arte.tv sort la saison 2 de Merci de ne pas toucher, websérie dans laquelle Hortense Belhôte ausculte les chefs-d’œuvre érotiques de la peinture classique européenne sous un angle queer et féministe. têtu· a rencontré cette historienne de l’art pas comme les autres qui s’est également lancée dans une série de "conférences spectaculaires" à voir partout en France.
Un garage encombré d’outils et de voitures. En arrière-plan, des mécaniciennes s’affairent pendant que l’une d’elles, débardeur blanc taché de cambouis et pied de biche en main, s’avance vers la caméra. Tout en marchant d’un pas chaloupé (ou langoureux), elle se met à disserter sur Diane, déesse mythologique de la chasse qui "vit avec sa bande de nymphes dans la forêt et refuse l’abord des hommes […] Elles sont à la fois vierges et lesbiennes, nues et menaçantes, séduisantes et hyperviolentes. Mais pourquoi sont-elles aussi méchantes ?" Générique.
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Début 2021, arte.tv sort Merci de ne pas toucher, websérie sur "la puissance érotique de quelques-uns des 'chefs-d’œuvre' de la peinture classique européenne" – Diane et Callisto du Titien dans le cas de l’épisode cité en ouverture de cet article. Le succès est conséquent, la chaîne annonçant aujourd’hui dans ses communiqués de presse près de 120 millions de vues toutes plateformes confondues ! Aux commandes de cette aventure, la comédienne, autrice et historienne de l’art Hortense Belhôte, que l’on a rencontrée début janvier dans un café parisien avant la présentation à la presse des épisodes de la saison 2. Elle nous a tout d’abord expliqué s’être lancée dans ce projet avec la réalisatrice Cecilia de Arce à la suite d'une performance sur l’érotisme dans l’art classique réalisée en 2017 pour le Festival du Film de Fesses (Paris). Le public apprécie, et notamment des professionnels de l’audiovisuel qui lui soumettent l’idée de décliner son concept en vidéo. Après plusieurs mois d’échanges, elle signe avec Arte.
Merci de ne pas toucher à Tahnee, Bambi…
En découlent dix pastilles qui, si elles se concentrent sur des chefs-d’œuvre de l’art classique (L’Origine du monde de Gustave Courbet, La Laitière de Johannes Vermeer, Olympia d'Édouard Manet…), sont on ne peut plus contemporaines dans leur mise en scène. Hortense Belhôte, dont le travail d’écriture théâtralise son récit, évoque ainsi des tableaux du passé dans des lieux quotidiens (un lavomatique, un magasin de fruits et légumes, un terrain de foot, un institut de beauté, un cimetière…) avec, pour chaque épisode, le concours de comédiennes et comédiens d’un jour. Dont, dans la saison 2 qui est publiée ce mardi 17 janvier, quelques "guests" comme Claude-Emmanuelle, influenceuse et artiste – " j’aimais l’idée qu’en tant que femme trans, elle soit, dans un épisode, l’un des avatars de la Vierge Marie" –, l’humoriste lesbienne Tahnee (en mode meilleure amie) ou encore Bambi, ancienne icône des cabarets travestis parisiens qui joue sa grand-mère dans un épisode – celui sur La Maja vêtue de Francisco de Goya. Toutes ces personnalités devenant ensuite les personnages vivants du tableau recréé avec Hortense Belhôte en fin d’épisode. Grandiose et efficace.
"Je cherche à mettre en perspective l’histoire de l’art à travers mon point de vue de femme lesbienne."
Que ce soit dans la première saison, légère, ou la deuxième, "peut-être plus salée", l’approche d’Hortense Belhôte est savoureuse. "Je ne parle que de tableaux dont j’aime la prise de position. L’idée n’est surtout pas de passer à tabac les grands maîtres, mais de se réapproprier leur regard, toujours dans la joie. Je cherche, à travers mon point de vue de femme lesbienne, à mettre en perspective l’histoire de l’art avec des questions contemporaines politiques et sociales, notamment féministes et queers." Pour la nouvelle saison, elle a par exemple choisi L’Assomption de la Vierge de Nicolas Poussin dans un épisode intitulé PMA pour tout.te.s, Leonidas aux Thermopyles de Jacques-Louis David dans l’épisode Gay Games ou encore Femme se baignant de Rembrandt dans l’épisode Ras la moule.
"J’ai envie de présenter une autre manière de penser l’histoire de l’art ; manière qui existe déjà d’ailleurs, notamment dans le milieu universitaire. Il y a par exemple des gens qui bossent sur le queer byzantin du Moyen-Âge, même si leurs voix sont moins entendues. Merci de ne pas toucher, c’est donc une fenêtre populaire sur ces connaissances qui sont là mais qui ne sont pas mises en avant." Elle prend l’exemple du tableau Hercule et Omphale de Pierre Paul Rubens, sélectionné dans la saison 1 et peu étudié sous l’angle queer. "Alors que tout l’est là-dedans, avec un double travestissement et une inversion des rôles. Ça saute aux yeux, il n’y a même pas à ouvrir un bouquin pour le voir. Elle est géniale cette histoire, il faut la raconter, surtout qu’elle doit faire plaisir à plein de gens."
Les "conférences spectaculaires"
Voici la mission que se donne Merci de ne pas toucher, que Hortense Belhôte aimerait poursuivre sur plusieurs saisons. Mais la jeune femme, touche-à-tout formée à l’histoire de l’art en même temps qu’au théâtre dans un conservatoire d’arrondissement parisien, s'aventure aussi sur de nombreux autres terrains. Comme celui de la "conférence spectaculaire", terme qu’elle utilise pour nommer les spectacles atypiques dans lesquels elle théâtralise ses connaissances tout en livrant une partie de sa vie sur scène. Des propositions réjouissantes qui abordent, toujours avec une approche plus ou moins queer, des sujets aussi variés que le football féminin, l’histoire des graffeuses ou encore le Château de Vaux-le-Vicomte. "L’objectif est de populariser des concepts pointus, pensés par des universitaires ou des minorités, de manière ludique et documentée, en bousculant les hiérarchies culturelles."
Elle a déjà créé six de ces "conférences spectaculaires", qui tournent partout en France et dont les dates de tournée sont sur son site. La septième s’intitulera Portraits de famille 1789 et mettra en avant "des personnages un peu oubliés de la Révolution française, principalement des femmes émancipées, des Noirs et des queers. Par ce biais, je m’interroge sur la fabrique de la figure du héros et sur les raisons qui font que ces personnes ont été oubliées du récit national." La création est prévue le 14 mars à l’Espace 1789 de Saint-Ouen (Île de France), et prendra ses quartiers en mai durant plusieurs semaines au Théâtre de l’Atelier (Paris). On sera dans la salle !
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Crédit photo : Barberousse Films