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spectacle"Arrête avec tes mensonges" de Philippe Besson aussi adapté au théâtre

Par Aurélien Martinez le 15/01/2023
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Le théâtre de la Tempête, à Paris, propose une adaptation d'Arrête avec tes mensonges, roman autobiographique de Philippe Besson sur un amour fougueux entre deux lycéens. Un récit qui évoque autant l’homosexualité interdite que le déterminisme social, ou encore l’empreinte douloureuse des premières passions amoureuses.

"Je pense que tout se forge quand on a 17-20 ans, et moi j’ai été fabriqué par ce garçon ; je ne suis pas écrivain s’il n’y a pas Thomas." C’est l’histoire, au milieu des années 1980, à Barbezieux en Charente, de deux adolescents amenés à découvrir les tourments de la passion charnelle et amoureuse. Une histoire "vraie", autobiographique, que l’écrivain Philippe Besson a racontée trente ans plus tard dans son roman Arrête avec tes mensonges, sorti en 2017. "Plus vous allez à l’intime, plus vous allez à l’universel", nous a expliqué l'auteur dans une interview (à retrouver dans le magazine têtu·) réalisée à l’occasion de la sortie, prévue pour le 23 février, de l’adaptation du roman au cinéma par le réalisateur Olivier Peyon.

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À Lyon, les metteur·euses en scène Angélique Clairand et Éric Massé (Compagnie des Lumas) ont également choisi de s’emparer des mots de Philippe Besson, mais en usant cette fois des outils du théâtre. Des outils moins réalistes, moins figuratifs, plus poétiques, qui décalent subtilement le roman. Dans un décor évoquant tour à tour un appartement, un terrain de sport ou encore un lieu plus secret dans lequel on pénètre par effraction, deux interprètes magnétiques (Étienne Galharague, félin dans le rôle de Thomas, et Mariochka, comédienne non-binaire espiègle dans le rôle de Philippe Besson) donnent corps à cette fougue adolescente que chacun des deux lycéens vivra à sa manière (contrôlée pour l’un, exaltée pour l’autre), se cachant tous deux d’une société homophobe…

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Crédit : Jean-Louis Fernandez

L'histoire d'amour entre Philippe Besson et Thomas

Sur scène, l’élan ardent entre Philippe Besson et Thomas est livré fragmenté, en bribes tantôt dialoguées, tantôt transmises au public par les deux interprètes campant un Philippe Besson jeune puis adulte, parfois ensemble sur le plateau – comme lorsque le Besson du futur engueule celui du passé sur ses goûts musicaux ! Un habile jeu de mise en scène qui permet d’entrer dans le récit par de nombreuses portes (visuelles et sonores notamment, avec tout ce travail autour de l’ambiance des années 1980), dont les plus intimes.

Mais au-delà de l’histoire d’amour entre deux jeunes hommes, c’est le déterminisme social qui pèse sur eux dès le début, cette "difficulté d’être soi dans certains contextes sociaux et familiaux", qui a intéressé Angélique Clairand et Éric Massé, lesquels ont inscrit leur spectacle dans un cycle de créations baptisé "déchirures sociales". Un aspect au cœur du roman de Philippe Besson, comme l’écrit ce dernier lorsqu’il se met dans la tête de Thomas, fils de paysan taiseux qui n’imagine pas faire autre chose que reprendre la ferme de son père une fois ses études terminées : "Il sait quelque chose que je ne sais pas : que je partirai. Que mon existence se jouera ailleurs. Loin, très loin de Barbezieux, de sa langueur, de ses ciels plombés, de son horizon bouché. Que je m’en échapperai comme on s’évade d’une prison, que moi, j’y réussirai." Pour appuyer leur démarche, Angélique Clairand et Éric Massé citent ainsi dans le livret de la pièce de grands noms de la littérature française ayant écrit sur ces questions – Didier Éribon (Retour à Reims), Annie Ernaux (La Place) et Jean-Luc Lagarce (Juste la fin du monde) –, extraits à l’appui.

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Un même comédien pour Thomas et son fils, Lucas

Sur scène, ces possibles filiations se matérialisent pleinement à travers le personnage de Philippe Besson adulte (interprété par le comédien et chanteur charismatique Raphaël Defour), à partir de qui le récit est lancé. La première scène le présente en auteur accompli interviewé sur son travail. Il répond d’abord consciencieusement aux questions avant qu’une voix off (la sienne) ne chamboule tout, faisant resurgir des pensées moins lisses… C’est ce même Philippe Besson adulte qui rencontrera par hasard un jeune homme ayant les traits de son amour de jeunesse disparu. Une ressemblance tout sauf fortuite : ce Lucas face à lui est le fils du Thomas tant aimé et volatilisé depuis une trentaine d’années. Le choc, pour Philippe Besson, est immense. Dans la dernière partie du spectacle commence entre eux un jeu d’apprivoisement avec des moments forts, à l’image de celui où le jeune Lucas (interprété par le même comédien que le Thomas jeune) explique comment son père suivait passionnément toutes les interventions télévisuelles de Philippe Besson. Poignant.

Le titre du roman – le même que celui du spectacle – que Philippe Besson a choisi en référence à une phrase de sa mère ("Quand j'étais enfant, ma mère ne cessait de me répéter : 'Arrête avec tes mensonges.' J'inventais si bien les histoires, paraît-il, qu'elle ne savait plus démêler le vrai du faux. J'ai fini par en faire un métier, je suis devenu romancier.") peut aussi se comprendre comme une supplique adressée au jeune Thomas par le Besson adulte : arrête de te raconter des mensonges, aime-moi malgré tout. Et surtout, ne disparais pas.

>> Arrête avec tes mensonges, au Théâtre de la Tempête (Paris) jusqu’au 5 février. Du mardi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h30.

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Crédit : Jean-Louis Fernandez