Chaque année à Anvers, en Belgique, le Darklands Festival attire de nombreux adeptes du fétichisme. À l'occasion de l'édition 2023, qui s'est tenue en mars, têtu· vous propose le récit d'une première fois, qui devrait en appeler de nombreuses autres…
"Ting!" Mon mec vient de m’ajouter sur le groupe WhatsApp “Anvers2023”. Dans une semaine, je mettrai les pieds pour la première fois à Anvers dans le monde mystérieux de Darklands, le plus grand festival fétichiste d’Europe. Les membres se connaissent déjà bien et ont quelques habitudes à Anvers et à Berlin. Je me présente, sobrement. Un des membres nous présente sa "slut". On apprend qu’elle est à ses ordres depuis plusieurs mois, depuis qu’il l’a rencontrée lors d’une soirée fétiche, et à sa disposition durant tout le week-end. Je me souviens avoir déjà reçu une photo préalable d’elle, à quatre pattes, avec un masque et une queue de puppy. "Six mois de chasteté !" dit-elle en guise de présentation. Premier sujet de conversation : les grèves, en France et en Belgique. Cette année, aller à Anvers se mérite.
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Deux semaines plus tôt, dans une boutique spécialisée : "Tu es sûr que ça met en valeur mon cul ?" Je tâche de choisir au mieux le peu d’habits que je porterai au cours du week-end. Ce sera donc un harnais/jock-strap en Néoprène, avec attache pour cockring. En boutique il est disponible en jaune, ou encore en rose et jaune fluo. Je demande un rouge. “Ce sera écrit fist sur ton front avec cette couleur !” me répond-on. Je suis dévoilé. Comme les bandanas fut un temps, à chaque fétiche sa couleur. Seuls le bleu et le vert fluo complètent la gamme. Ce sera donc le noir, qui n'indique rien. Commande est prise pour le récupérer directement sur place.
Darklands Festival : le diamant fétichiste d'Anvers
Vendredi. Sur le quai de la gare du Nord, de nombreux hommes avec une valise imposante attendent le même train que notre petite bande. Ce Thalys qui va à Amsterdam Central emporte probablement avec lui la collection 2023 de Darklands. Les coups d’oeil complices et discrets annoncent l’ambiance anversoise : le seul jugement qui vaille est celui que l’on porte sur son propre plaisir. Anvers est synonyme de bienveillance, d’accueil, d’ouverture. L’espace de quatre jours, être entièrement soi-même… Vous imaginez ? Les fantasmes des hommes sont infinis, Anvers sera grande, très grande !
L’appartement, situé au centre d’Anvers, est une scène de théâtre où chacun va naturellement trouver son rôle. L’apéro est un moment fort de rencontre, et des "amis" se joignent à nous, des "spécialistes". Et ça tombe bien, la "slut" va leur servir de support pour nous initier au bondage et aux nœuds, qu’ils pratiquent comme un art. Le public est conquis ! Nous prenons l’apéro, avec ou sans alcool, selon les goûts, en plus de ce que les uns et les autres prendront ensuite dans la soirée. Dernier check aux toilettes. Nous sommes prêts.
Lieux de baisance et autres fistodromes
Pour profiter au mieux de la soirée, on dépose nos affaires dans des casiers, tout petits. Peut-être un peu trop pour y entasser les chaudes pelures qui permettent de survivre dans cette ville de l'estuaire de l'Escaut, donnant sur la mer du Nord. Me voici en harnais – récupéré sur place – et jock au milieu de 3.000 festivaliers. Je prends une ecsta. Premier tour de piste, et déjà un premier constat : tous les mecs sont sympas ! Quelles sont loin les soirées où l'on se dévisage de travers ! Grands, petits, musclés, bears, jeunes, vieux… tout ce beau monde coexiste ici avec bienveillance, et à en juger par les interactions qui m'entourent, chaque pot promet d'avoir son couvercle. Au fond et sur les côtés, des rideaux indiquent les lieux de baisance. Un peu plus loin, le fistodrome, qui succède aux glory holes ; à gauche, le pissodrome, et à l’entrée, le "food court", l'espace de restauration. Comme un petit air de Parly 2.
"Je croise un collègue de boulot, la bite à l’air et en harnais. Grand sourire."
Esprit de groupe, on se retrouve régulièrement sur la grande scène où, décidément, le DJ fait merveille. Moi qui n’aime pas danser, je me trémousse avec entrain et plaisir au milieu de la foule dénudée. Mes amis, protecteurs, me gardent à l'œil. On s’éclate d’autant mieux quand on sait que d’autres veillent sur nous. Je quitte bientôt la piste de danse pour la chambre sombre. Comme toutes les backrooms, on s’y croise, on se touche et se renifle. Des espaces plus ou moins occupés se succèdent. Ceux qui aiment se montrer sont dans la lumière, ceux préférant l’obscurité pas très loin à côté. Le premier soir, c’est un peu le choix de l’embarras. Je papillonne et savoure cet accès débridé à des relations charnelles sans lendemain, mais sensuelles, bienveillantes, attentives, respectueuses et réjouissantes. Saint PrEP veille sur nous. Tiens, je croise un collègue de boulot, la bite à l’air et en harnais. Grand sourire. Le deuxième soir, avec un partenaire trouvé sur place, nous passons la soirée ensemble à nous fister mutuellement. Je n’ai pas l’habitude de cette pratique, mais dans cette atmosphère libérée, je parviens à lever mes barrières mentales. Jamais je n’ai autant joui de la liberté sexuelle procurée.
Le dimanche matin, à 6h, la musique s’interrompt. Elle nous aura emportés jusqu'au bout. Je retrouve ma bande et traversons les espaces où quelques puppies cherchent encore leurs maîtres. Après avoir accueilli tout un tas de sévices bien sentis, l’espace punition est désormais silencieux. Les toilettes ne font plus l’objet de ces longues files dans lesquelles les uns et les autres préparaient de quoi être ingéré par le nez. Les indéfectibles reviendront pour la dernière soirée, le soir même. Moi, je dois rentrer pour bosser lundi. Malgré ces deux soirées physiquement intenses, je me sens léger, heureux d’avoir partagé ce moment avec ces milliers de personnes, mon mec et des amis, avec lesquels je n'avais probablement jamais autant baissé la garde. Dans ce monde de marionnettes où chacun joue son petit rôle, le grand théâtre d’Anvers a un goût d’authentique.
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