The Rocky Horror Picture Show rencontre West Side Story dans Please Baby Please, la fantaisie queer de la réalisatrice indé Amanda Kramer, à découvrir sur la plateforme Mubi.
“Tu as envie de perdre le contrôle ?” lance Teddy à Arthur, qui peine à cacher son trouble face à cet ersatz de Marlon Brando jeune. Perdre le contrôle, c’est aussi ce que nous propose Amanda Kramer, réalisatrice remarquée de films queers underground (Paris Window, Ladyworld, Give Me Pity!). Interrogée par le festival LGBT américain Out On Film, elle déclare avoir conçu Please Baby Please, son dernier ovni, comme “un voyage dans le temps dans un esprit contemporain”. L’intrigue, qui prend place au coeur des années 50 dans le Lower East Side, quartier bohème d’un Manhattan fantasmé, suit l’éveil queer d’un couple qui vient d'assister à un meurtre. D’abord effrayé par le gang qui l’a perpétré, Suze et Arthur deviennent fascinés par leur style de vie hors-la-loi, où s’entremêlent violence, sexe et liberté.
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Ce fantasme queer à l’esthétique léchée se déguste comme une friandise au goût imprévisible. Dans un paysage cinématographique désespérément uniformisé, il y a quelque chose de grisant à ne pas savoir à quoi ressemblera la prochaine scène : un numéro de danse dans une ruelle sombre, une explosion de violence, ou la complainte d’une drag queen dans une cabine téléphonique ? Raté, ce sera une apparition de Demi Moore en voisine vamp. Incarnée par une Andrea Riseborough d’anthologie, en train de briser ses chaînes d’épouse au foyer pour laisser hurler la lesbienne butch qui sommeille en elle, Suze n’est pas insensible à cette voisine dark de l’étage du dessous, qui simule devant elle un orgasme en faisant mine de s’étrangler. NSFW.
Blousons de queers
Quant à Harry, entre deux réflexions sur son couple et une masculinité traditionnelle qui l’enserre, il brûle de désir pour Teddy, un doux bad boy qui ne lâche que très rarement son blouson en cuir, sa casquette gavroche et son tee-shirt résille noir. Il représente une version queer de la sous-culture des greasers, les “blousons noirs” des années 50, ces gangs de jeunes hommes de la classe populaire, super virils sur leur bécanes, qui faisaient trembler les bourgeois et se pâmer les jeunes femmes. Mais cette fois, la jeune première prend les traits de Harry Melling (Harry Potter, Le Jeu de la Dame), et Karl Glusman (The Neon Demon, Love) incarne le voyou, un savant mélange entre Marlon Brando époque L’Équipée Sauvage et John Travolta dans Grease.
Si l’ombre de ces figures hollywoodiennes plane sur ce personnage, l’acteur nous révèle que sa source d’inspiration pour incarner Teddy a été… Angelina Jolie ! “Il ne s’agissait pas de la copier, mais je voulais capturer son essence dans certains de ses films, comme Une vie volée. Il y a quelque chose de si sensuel et de si sauvage en elle. Elle a été ma muse.” Les illustrations du dessinateur Tom of Finland, qui a popularisé toute une sous-culture SM et gay dans les années 60/70, dont la fameuse imagerie du motard en cuir, émaillaient aussi le plateau.
Le tournage du film a eu lieu en plein covid et au cœur de l’hiver 2020, dans le Montana, où les températures ont atteint les -20°. Si les conditions de travail étaient parfois extrêmes, avec un budget serré, “Amanda a créé un espace safe au sein duquel rien de ce qu’on proposait n’était vu comme raté”, se souvient Karl Glusman. L’acteur ne tarit pas non plus d'éloges sur ses partenaires de jeu, en particulier Harry Melling, avec lequel il partage la majorité de ses scènes. “Harry est un acteur très généreux, qui fait confiance à ses partenaires. [...] Il y a une scène dans le film, où son personnage prend ma casquette et l’essaie sur lui. C’est un clin d'oeil à Sur les quais, quand Marlon Brando essaie un gant. Je ne savais pas qu’il allait faire ça, et c’était une belle surprise.”
Please Baby Please joue la mise en abime
Les questions du trouble dans le genre et du désir queer réfréné, représentés par l’invasion de ce gang dangereux et sexy dans leurs vies, se trouvent au cœur de la réflexion de Please Baby Please. Comme Janet et Brad dans le culte The Rocky Horror Picture Show, Suze et Arthur étouffent dans leurs rôles hétéronormatifs respectifs. “Le script évolue autour de cette idée des rôles que l’on joue, et qui sont largement déterminés par notre genre, dans une société patriarcale, dominée par les hommes. [...] J’adore cette idée de ne pas rester dans la case qu’on vous a attribuée”, analyse Karl Glusman.
Si le manque de moyens transparaît parfois, avec un petit côté pièce de théâtre, Please Baby Please se démarque grâce à une esthétique léchée (une photographie aux néons roses et violets, qui évoque le style de Nicolas Winding Refn), au soin apporté aux numéros musicaux décalés, à ses dialogues savoureusement camp – du genre “je joue de la clarinette”, “joue-moi, tu verras comment je gémis” – et à un casting impeccable au service du regard féminin d’Amanda Kramer, unique en son genre.
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Crédit Photo : Music Box Films