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cinéma"Scream", le slasher le plus queer des années 90

Par Marion Olité le 22/03/2023
Billy et Stun deux personnages codifiés queer dans le premier "Scream"

Réalisé par Wes Craven en 1996, le premier Scream, écrit par le scénariste gay Kevin Williamson, a tout du plus queer des films de tueurs de l'époque. Mais depuis les débuts de Neve Campbell dans le rôle de Sidney Prescott, métaphore de la queerness, les personnages LGBT de la franchise, souvent sacrifiés, ont fait du chemin.

Dans un paysage cinématographique longtemps hermétique à une représentation LGBTQI+ explicite, le genre horrifique offre depuis longtemps des alternatives. Du Psycho d’Alfred Hitchcock (1960) aux monstres over the top de la série American Horror Story de Ryan Murphy (depuis 2011), le méchant codifié queer est un trope décrié pour sa représentation négative, mais que la communauté LGBTQI+ s’est aussi réappropriée à travers des oeuvres cultes, comme The Rocky Horror Picture Show (1975). Quand on est habitué à être perçu comme un monstre au sein d'une société hétéronormative qui a peur de nous, on a des chances de développer un certain attachement pour ce type de personnages. Et tant qu’à être vu comme un monstre, autant l’assumer et profiter du pouvoir que cette figure peut procurer.

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Laurie Strode, Sidney Prescott… Place aux "final girl"

La naissance du slasher à la fin des années 70, sous-genre horrifique dans lequel un tueur masqué (ou plus rarement une tueuse) trucide un groupe de personnages, en général jeunes et fêtards, a permis une autre identification, plus en prise avec la réalité des existences LGBTQI+. Le succès de Halloween, en 1978, crée un nouvel archétype, celui de la final girl, le seul personnage féminin de l’histoire qui survit au massacre, grâce à son intelligence et à ses qualités combatives. En 1996, Kevin Williamson écrit le premier script de sa carrière, Scream. Ce film d’horreur, qui déconstruit les codes du slasher avec humour, est une déclaration d’amour aux films de John Carpenter, avec lequel il a grandi. Incarnée par Neve Campbell, Sidney Prescott est une final girl d’un nouveau genre.

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Neve Campbell dans le rôle de Sidney Prescott (Scream)

Digne héritière de Laurie Strode (Jamie Lee Curtis), cette lycéenne torturée est considérée comme “anormale” par ses camarades, car sa mère a été brutalement assassinée il y a un an. Traumatisée, elle doit endurer de cruelles rumeurs sur sa génitrice réputée infidèle, et, pour couronner le tout, un tueur masqué commence à s’en prendre à elle. Il se pourrait même que derrière le masque de Ghostface se cache son petit-ami, Billy Loomis. Une jeune personne persécutée pour des raisons sur lesquelles elle n’a aucun contrôle, qui ne peut faire confiance à personne, est regardée par ses pairs comme une bête curieuse, mais continue de se battre juste pour avoir le droit d’exister ? Sidney Prescott a définitivement des points communs avec la jeunesse LGBTQI+. "En tant qu'enfant gay, je m’identifiais à la final girl et à son combat, parce que c'est aussi ce qu'il faut faire pour survivre en tant que jeune homosexuel. Vous regardez cette fille survivre à la nuit et au traumatisme qu'elle subit… Je pense que les films Scream parlent inconsciemment de la survie gay", a récemment expliqué Kevin Williamson dans une interview.

Si le personnage de Sidney peut être analysé comme une métaphore de la queerness et de la résilience face aux brutes, celui de l’ambitieuse reporter Gale Weathers apparaît comme une mean girl attachante à la répartie de feu, doublée d’une icône fashion. Ses looks légendaires à chaque volet de Scream font le bonheur de la génération Z sur TikTok, où l'occurrence “gale weathers costume” compte plus de 300 millions de vues. Ces personnages féminins badass n’ont d'ailleurs pas tardé à devenir des icônes gays, au même titre que leurs actrices, Courteney Cox et Neve Campbell.

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Les Bonnie & Clyde gay

Les tueurs de Scream, Billy Loomis et Stu Macher, sont eux codifiés queer. Kevin Williamson s’est inspiré d’une histoire vraie, celle de Nathan Leopold et Richard Loeb, deux amants âgés de 19 ans et 18 ans qui décidèrent de préméditer le meurtre d’un garçon de 14 ans, Bobby Franks, en 1924, pour commettre le “crime parfait” et prouver leur supériorité intellectuelle. Eux aussi persuadés d’avoir prémédité le massacre parfait, Billy et Stu affichent une forte intimité tout au long du film, et sont tactiles l’un envers l’autre. “On regarde des films, on prend des notes, on s’éclate !” lance Stu, la tête appuyée sur la nuque de son complice.

"Je suis prêt bébé, vas-y !"

La façon dont Skeet Ulrich incarne Billy, ses regards et attitudes, puis la fameuse scène où les deux jeunes hommes se poignardent (“je suis prêt bébé, vas-y !” hurle Stu en offrant son corps à Billy) sont autant d’éléments codifiés queer. Tout comme l’humour d’un film résolument camp. Pour Neve Campbell, la relation entre Billy et Stu peut être interprétée comme un “amour naissant” : “Peut-être qu'une partie de leur colère vient du fait qu'ils ne sont pas autorisés à être qui ils veulent.” Cette interprétation gay a d’ailleurs été exploitée dans Scary Movie, parodie de Scream sortie en 2000, dans laquelle Bobby (Billy) dit à Cindy (Sidney) qu’il est gay.

Si Scream reste un classique pour la communauté LGBTQI+, Kevin Williamson s’en veut de s’être autocensuré et d’avoir proposé une représentation rétrospectivement timide, qui tombe dans le trope hollywoodien du méchant codifié queer. “J’étais très hésitant à représenter mon côté gay dans mon travail. Aujourd’hui, peut-être que je serais plus courageux. Peut-être que je ne serais pas ce petit écrivain gay timide qui avait l'impression qu’on ne le laisserait pas faire.” Kevin Williamson a tout de même marqué l’histoire de la représentation LGBTQI+ sur les écrans avec sa série, Dawson (1998-2003), qui met en scène le coming-out du personnage de Jack McPhee durant sa saison 2, puis le premier baiser romantique gay dans une série américaine en saison 3 (2000).

Du burry your gay aux "final queers"

De son côté, la franchise Scream a connu trois autres volets, durant lesquels on note l’apparition de quelques icônes gays, comme Laurie Metcalf et Sarah Michelle Gellar (Scream 2), ou encore Parker Posey et Carrie Fisher (Scream 3). Le deuxième volet compte un personnage gay très secondaire, l’officier Andrews, mais sa fonction, garde du corps de Sidney, est un clin d’oeil à l’amour que les gays portent à leur final girl. Scream 4 (2011) blague même sur le fait que, désormais, être gay pourrait être un atout dans un slasher, car les règles de survie auraient changé. Attaqué par Ghostface, le personnage de Robbie lui lance “je suis gay, si ça peut aider !”, avant de mourir. Les scénaristes sont alors encore loin de contrer le trope “Enterrez vos gays”, soit la tendance à tuer de façon disproportionnée et cruelle les personnages LGBTQI+ dans les récits.

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Pour cela, il faut attendre Scream 5. Sorti en 2022, il introduit le premier personnage queer de la franchise : Mindy Meeks-Martin, une jeune femme lesbienne bien dans ses baskets qui a des petites amies, adore son frère jumeau Chad et possède, comme feu son oncle Randy, un savoir encyclopédique des films d’horreur. Elle est devenue une chouchoute des fans et une nouvelle final girl (pour le moment…). Une représentation positive, et encore trop rare, qui nous donne envie de protéger Mindy à tout prix ! Son interprète, Jasmin Savoy-Brown (vue également dans la série Yellowjackets), est aux anges : “Ce que j’adore dans le personnage de Mindy, c’est que c’est une femme noire et queer, comme moi, je suis vraiment fière de l’incarner.” L’arrivée de Mindy coïncide avec une vraie embellie, observée récemment dans la représentation des personnages LGBTQI+ dans les films d’horreur américains. De They/Them (2022) à la série Chucky (2021), en passant par Bodies, Bodies, Bodies (2022), les protagonistes queers se retrouvent enfin au centre de l’intrigue, et ils ne sont plus les monstres, mais bien les nouvelles final girls.

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Marion Olité