Abo

exposition"Le corps, ce peau-ème" : sensualité queer à la galerie Nouchine Pahlevan

Par David Pons le 07/04/2023
l'exposition "Le corps, ce peau-ème", à la galerie Nouchine Pahlevan, à Paris

La galerie parisienne Nouchine Pahlevan accueille l'exposition Le corps, ce peau-ème, où les oeuvres picturales d'Alireza Shojaian, Morteza Khosravi et Clément Louis se répondent, entre mélancolie queer et nus politiques.

Ce sont trois artistes que propose de découvrir la galerie Nouchine Pahlevan, située dans le troisième arrondissement de Paris, jusqu'au 29 avril. Trois jeunes artistes, parmi lesquels deux Iraniens, Morteza Khosravi et Alireza Shojaian, et un Français, Clément Louis – qui a déjà signé la couverture de têtu· en rapport avec la problématique du chemsex –, dont le travail sur les corps se répondent dans leurs sensualités graves et peau-étiques. On vous en dit plus sur cette jolie expo en forme de safe space.

À lire aussi : Zanele Muholi à la MEP : le regard queer à ne pas rater ce printemps

Les corps mélancoliques d'Alireza Shojaian

C’est le printemps, et sur les murs verdoyants de la galerie Nouchine Pahlevan fleurissent les désirs toquades de l’artiste iranien Alireza Shojaian. De ses coups de foudre passagers, il a fait des dessins impressionnants de technique et de sensualité. Chacun de ses traits de crayon participe à donner vie aux corps queers qu'il a choisi de représenter, modèles qui semblent avoir sur lui une lumineuse influence.

"Quand vous étiez loin de moi, vous étiez encore présent dans mon art."

Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde, 1890.

On ressent chez l'artiste l’urgence de se souvenir, d’archiver les désirs pour ne plus les perdre. Alireza Shojaian a grandi dans un pays où l’homosexualité "n’existe pas" – dixit l'ancien président de la République islamique Mahmoud Ahmadinejad –, où les corps queers sont invisibilisés et leurs identités effacées. Avec son travail, il tente de faire briller celles et ceux qui lui ressemblent, et nous cite une phrase tirée du Portrait de Dorian Gray, d'Oscar Wilde, "quand vous étiez loin de moi, vous étiez encore présent dans mon art".

Sur le mur toujours, des Polaroïds – notamment ceux représentant Jake et Clément – et autres artefacts sont présents. Le masque que tient Jake dans sa main sur le dessin est exposé sur une étagère, lui conférant une importance égale aux autres pièces. Comme légende, Alireza Shojaian surligne un passage des Fragments d’un discours amoureux (Roland Barthes, 1977), "tout objet touché par le corps de l'être aimé devient partie de ce corps et le sujet s'y attache passionnément".

Plus loin, le désir encore. Celui d’un couple, Gaëlle et Salwa. Le dessinateur les garde sur le bois pour toujours, dans un moment tendre et câlin, dernières minutes avant de se quitter pour quelque temps. Quand on regarde avec attention, une forme de peine, ou de crainte, se dégage de ces œuvres. Mais dans la douleur exprimée par Alireza Shojaian, la beauté point toujours, qui naît d'un sentiment amoureux.

Clément Louis et ses muses d'aujourd'hui

Le printemps était automne hier, d'où Clement Louis semble avoir puisé son inspiration. La force picturale de cet artiste, autodidacte, repose sur sa maîtrise d’une certaine forme de classicisme, qu'il met au service de ses muses d'aujourd'hui.

Pour l’exposition, il propose deux toiles, deux peintures à l'huile avec, sur chacune, le portrait d’un corps à la paresse douce. Un moment intime et domestique avant l’extérieur, où nos identités sont des combats et nos peaux des armures. La particularité des muses de Clément, c’est qu’elles sont aussi les nôtres, souvent découvertes sur les réseaux sociaux, des endroits privilégiés pour se réapproprier son image. C'est ainsi qu'il nous permet de croiser Le Filip, drag queen perruquée et maquillée, qui fume allongée sur son lit, en peignoir, dans une attitude de diva. Tandis qu'un garçon, Victor, la taille serrée par un corset et les jambes vêtues de bas blancs, nous fixe avec force dans la seconde œuvre – les regards sont toujours très importants et vifs dans le travail de l'artiste.

Les corps peau-litiques de Morteza Khosravi

Au fond de l’exposition, les toiles de Morteza Khosravi détonnent. Des corps de femmes nues, torturés. Des visages cachés, méconnaissables, qui dénotent avec les propositions réalistes des deux autres artistes exposés. Comme Alireza Shojaian, Morteza Khosravi vient d'Iran, où il est interdit de représenter les femmes autrement que couvertes ou voilées. Ces toiles, qu'il a peintes à Paris, sont une façon de soutenir la révolte des femmes iraniennes qui secoue le pays depuis la mort de Mahsa Amini, en septembre 2022.

Vous l'aurez compris, voici trois bonnes raisons de trouver le courage de pousser la porte d'une galerie parisienne, ce qui n'est pas toujours facile mais réserve souvent de très belles surprises.

À lire aussi : Hortense Belhôte, David Bobée, Thomas Jolly… un vent queer printanier souffle sur nos scènes

Crédit photo : Galerie Nouchine Pahlevan