Abo

sériesDu sol aux vampires, dans "Buffy" tout est queer !

Par Marion Olité le 14/04/2023
Buffy et Faith dans "Buffy contre les vampires"

Personnages codifiés queer, ouvertement lesbiens, esthétique camp… Buffy contre les vampires respire la queerness par tous les pores de ses 144 épisodes. Elle est juste née comme ça.

Tu penses que j'ai choisi d'être comme ça ? Tu as une idée de ma solitude ? du danger ?” Quand Buffy révèle à sa mère, Joyce, qu’elle est une tueuse de vampires, cette dernière lui demande si “elle a essayé de ne pas l’être”. Buffy vient de faire son coming out de tueuse, et ça ne s’est pas bien passé. Après une dispute douloureuse, elle fugue à Los Angeles et survit de petits boulots, seule. Ce n’est pas un hasard si la série Buffy contre les vampires – diffusée entre 1997 et 2001 sur The WB, et en France dans la fameuse “Trilogie du samedi soir” sur M6 – bénéficie d’une large communauté de fans LGBTQI+. Buffy Summers (Sarah Michelle Gellar, dans le rôle de sa vie) doit chaque jour cacher qui elle est vraiment et combattre des démons qui symbolisent les angoisses adolescentes.

À lire aussi : "Scream", le slasher le plus queer des années 90

À la fois outsider et pourfendeuse des brutes du lycée de Sunnydale, l'héroïne traverse maintes épreuves auxquelles les jeunes queers peuvent s’identifier, luttant pour sa survie dans des looks mémorables des années 2000 sans oublier d’alterner chaque saison les nuances de blond. Buffy, c’est aussi la puissance du collectif. Ses potes Xander, Willow et son Observateur et père de substitution, Giles, constituent le cœur du Scooby-Gang, une famille choisie qui accueille de nouveaux membres au fil des saisons. De la mode, du drama, de l’humour camp à souhait (“Elle repasse son jean. Elle est diabolique !”)... Vous avez dit iconique ?

Buffy contre l’hétéronormativité

Buffy,queer,lesbiennes,gay,gays

De Carmilla à Dracula en passant par Entretien avec un vampire, la figure du vampire a toujours été chargée d'un potentiel queer. Tout d'abord sexuellement, puisqu'elle vit en dehors des codes de la société, et donc de l’hétéronormativité de celle-ci. Les personnages vampiriques principaux de la série – Angel, Darla, Drusilla et Spike – s'inscrivent d'ailleurs dans cette tradition. Buffy découvre sa sexualité avec Angel, puis l’explore de façon plus adulte avec Spike, en laissant libre cours à ses penchants BDSM. Par ailleurs, les quatre vampires, surnommés “L’Ouragan”, ont vécu en compagnonnage – le polyamour de l’époque ! – pendant un siècle et demi, ravageant l’Europe et l’Asie en s’envoyant en l’air le plus souvent possible.

Buffy et son spin-off, Angel (1999-2004), contiennent par ailleurs des flashbacks situés entre 1753 et 1900, dans lesquels la fluidité sexuelle des personnages est sous-entendue à maintes reprises. Par exemple, la rencontre entre Spike et Angelus est brûlante d’homoérotisme.

Durant la saison 2 de Buffy, Angelus est de retour et fait équipe avec ses anciens compagnons. Il est alors à deux doigts de former un trouple avec Drusilla et Spike : "Nous sommes une famille à nouveau. On va se nourrir. Et on va jouer", se réjouit langoureusement la vampire. Puis Angel embrasse violemment Spike sur le front. Ces deux-là entretiennent une relation faite de rivalité, mais aussi de désir homosexuel. Dans les bonus DVD de la saison 5 d’Angel, Joss Whedon confirme : "Angel et Spike sont proches depuis des années. Ils ont toujours été à la marge. Ce sont des vampires. Pense-t-on qu’ils n’ont jamais… ? C’est tout ce que je dirais. Ils ont l’esprit ouvert."

Spike et Xander, déchaînés au pieu ?

Le vampire peroxydé incarné par James Marsters est un personnage codifié queer par excellence. En plus de la relation ambiguë qu'il entretient Angel, un autre sous-texte gay existe entre lui et le personnage de Xander. Durant la saison 4, alors tous deux deviennent colocataires, Xander attache Spike à côté de son lit (!) pour dormir tranquille. Quand ce dernier lui explique que, de toute façon, il n’aura jamais envie de le mordre, Xander prend la mouche : “Il se trouve que j’ai très bon goût, je suis moelleux et délicieux !” Une saison plus tard, Xander pense que Buffy couche avec Spike et lui dit : “Personne ne te juge. C’est compréhensible. Spike est fort et mystérieux, et plutôt compact mais bien musclé.” (S05E18).

Buffy,queer,lesbiennes,gay,gays

L'univers Buffy – ou Buffyverse – abrite aussi une relation codifiée saphique entre les vampires Drusilla et Darla. Dans Angel, la première transforme à nouveau la deuxième en vampire, et lui fait boire son sang au-dessus de ses seins. Un passant les prend alors pour un couple lesbien et leur demande d’aller se faire des câlins ailleurs. Les deux femmes, très tactiles l’une avec l’autre, s’allient pour semer la terreur à Los Angeles, font un plan à trois et prennent des bains ensemble.

Les "bonnes amies" Faith et Buffy

"On est juste de très bonnes amies." Cette blague savoureuse de Faith, la tueuse rebelle, à propos de sa relation avec Buffy, fait écho à l’invisibilisation des lesbiennes dans l’histoire, lesquelles ne seraient jamais amantes, amoureuses, mais bonnes copines. Arrivée à Sunnydale au début de la saison 3, Faith ne rate pas une occasion de flirter avec la tueuse, sous couvert d’humour. Durant la saison 3, les deux "élues" font les quatre cents coups ensemble, avant que Faith ne rejoigne le camp du mal. Désormais ennemies, les tueuses n'en restent pas moins obsédées l’une par l’autre. Et quand elles ne se battent pas en corps à corps, elles échangent le leur (en saison 4).

Dans l’épisode “Trahison” (S03E17), la tension sexuelle est à son comble. Faith embrasse Angel devant Buffy, enchaînée à un mur, puis revient la menacer en s’approchant si près de son visage qu’on se demande si elle n’a pas davantage envie de l’embrasser que de la tuer. La séquence se termine par un nouveau combat et un baiser violent de Faith sur le front de Buffy. Le genre de geste clairement codifié queer dans la série. Pour Eliza Dushku, son interprète, Faith est bisexuelle : "Elle joue dans les deux camps (...) et a définitivement un crush sur Buffy”.

Buffy,queer,lesbiennes,gay,gays

Une représentation lesbienne précurseuse

I think I’m kind of gay !” (“Je crois que je suis un peu gay !”). Après avoir pris conscience de sa condition queer grâce à son double vampirique dans la saison 3, Willow rencontre Tara la saison suivante. Si les scénaristes utilisent la magie comme métaphore de leur désir, leur relation devient finalement officielle. Le premier baiser entre les deux femmes (S05E16) est filmé comme un non-événement : elles sont déjà en couple depuis plus d’un an, et Tara console Willow alors que le Scooby-Gang vit un deuil. Ce baiser reste toutefois révolutionnaire car, dans les années 90, la tendance était au “Lesbian kiss episode”, un trope narratif consistant à mettre en scène un baiser lesbien entre l’héroïne hétérosexuelle et un personnage secondaire (LA Law, Ally McBeal, Friends…), sans aucune conséquence pour la suite. A contrario, les scénaristes de Buffy ont construit avec soin le couple lesbien formé par Tara et Willow. Durant plus de 50 épisodes, on suit leurs premiers émois, leur emménagement ensemble, les épreuves, les disputes et réconciliations… Du jamais vu en termes de représentation lesbienne dans les séries. Après leur rupture en saison 6, Willow devient accro à la magie, utilisée comme une métaphore de l’addiction aux drogues, autre sujet important au sein de la communauté LGBTQI+.

Buffy,queer,lesbiennes,gay,gays

Dans l’épisode “Rouge Passion” (S06E19), alors que les deux femmes se réconcilient sur l’oreiller, Tara est touchée par une balle perdue, qui la tue sur le coup. Ivre de chagrin, Willow se lance dans une quête vengeresse qui la conduit à presque détruire le monde. Et c’est ainsi que Joss Whedon perpétua le triste trope Dead Lesbian Syndrome (également connu sous le nom Bury your gays), qui souligne la prévalence des morts de personnages LGBTQI+ dans la fiction, et en particulier les personnages lesbiens, souvent tués par accident. La mort de Tara, qui tuée après avoir couché avec Willow, sonne même comme une punition divine.

Comme pour se faire pardonner de cette erreur, Joss Whedon offre à Willow, en saison 7, une nouvelle intrigue romantique. Mais le personnage de Kennedy, très sûre d’elle, n’a jamais remplacé Tara dans le cœur des fans. En 2003, la série produit la toute première scène de sexe lesbien (S07E20), entre Kennedy et Willow, diffusée sur une chaîne nationale américaine. Kennedy est aussi la seule tueuse explicitement queer de l’histoire de Buffy contre les vampires.

À lire aussi : "Killing Eve" : fin (frustrante) de la plus queer des séries hétéros

Des personnages queers en proie aux ténèbres

D’autres personnages secondaires de la série sont codifiés queer : le geek Andrew, ex-membre du Trio, est amoureux de son leader toxique, Warren. Quand ce dernier le trahit, il a d'ailleurs du mal à cacher son désarroi : “Comment il a pu me faire ça ? Il m’avait promis qu’on resterait ensemble, mais il se servait juste de moi. Il ne m’a jamais vraiment aimé… aimé traîner avec nous.” (S06E19). Le fait qu’Andrew ne soit pas conscient de ses penchants homosexuels est même utilisé plusieurs fois comme un ressort comique dans la série. Durant la saison 5 de Buffy, l’entité Ben et Gloria forme aussi un méchant codifié queer. Déesse capricieuse aux réactions exagérées doublée d’une fashion addict, Gloria est une figure camp à rapprocher de la culture des drag queens. En comparaison, Ben est un jeune homme sympathique, mais qui se révélera lâche. L’étonnante condition de la diva Gloria, qui doit partager son corps avec lui, peut être lue comme une métaphore de la transidentité.

Plusieurs personnages codifiés queer de la série sont aussi associés au Mal, voire à des pratiques sexuelles kinky. Ce serait un problème si Buffy n’assumait pas autant sa nature camp, et si ses protagonistes ne passaient pas leur temps à changer de camp. Le couple inoubliable formé par Tara et Willow rétablit aussi la balance. Buffy contre les vampires est un cas d’école d’oeuvre codifiée queer, dans la mesure où les scénaristes appliquent ce traitement à des personnages très divers, ce qui permet d’étendre le spectre LGBTQI+ comme peu d’oeuvres ont réussi à le faire avant ou après elle. Présente aux derniers GLAAD Awards, où elle a reçu une standing ovation, l’actrice Sarah Michelle Gellar est devenue une icône LGBTQI+. "Durant toute ma carrière et toute ma vie, je me suis toujours sentie soutenue par cette communauté”, a-t-elle confié. Buffy a sauvé le monde plus d’une fois, mais aussi beaucoup de vies queers pour lesquelles la série a constitué une première possibilité d’identification, et une lumière au coeur d’une adolescence infernale.

À lire aussi : Gays ou lesbiennes, pourquoi nos histoires d'amour finissent si mal à l'écran

Crédit photo : capture d'écran