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cinéma"Blue Jean" : rencontre avec la réal de ce drame lesbien sur l’homophobie d'État sous Thatcher

Par Franck Finance-Madureira le 18/04/2023
"Blue Jean" sort au cinéma ce 19 avril

Avec Blue Jean, la réalisatrice britannique Georgia Oakley livre un drame lesbien sur les effets de l'homophobie d'État renforcée par le gouvernement de Margaret Thatcher en 1988. Au cinéma ce 19 avril.

En 1988, dans une petite ville d’Angleterre. On écoute du New Order, les pubs Slim Fast envahissent les écrans télés, et Margaret Thatcher met en place la Section 28, une loi punissant les établissements scolaires ou institutions publiques qui feraient la “promotion” de l’homosexualité. Prof de sport lesbienne, Jean n’avait pas besoin de ça en plus, elle qui a déjà du mal à s’assumer. Pour la réalisatrice britannique de Blue Jean, Georgia Oakley, l’envie de se plonger dans cette année qui l’a vue naître était l’occasion de raconter ce combat contre l’homophobie, politique mais aussi intérieur.

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“J’ai voulu parler de ma propre expérience de femme queer en lutte contre la stigmatisation ou l’homophobie intériorisée, développe la cinéaste. Mais je voulais donner à l’histoire un cadre qui ne soit pas le mien. J’ai rencontré une cinquantaine de personnes qui ont vécu cette époque, des activistes, des personnalités politiques, tout comme la communauté queer de la petite ville où nous avons tourné. Et puis j’en ai appris un peu plus sur la loi évoquée dans le film. J’étais tellement choquée d’en apprendre l’existence et de me rendre compte qu’elle était effective alors que j’étais moi-même élève !”

L'écho de l'homophobie d'État

Si le film respire la fin des années 1980, Georgia Oakley voit surtout que ces thématiques, malgré les progrès gagnés en une génération, restent très actuelles. “Je voulais ouvrir une conversation entre cette époque et aujourd’hui : la Section 28 était tout à fait similaire à ce que nous voyons aujourd’hui dans certains pays, comme la Russie, note-t-elle. Et puis, quand, en 2018, les écoles ont sensibilisé les élèves aux différentes sortes de famille, il y a eu des manifestations de personnes qui ne voulaient pas que les gays et les lesbiennes existent sur la place publique. Trente ans après, et malgré les avancées, ceci n’est pas réglé.”

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Si le personnage de Jean, la professeure qu’interprète avec une puissance contenue la comédienne Rosy Mc Ewen, paraît aussi réelle et incarnée, c’est grâce à la façon dont il a été écrit, construit : “Une partie vient de moi, et une autre vient de Kathleen et Sarah, deux profs lesbiennes qui ont enseigné à l’époque, explique la réalisatrice. Elles m’ont fait part de leurs regrets par rapport à leurs comportements d’alors, sur le plan professionnel mais aussi sur le plan privé. Trente ans plus tard, ça les hantait encore : l’une d’elles a dû faire une longue thérapie pour comprendre sa difficulté à s’engager et à gérer son homophobie intériorisée, sa haine d’elle-même, sa peur. Tout cela a beaucoup aidé à créer Jean, dans ses relations à l’école comme avec sa copine, sa famille, son neveu.”

La visibilité lesbienne

En filigrane, le film tisse une vision de la communauté queer, de l’engagement et des différentes façons qu’on peut avoir d’en faire partie, d’y prendre sa place. “J’ai fait mon coming out relativement tard et je connais ce regard suspicieux quand on est la nouvelle dans une bande ou dans un club, qu’on a l’impression de ne pas être assez lesbienne, développe Georgia Oakley. Avec les nouvelles générations qui ont moins de problèmes à se déclarer queer, on oublie que cela reste encore souvent un fort combat intérieur. J’ai tout de suite pensé à mettre en parallèle le parcours d’une élève et celui d’une enseignante. Jean veut avoir une vie privée, une copine, mais n’est pas politiquement queer, pas intégrée à cette communauté, en tout cas au début du film.”

De l’autre côté du spectre, il y a donc Lois, l’une des étudiantes de Jean, qui fait se poser la question de la transmission, et de la difficulté de se projeter quand on est une ado lesbienne. “J’ai constaté avoir grandi sans aucun rôle modèle et sans connaître aucune personne out. Le conflit entre Lois et Jean met en lumière les réels dégâts de cette loi mais aussi la difficulté de communiquer entre les générations”, souligne la réalisatrice. Et si le résultat atteint parfaitement son objectif, c’est aussi que la direction artistique est d’une grande cohérence : l’ambiance, les choix de lieux, de cadrage et de musique, tout participe à recréer cette époque sans surjouer l’effet vintage. ·

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[Vidéo] La bande-annonce de Blue Jean :

Crédit photo : UFO Distribution