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histoireAvant le mariage pour tous, ce que le sida a fait au couple gay

Par Nicolas Pirat-Delbrayelle le 21/04/2023
Archives LGBT

[Dossier à retrouver dans le magazine têtu· en kiosques] Si nous pouvons fêter en cette année 2023 les dix ans du mariage pour tous, c'est d'abord grâce aux luttes militantes LGBT. Et dans l'histoire qui les a nourries, la crise sida qui a fauché la communauté gay a aussi jeté la lumière sur la précarité matérielle et administrative des couples homos. Une injustice qui a produit des situations personnelles terribles.

Je t’aime ! Tu m’aimes ! Vivons ensemble ! Tout semble si simple sous les feux de la passion, qu’on en oublie souvent de se protéger – d’un point de vue légal, j’entends. Avant 1999 et l’adoption du pacs, nos couples n’avaient pas de reconnaissance institutionnelle. Avant 1999, l’amour existait et, malgré tout, se concrétisait parfois par une vie en commun. Avant 1999, les années sida ont mis en lumière la précarité de nos vies, et parfois de nos toits.

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Lorsque l’épidémie emportait l’un de nous, l’autre restait seul avec sa peine, sans protection, dans un appartement vide rempli de souvenirs. Et lorsque le nom de l’endeuillé n’apparaissait pas sur le contrat de location, le bailleur ou la famille du défunt, profitant de la sidération de la personne survivante, pouvait l’en expulser immédiatement, sans attendre que soit rendue la décision de justice obligatoire en de tels cas. En plus d’avoir perdu l’être aimé, l’autre perdait également un toit, "son" toit, et devait, en plein deuil, trouver où se mettre à l’abri. Il ne fallait alors pas compter sur le numérique pour nous faciliter la tâche, et nous devions également nous battre pour récupérer tous les courriers adressés par l’administration, l’employeur, etc., afin de nous constituer des dossiers. 

Dehors, celui qui reste

Avant 1999, deux de mes amis se sont protégés en achetant leur “petite maison” en indivision. Aujourd’hui, tous deux sont propriétaires et usufruitiers de leur bien, c’est-à-dire non délogeables en cas de décès de l’autre. Avant 1999, quand seul un des deux conjoints était propriétaire, l’autre n’était – au regard de la loi – qu’occupant à titre gratuit. En cas de décès du premier, les héritiers pouvaient revendiquer leurs droits sur le bien et demander au second de quitter les lieux.

Avec le vote du pacs, en 1999, nous nous sommes crus libérés. Il ne s’agissait pourtant que d’une reconnaissance fiscale de nos couples, comme on me l’a précisé lors de la signature du pacte. Il nous fallait rédiger un testament pour nous protéger en cas de décès. Et c’est toujours vrai aujourd’hui, le pacs ne protège de rien ; si vous louez, inscrivez vos deux noms sur le bail, ou rédigez un testament si seul l’un de vous est propriétaire de votre habitation.

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En 2007, Pierre et Serge (les prénoms ont été modifiés) s’aiment depuis déjà quelques années, abritant leur amour dans l’appartement du second, sans autre formalité : rien d’écrit ni de contractualisé, puisque les parents de ce dernier ne sont au courant de rien et qu’il continue à les voir en célibataire lorsque Pierre est en déplacement. Mais en 2007, Serge décède brutalement. Pierre, en déplacement professionnel à l’étranger, rentre précipitamment, et trouve porte close. Les parents de Serge ont fait changer les serrures quarante-huit heures après le décès de leur fils, car l’appartement leur revient de droit. Pierre se réfugie alors chez des amis, et tente de contacter cette belle-famille qu’il ne connaît pas, en vain. Il n’est même pas autorisé à assister aux obsèques de l’homme qu’il aime et doit se cacher au fond de l’église. Cette homophobie crasse, c’était il y a à peine quinze ans. Depuis, Pierre n’a jamais réussi à faire complètement son deuil, à redémarrer sa vie.

Le mariage, un toit sur le couple

En 2013, le mariage nous a enfin amené un peu de protection. En cas de décès, le conjoint survivant bénéficie désormais du transfert automatique du bail, et peut rester à vie dans le logement si son conjoint en était propriétaire – “Et s’il n’en existe pas d’autres, me précise mon mari. Car en cas d’indivision avec une tierce personne, le conjoint survivant peut rester dans le logement pendant un an, sauf bien sûr accord explicite des indivisaires pour étendre cette période.”

S’aimer, c’est simple tant que la vie est là. Mais pour éviter de perdre son toit en même temps que son amour, il ne faut pas avoir peur de regarder en face la mort, surtout lorsque nos proches ignorent tout de notre homosexualité ou la rejettent. Alors si vous souhaitez que rien ne revienne à une famille hostile, y compris la jouissance d’un bien immobilier, pacsez-vous et prenez rendez-vous avec un notaire ou un avocat. Ce ne sera certes pas le plus beau moment de votre vie de couple –  il vous faudra étudier tous les cas de mort possibles, comme le crash d’un avion ou le décès de l’un des deux, en particulier du plus âgé – mais, oui, il s’agit bien d’une preuve d’amour. Ou mariez-vous.

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Crédit photo : Archives LGBT