Inspiré par le travail de Jean Genêt, le réalisateur belge Zeno Graton filme l'amour sensuel et évident de deux garçons, incarnés par Khalil Gharbia et Julien de Saint Jean, enfermés dans le même centre de rétention.
Romantisme échevelé, sensualité brute… Pour son premier long-métrage, le jeune réalisateur bruxellois Zeno Graton raconte une histoire d’amour entre garçons qui, tout en célébrant la modernité d’une nouvelle génération de personnes (et de personnages) queers, s’inscrit dans la ligne politique et sensible du travail de Jean Genêt. Le Paradis est une ode moderne aux amours marginales et salvatrices dans un contexte particulier, celui d’un centre de rétention pour mineurs. Le film révèle un réalisateur engagé et délicat, et confirme le talent des jeunes comédiens Khalil Gharbia et Julien de Saint Jean, respectivement révélés par le Peter von Kant de François Ozon et Arrête avec tes mensonges d’Olivier Peyon.
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À l’origine du Paradis, des souvenirs très personnels du réalisateur, d'origine belge et tunisienne : "Mon cousin est passé par ces centres de rétention fermés quand j’étais adolescent, et je me suis beaucoup remis en question en me disant que cela aurait pu aussi m’arriver. Cela a nourri mes questionnements sur mon 'white passing' mais aussi un regard critique sur ces institutions." Lassé des sempiternelles intrigues de coming out et de premières amours gays qui tournent en boucle depuis vingt ans sur la honte de soi et l’affirmation face aux autres, Zeno Graton a voulu prendre le pouls d’une jeunesse contemporaine et de sa propension à ne pas reproduire ces schémas. "Il y avait avant tout l’envie de raconter une histoire d’amour entre deux jeunes hommes comme j’aurais aimé en voir plus jeune au cinéma : un sentiment amoureux désinhibé, un personnage gay et arabe qui ne vive pas dans le désir de l’autre mais qui prenne en main son destin, et un univers qui comprenne en son sein une dimension politique."
Khalil Gharbia + Julien de Saint Jean
Pour Khalil Gharbia, le personnage de Joe, un jeune homme arabe loin des clichés rebattus, a été une évidence. "J’avais très envie de jouer un personnage différent de ce que j’avais fait jusque-là, confie-t-il, de ne pas forcément être sur la séduction mais dans quelque chose de plus cru, de plus brut. Le personnage de Joe, c’est exactement ça. Il a grandi entre des murs, sans agir selon le regard des autres et il a une vraie violence en lui. J’ai aimé le fait qu’on ne soit pas dans la redite du personnage maghrébin coincé qui se dévoile, Zeno connait bien la Tunisie comme moi et on à un rapport concret à ce pays et aux histoires d’émancipation qui y sont vécues. Avec Julien, il y a aussi eu une évidence, quelque chose de chimique. Il m’a beaucoup aidé, il a une formation que je n’ai pas eue et il est plus à l’aise avec son corps."
Julien de Saint Jean, qui est effectivement passé par la classe libre du cours Florent, confirme : "Avec Khalil, on a passé quelques jours tous les deux à Bruxelles, qu’on découvrait, et cela nous a permis de mieux nous connaître, de créer un couple qui fonctionnait, de comprendre notre complémentarité. On a beaucoup travaillé sur la corporalité, c’est très beau de raconter quelque chose juste par un regard, un geste simple. Il y a quelque chose de très poétique chez Zeno et c’était assez fort ! Les fictions qui se déroulent en milieu carcéral m’intéressent beaucoup mais j’avais une vision des personnages un peu stéréotypée : des hommes très virils, qui ne pleurent pas. Le travail que nous avons fait avec Zeno a été de déconstruire cela et de trouver les failles de William, mon personnage, celui qui est le plus à vif. Je suis quelqu’un d’assez sensible et j’ai mis beaucoup de moi dans William."
Jean Genêt + 2020's
Inspiration assumée pour le jeune cinéaste : les écrits et surtout l’unique réalisation pour le cinéma de Jean Genêt, Un chant d’amour, film muet de 1950, qui liaient la construction du désir homosexuel à une force révolutionnaire puissante. "Genêt m’a ouvert les yeux sur cela et m’a guidé dans le développement d’un point de vue militant sur le monde et sur la construction des désirs. C’est pourquoi je me suis plongé dans les thématiques fortes de son œuvre, comme l’homoérotisme en milieu carcéral." L’autre volonté maîtresse qui animé son travail, c’est l’idée, finalement aussi très politique, de confronter cette histoire d’amour entre jeunes hommes à la modernité et aux évolutions en marche dans la communauté. "J’ai été beaucoup inspiré par cette nouvelle génération de garçons queers capable de redéfinir le concept même de masculinité selon ses propres codes, au gré d’une fluidité assumée qui fait de la question de l’orientation sexuelle quelque chose de secondaire. Je voulais commencer où les habituels films de coming out s’arrêtent : suivre la relation, ses évolutions, ses conflits propres."
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"On avait tous à cœur d’aborder les thèmes de l’homosexualité, des premiers émois amoureux, de façon différente, abonde Julien de Saint Jean. Ici personne n’est contre leur amour et même s’il y a une part d’utopie, cela me paraît être la force politique du film." Une vision optimiste plus que bienvenue, estime Khalil Gharbia : "C’est bien de voir des personnages qui ne se torturent pas et ne s’en veulent pas d’être qui ils sont, le film est très optimiste de ce point de vue-là, il peut faire du bien car il est un peu en avance. La fiction peut avoir un impact fort sur la réalité et il me semble important de montrer le monde vers lequel on tend." La vision et l’écriture des personnages secondaires sont au diapason de ce désir d'une modernité à la fois solaire et engagée : "Je voulais vraiment qu’on puisse ressentir le rayonnement de leur amour, conclut Zeno Graton, et que celui-ci insuffle au groupe quelque chose de l’ordre de la force révolutionnaire que peut représenter, encore aujourd’hui, un amour queer."
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