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histoirePremier mariage gay : souvenirs du coup de Bègles historique de Noël Mamère

Par Nicolas Scheffer le 29/05/2023
Le mariage gay de Bègles fut célébré le 5 juin 2004 par Noël Mamère

Le 29 mai 2013 restera dans l'histoire comme la date du premier mariage légal d'un couple homo en France, en la mairie de Montpellier. Mais presque dix ans plus tôt, le 5 juin 2004, s'était déjà tenu un mariage gay, célébré par un certain Noël Mamère, maire de Bègles. L'ancien édile et plusieurs autres témoins reviennent sur cette cérémonie historique pour nos luttes, qui a bien failli ne pas pouvoir se tenir… Il fallait qu’on Bègles pour être entendus.

La météo avait un goût d’été, ce 5 juin 2004, mais le vent soufflait par rafales. Mais si les grilles du charmant hôtel de ville de Bègles (Gironde) menaçaient de tomber au sol, ce n’était pas tant en raison des bourrasques qu’à cause des centaines de personnes venues perturber le tout premier mariage entre deux hommes : “Camps de concentration pour les homosexuels !”, “Pollution morale !”, “Ce n’est pas un mariage, c’est de l’enculade publique”, “À quand le mariage zoophile ?”, pouvait-on entendre.

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Ce jour-là, en mariant Bertrand Charpentier et Stéphane Chapin, le maire de Bègles, l’écologiste Noël Mamère, défie ouvertement la loi française. Comme une centaine d’élus, d’intellectuels et de militants, il avait signé quelque temps auparavant un appel aux maires de France pour les enjoindre de célébrer des mariages de couples de même sexe, quand bien même le Code civil ne les prévoyait pas explicitement. “Il nous semble en effet homophobe et discriminatoire de refuser l’accès des gays et des lesbiennes au droit au mariage et à l’adoption, de refuser l’accès des lesbiennes ou des femmes célibataires à la procréation médicalement assistée”, proclamait ce Manifeste pour l’égalité des droits lancé dans Le Monde par le juriste Daniel Borrillo et le sociologue Didier Eribon en réponse à une affaire de violences homophobes. “Nous avions la conviction que tant que les homosexuels n’auraient pas les mêmes droits que les autres, ils seraient toujours perçus par les Français comme des citoyens de seconde zone”, se remémore aujourd’hui l’avocate Caroline Mécary.

Pressions et menaces sur Noël Mamère

“On a oublié la violence des réactions au premier mariage d’homosexuels en France”, se souvient à son tour Clémentine Autain, députée de La France insoumise, alors adjointe à la jeunesse de Bertrand Delanoë et présente à Bègles ce jour-là ; elle-même reçut d’ailleurs des excréments dans sa boîte aux lettres. À la mairie de cette petite commune de l’agglomération bordelaise, on a compté 3.000 lettres d’insulte, et le standard fut saturé – tant par les mots hostiles que par les encouragements. “Une forme de folie s’est emparée de cet événement qui a fait parler jusque dans la presse internationale”, retrace Yves Jeuland, réalisateur d’un documentaire sur l’événement, Maris à tout prix.

"Je souhaitais tout simplement donner cette possibilité au premier couple homosexuel qui se présenterait."

Noël Mamère

Lorsque les deux amoureux se présentent à sa mairie, Noël Mamère leur tend les bras. “J’avais deux conditions pour mener cette aventure à bien : que le mariage soit un véritable acte d’état civil et que l’on n’aille pas sélectionner un couple tout spécialement, explique l’ancien élu écologiste. Je souhaitais tout simplement donner cette possibilité au premier couple homosexuel qui se présenterait, à deux hommes comme les autres, avec leurs maladresses et leurs faiblesses.”

Une semaine avant la cérémonie, le Premier ministre de Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin (UMP), menace de sanctions le maire et fait tout son possible pour déclarer le mariage irrecevable. Afin d’éviter les médias, les futurs mariés sont envoyés discrètement à Marseille, où ils sont quand même photographiés en boîte de nuit, soufflant les bougies d’un gâteau de mariage après avoir été bénis par les Sœurs de la perpétuelle indulgence. À six jours de la cérémonie, le couple n’a toujours pas de traiteur, ni de costume ou même de chaises pour accueillir la soixantaine d’invités prévus. Et encore moins d’argent pour payer tout cela. Ils ont bien négocié 5.000 euros contre une exclusivité au magazine VSD, mais l’hebdomadaire refuse de payer la somme tant que la cérémonie n’a pas eu lieu. Deux jours avant l’événement, le ministre de la Justice, Dominique Perben, intervient au JT de 20 h de France 2 pour nier à Noël Mamère toute compétence à célébrer ce mariage.

Le mariage de Bègles annulé

La veille, le maire de Bègles, qui craint d’être empêché de regagner sa mairie au petit matin, préfère dormir sur place. Quant au couple, il a embauché des gardes du corps, au cas où. Pour faire diversion, de faux mariés se présentent devant l’hôtel de ville, affrontant la foule hostile, tandis que Bertrand et Stéphane, en lavallière, déboulent dans une Rolls-Royce beige à l’arrière de la bâtisse. L’ambiance est électrique jusqu’à ce que Noël Mamère prononce ces mots, frondeurs et historiques : “Au nom de la loi, je vous déclare unis par le mariage !”

Dans cet instant, immortalisé par la caméra d’Yves Jeuland, l’écologiste, ému aux larmes, déclare : “Votre mariage, c’est le premier. Je souhaite qu’il se banalise et je ne vois pas au nom de quelle norme, de quelle morale, de quel principe, au nom de quel texte nous devrions vous empêcher de vous aimer.” Aujourd’hui, l’ancien maire regrette le manque d’enthousiasme de la gauche, et notamment au Parti socialiste – têtu· dénonçait d’ailleurs en 2004 les positions de Lionel Jospin et de Ségolène Royal, qualifiant cette dernière de “Boutin de gauche”. En rétorsion, Noël Mamère écope d’une suspension de son mandat de maire prononcée par Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur. Quant au mariage, il fut annulé par la justice, et ce malgré les plaidoiries de Caroline Mécary jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il fallut ensuite attendre neuf ans afin que la promulgation de la loi Taubira, le 18 mai 2013, couronne de succès ce combat initié à Bègles par une poignée de valeureux militants.

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Crédit photo : Derrick Ceyrac / AFP