Abo

transidentitésL’Assurance maladie expérimente un service dédié pour les personnes trans

Par Tal Madesta le 04/09/2023
Transidentité, soins et Assurance maladie

La CPAM de Seine-Saint-Denis a lancé un service pilote dédié à l’accompagnement médico-administratif des personnes trans. Si le dispositif rencontre son public, il sera déployé sur l’ensemble du territoire dès la fin de l’année. On dit oui !

Les personnes trans le savent bien, dans le cadre de leur parcours médical et administratif, le traitement de leur dossier par l'Assurance maladie peut relever d'une épreuve kafkaïenne. Pour remédier à ces difficultés, la CPAM de Seine-Saint-Denis se mobilise depuis le mois d'avril en proposant un "service attentionné aux personnes transgenres".

À lire aussi : Les cagnottes en ligne, passage obligé des personnes trans pour financer leurs soins

À l’origine de cette initiative pilote, deux déclics : le dossier d’un homme trans enceint bloqué en l’absence de procédure standard, et un collaborateur de la CPAM ayant lui-même entamé une transition de genre qui a pu témoigner en interne des difficultés rencontrées. Le constat est dès lors posé par Aurélie Combas Richard, directrice de la caisse primaire locale : "On peut faire mieux. Il faut qu’on se positionne". Avec Julien Ripert, directeur de la production, ils initient dans la foulée ce service dédié, accompagnant les usager·es trans d'Île-de-France à toutes les étapes de leur transition afin de faciliter leurs démarches médico-administratives.

Carte Vitale et logiciels

L’équipe volontaire mesure vite l’ampleur de la tâche et actualise son champ de compétences au fur et à mesure des appels : "Les personnes concernées nous ont remonté toutes sortes de problèmes. Celui de la carte Vitale, une épreuve pour beaucoup de personnes qui ont fait changer leur prénom et/ou leur mention de genre à l’état civil", la procédure d’émission étant si complexe que certaines "abandonnent avant même de la demander".

Le service est également chargé du "circuit médico-administratif" des personnes concernées, explique Julien Ripert : "Lorsqu’une personne trans prise en charge pour une ALD (affection longue durée) bénéficie d’un acte censé être pris en charge mais que le remboursement est refusé, on se met en relation avec le service responsable côté CNAM [la Caisse nationale d'assurance maladie, ndlr] pour débloquer le paiement". Même chose pour les actes de prévention dont le remboursement est bloqué à cause d’un logiciel informatique inadapté : "Je pense aux échographies des testicules pour les numéros de sécurité sociale commençant avec un 2, ou aux frottis pour les numéros commençant en 1… Notre système d’information disait que c’était impossible", raconte le directeur. Là encore, la détermination de l’équipe paie : "On a fait changer les paramètres du logiciel. Depuis, il n’y a plus de refus de prise en charge sur la base du numéro de sécurité sociale en France, s’enthousiasme Aurélie Combas Richard.

Formation et accompagnement

C’est également à partir du constat d’un niveau "aléatoire" de connaissance des agent·es d’accueil sur la transidentité que l’équipe du service travaille sur une formation dédiée qui sera "suivie obligatoirement par l’ensemble du personnel en contact avec le public de l’Assurance maladie dès cette rentrée 2023". Scripts, mémos, procédures à suivre… Objectif, résume Julien Ripert : "Que chacun·e sache ce qu’il faut dire et vers qui orienter l’assuré·e, peu importe la situation".

Afin de construire une offre sur mesure, l’équipe s’entoure d’associations comme OUTrans, Vers Paris sans sida et Shams France, mais aussi de personnels de l’APHP qui suivent régulièrement des personnes trans. Elle mobilise par ailleurs les différents pôles de l’Assurance maladie que rencontrent les concerné·es pendant leur parcours, comme le service de gestion des bénéficiaires et celui des frais de santé. Elle a enfin décidé de dédier deux postes d’agents à temps plein pour cette expérimentation. Aurélie Combas Richard insiste sur le volontarisme de ses équipes, dont les membres se sont largement positionné·es lors de l’annonce d’ouverture des postes, avec 12 candidatures contre 4 en moyenne lors de vacances dans le service, faisant de ces deux postes les plus prisés de l’histoire de la CPAM de Seine-Saint-Denis !

Du côté des bénéficiaires du service, le soulagement est grand. Jacob-Elijah explique avoir contacté le service dédié car l’Assurance maladie ne mettait pas à jour son nouveau prénom sur son compte Ameli. "J’avais le bon numéro de sécurité sociale, mais pas le bon prénom sur mon attestation de droits", raconte le jeune homme de 19 ans. Il avait déjà contacté sa CPAM, qui "n’y comprenait pas grand-chose" et "ne savait pas quoi faire", chaque agent·e lui demandant de réaliser des procédures différentes. Jacob-Elijah écrit un mail au service attentionné : "On m’a envoyé dans la foulée mon attestation de droits avec les bonnes informations et mon compte Ameli a été mis à jour. Le problème a été réglé en deux heures".

Déjà un succès

Même enthousiasme pour Céleste, 30 ans, dont la CPAM chargée du dossier lui refuse le remboursement d’une opération chirurgicale effectuée dans le cadre de sa transition : "Au téléphone, on me disait que c’était faux, qu’ils avaient payé la clinique. La CPAM confondait avec la redevance payée à l’hôpital. Ces discussions étaient interminables, on ne me donnait pas d’informations, on me disait que mon dossier était compliqué". Après six appels, elle sollicite le service dédié et expose sa situation. L’agent lui confirme immédiatement que l’Assurance maladie lui doit 900 euros. En quelques heures, le paiement est débloqué.

Un succès, avec une ombre au tableau : la non-prise en charge des personnes trans mineures, comme le rapporte Marina, 43 ans, mère d’un adolescent de 16 ans. Appelant pour une mise à jour de sa carte Vitale à la suite d'un changement de prénom en mairie, on lui répond qu’on ne peut pas l’aider "car le service n’intervient que sur les dossiers des personnes majeures", regrette-t-elle. Aurélie Combas Richard explique : "La CNAM attend l’avis de la Haute autorité de santé sur ce sujet d’ici début 2024. Pour l’instant elle nous demande de nous occuper uniquement des majeur·es". 

Avant l'été, plus de 80 personnes trans avaient déjà fait appel au service grâce au bouche-à-oreille. Un premier bilan d’activité est prévu avec la CNAM avant la fin de l'année afin d’évaluer la pertinence du déploiement de l’outil sur tout le territoire. Au regard du succès du dispositif pilote, Aurélie Combas Richard est confiante. Évoquant les potentielles résistances de groupes réactionnaires au projet de généralisation d’un service public dédié aux personnes trans, elle tranche : "Si on reçoit des pressions, que des associations viennent hurler en bas de notre immeuble, on le gèrera, et on protègera nos agent·es et nos usager·es trans coûte que coûte. Notre priorité, c’est de continuer à faire notre travail". Mais elle est folle ! Non, elle est forever…

>> Comment contacter le "service attentionné aux personnes transgenres" :

Vous pouvez contacter le service pilote par téléphone (01 48 96 46 40) du lundi au vendredi de 10h à 17h, ou par mail à [email protected]

À lire aussi : Marion Maréchal et Natacha Polony : bal tragique de panique transphobe

À lire aussi : "Mon Parcours Psy" a un an : rendez-vous manqué ou première marche utile ?

Crédit illustration : Shutterstock