C'est l'heure du premier bilan pour le dispositif "Mon Parcours Psy", lancé en avril 2022 et qui permet d’accéder à huit séances d’accompagnement chez un psychologue remboursées par l’Assurance maladie.
Voir un·e psy, ça coûte cher. Avec des tarifs oscillant entre 50 et 70 euros la séance, parfois beaucoup plus dans les grandes villes, et des suivis souvent longs, l'aspect financier apparaît comme l'un des principaux freins à la consultation chez le psychologue. Pour répondre à cette problématique dans un contexte où la santé mentale des Français a été largement éprouvée au cours des trois dernières années, le gouvernement a lancé en avril 2022 le dispositif "Mon Parcours Psy". Celui-ci permet de bénéficier de huit séances d’accompagnement psychologique, prises en charge par l’Assurance maladie et la complémentaire santé, sur adressage d’un médecin.
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Concrètement, pour entrer dans le dispositif, il faut être en souffrance psychique jugée "légère à modérée" (troubles anxieux, troubles dépressifs, mésusage de tabac, alcool ou cannabis, troubles du comportement alimentaire sans critère de gravité) et de prendre rendez-vous avec son médecin généraliste afin que celui-ci rédige un courrier à destination d’un·e psychologue. Il faut ensuite choisir parmi les psychologues partenaires du dispositif et prendre rendez-vous pour une séance d’évaluation, qui sera suivie de jusqu’à sept séances remboursées. Évidemment, il est possible d’arrêter à tout moment. À l’issue de ce suivi, le psychologue adresse un compte rendu de fin de prise en charge au médecin qui pourra, en cas de non-amélioration des symptômes, réorienter la personne vers un suivi plus adapté. Il est bien sûr possible de poursuivre les séances auprès du psychologue, mais sans bénéficier alors d’un remboursement.
"Mon Parcours Psy", rendez-vous manqué
Décrié dès avant son lancement, "Mon Parcours Psy" peine au bout d'un an à faire mentir ses détracteurs. En effet, selon les chiffres fournis par la Direction de la sécurité sociale (DSS), l’adhésion n’a d'abord pas su convaincre les professionnels : seuls 2.249 psychologues (soit 7% des psy libéraux) se sont engagés dans le dispositif, avec de grosses disparités régionales : ils ne sont par exemple que 59 en Bourgogne-Franche-Comté contre 438 en Occitanie et 423 pour l'Île-de-France (108 à Paris). Du côté des patients, si 90.000 personnes – majoritairement des femmes entre 26 et 55 ans – ont pu profiter de séances remboursées, seules 11% d’entre elles sont également bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire. Des données qui signent un rendez-vous manqué avec les plus jeunes mais aussi avec plus précaires. Un autre chiffre pose question : les patients qui entrent dans le parcours n’effectuent en moyenne que 4,1 séances, soit deux heures de consultations effectives, ce qui donne là aussi le sentiment d'un parcours incomplet.
"Mon parcours Psy est une réponse partielle et insuffisante au délitement de la psychiatrie et de la psychologie publiques."
Dans le même temps, des critiques continuent de pointer du doigt les limites de ce dispositif et les problèmes qu’il soulève notamment en termes de qualité de prise en charge pour les patients. "Mon parcours Psy est une réponse partielle et insuffisante au délitement de la psychiatrie et de la psychologie publiques", analyse Benoît Schneider, président honoraire de la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), qui affiche une position pourtant mesurée vis à vis du dispositif. Il regrette tout particulièrement la dimension médico-centrée et la nécessité de consulter au préalable un médecin généraliste, pas toujours formé au diagnostic psy, alors qu’un accès direct aux psychologues serait plus adéquat. Il déplore également le peu d’informations dont disposent les patients lorsqu’ils doivent choisir leur praticien. Un manque auquel s'ajoute l’insuffisance numéraire des psy partenaires et des délais d’attente parfois longs.
Corentin Charasse, psychologue lui-même engagé dans le dispositif, ajoute des réserves sur la qualité même de certaines prises en charge : "Il y a, dans le dispositif, des psychologues engagés en raison de convictions altruistes et sociales profondes. Mais je pense aussi que certains sont là parce qu’ils ont besoin de développer leur patientèle – on voit qu’ils ont beaucoup de créneaux libres à très court terme sur Doctolib. Cela peut suggérer qu’ils n’ont pas forcément une bonne attitude vis à vis des patients…" Une remarque qui engage à la prudence dans la sélection, même si les psychologues partenaires doivent justifier d’un parcours consolidé en psychologie clinique et d’au moins trois ans d’expérience clinique.
"Mon Parcours Psy" : première marche utile
Camille Mohoric Faedi, psychologue clinicienne , psychothérapeute et co-fondatrice du Manifeste Psy, ne mâche pas ses mots et considère le dispositif "maltraitant" envers les patients qui risquent de se retrouver en rupture de soin après les huit séances réglementaires : "Ce dispositif devait aider tout le monde mais c’est faux puisqu’il ne concerne quasiment personne – seuls les troubles légers à modérés sont concernés. Or, les patients en souffrance ont rarement un trouble léger." "Les soins psychiques, signale-t-elle, n’ont rien à voir avec le traitement d’un rhume ou une entorse. La complexité psychique requière des soins sur mesure adaptés à chacun." Pour elle, "Mon Parcours Psy n'est qu'un pansement troué sur une plaie infectée. Rien n’est à sauver". Prônant l’abrogation du dispositif, le Manifeste Psy propose d'injecter plutôt le budget prévu dans les services publics (comme les centres médico-psychologiques, ou CMP) pour créer des postes pérennes de psychologues afin de soulager les listes d'attente allant jusqu'à plus de trois ans actuellement. "Cela permettrait enfin de baisser les listes d'attente et de recevoir les patients quel que soit leur niveau souffrance sans critères d'inclusion et d’exclusion."
Faut-il pour autant tout jeter de "Mon Parcours psy" ? Assurément pas, d’autant que comme il est souligné sur son site, "MonParcoursPsy est évalué au fil de l’eau. Un rapport d’évaluation est prévu d’ici 2024 pour éventuellement adapter ce dispositif pérenne". "Les habitudes vont se prendre et les médecins vont apprendre à travailler en réseau avec les psychologues", estime, confiant, Benoît Schneider. Corentin Charasse considère que la formule reste adaptée pour résoudre des problèmes ponctuels avec les stratégies thérapeutiques ad hoc : "Le dispositif est efficient dès lors que l’on utilise les bons outils comme les thérapies comportementales et cognitives (TTC) qui sont par essence des thérapies brèves". Juan V., psychologue clinicien partenaire du dispositif, très engagé par ailleurs sur les questions sociales, juge que "Mon Parcours Psy n’est certes pas parfait et que ses critères d’inclusion pourraient évoluer, mais que c’est une porte d’entrée pour aller mieux", remarquant : "Certaines personnes que je reçois dans ce cadre n’auraient jamais poussé la porte d’un psychologue autrement et ne se seraient pas non plus tournées vers un CMP". Si "Mon Parcours Psy" peut lever des inhibitions et la peur du stigmate autour des consultations chez le psychologue, c’est en effet déjà une petite victoire.
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