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AfriqueHomosexualité et peine de mort en Ouganda : l'avocate du premier inculpé alerte sur la situation

Par Margaux Solinas le 02/10/2023
Frédéric Noy Afrique de l'Est Burundi Ouganda Rwanda

Depuis le 29 mai, la peine de mort s’applique pour les homosexuels en Ouganda (Afrique de l'Est). L'avocate Justine Balya, 32 ans, qui défend le premier jeune homme mis en examen puis inculpé pour faits "d’homosexualité aggravée", a lancé une pétition pour annuler la signature de la loi par le président Yoweri Museveni.

Yoweri Museveni avait refusé de signer la première proposition de loi sur la peine de mort, qu’est-ce qui a provoqué la signature de la deuxième selon vous ?

Justine Balya : Malheureusement nous nous attendions à une telle décision, où du moins nous la craignions. Le Parlement ougandais en parlait depuis 2014, lorsque la loi anti-homosexualité a vu le jour. En 2019 cela semblait sur le point d’être signé mais le chef de l’État n’avait pas l’air convaincu. Et l’année dernière, c'est sorti de nulle part, des hommes ont commencé à parler aux médias, expliquant qu’ils étaient des anciens gays "repentis". Ces personnes ont dépeint la communauté LGBTQI+ comme une union de "violeurs" et de "pédocriminels". Des rumeurs fusaient dans tous les sens. C’était un coup politique : prendre de l’élan pour mieux sauter. Ils cherchaient à créer de la haine. À ce moment-là, avec des membres de l’ONG dont je fais partie (Human rights awareness and promotion forum), nous nous sommes rendus aux audiences publiques. Nous les avons suppliés de faire de nouvelles législations sur la protection de l’enfant plutôt que de durcir la loi de 2014. Mais ils n'avaient de cesse de répéter : "Nous devons protéger nos enfants, ils sont le futur de l’Ouganda". Comme si les LGBTQI+ étaient des pédocriminels. La panique de masse était lancée. Et la loi est passée. 

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Quels sont les nouveaux crimes introduits par cette loi ?

La peine capitale peut désormais s’appliquer dans certains cas "aggravés" (récidive, transmission d’une maladie mortelle, relation avec un mineur ou une personne handicapée), et la "promotion de l’homosexualité" est devenue un délit passable de vingt ans de prison. Six personnes sont aujourd'hui poursuivies en vertu de la nouvelle loi. Deux d'entre elles risquent la peine de mort, dont mon client qui était le premier inculpé. Le deuxième aurait eu une relation avec un enfant et nous ne le défendons pas. Les quatre autres risquent l’emprisonnement à vie. Nous défendons deux autres personnes dans ce groupe. Le premier a été mis en examen pour "promotion de l’homosexualité". Le deuxième est inculpé pour "trafic d’homosexualité", "trafic d’êtres humains" et "utilisation de lieux pour acte d’homosexualité". Il risque deux peines de prison à vie, plus une autre de 20 ans. Les personnes suspectées d’être homosexuelles en Ouganda sont accusées de "trafic d’êtres humains". C’est une zone grise, une loi mal définie. Par exemple, emmener une personne de la rue à chez soi peut être vue comme du "trafic d’êtres humains", ça n’a aucun sens. C’est uniquement pour arrêter et emprisonner plus de personnes de la communauté.

Comment réagissez-vous à cette situation ?

Je me suis réveillée avec la nouvelle sur mon téléphone le 30 mai. J’étais hors de moi. Je considère qu'il s'agit d'un génocide de la communauté LGBTQI+ dans le pays ! Dès le lendemain de la signature, il y a eu trois agressions collectives dans les rues de Kampala, la capitale. Une des victimes est encore à l’hôpital aujourd’hui. Les homophobes peuvent s’afficher dans les rues sans crainte, et diriger leurs actes de violences directement vers les personnes queers. La semaine qui a suivi l’annonce de la loi fut brutale et depuis, plus de 70 personnes de la communauté ont été visées. Il est urgent que la Cour suprême examine notre pétition et crée des ajustements, ne serait-ce que temporaires. Le tribunal administratif n’a pas encore statué sur le texte de loi. L’État ne peut plus ignorer que cette décision met en danger la vie d’autrui en dehors des cadres juridiques. 

Pourquoi vous êtes-vous engagée dans cette lutte ?

Parfois je m’interroge encore car c’est devenu une vie très stressante. Quand je suis sortie de mon école d’avocat, j’ai travaillé comme avocate commerciale pour une banque. Mon métier n’avait pas de réelle portée. Je ne le dénigre pas, au contraire, c’est un milieu important mais qui n’était pas fait pour moi. J’ai commencé à travailler, sur mon temps libre, avec des travailleurs du sexe en Ouganda. Je me suis sentie utile, ces personnes n’avaient pas grand-monde pour les défendre, juste quelques organisations. Les aider a été aussi bénéfique pour moi. Après quelques mois, j’ai vu une annonce de Human rights awareness and promotion forum. Ils cherchaient des collaborateurs. Et ils aidaient les personnes en difficulté. Je me suis dit que c’était l’endroit idéal pour moi. 

Êtes-vous aussi en danger ?

Bien sûr, je suis inquiète pour ma sécurité, et celle de mes collègues. Je n’ai pas peur que le gouvernement nous arrête en tant qu’avocats, ce serait difficile. Et nous ne voulons pas jouer avec la colère des hommes politiques. Je suis plutôt inquiète à propos de la façon dont le public nous perçoit, et les incidents que cela peut engendrer. Plusieurs de nos avocats sont menacés régulièrement. "Si vous n’existiez pas, les homosexuels arrêteraient d’exister" : ce sont des sornettes que l’on entend constamment. Nous sommes même entraînés à reconnaître un potentiel danger autour de nous. Depuis 2016, nous avons reçu deux attaques sur nos agents de sécurité. L’un d’entre eux est mort. Mais pour l’instant mon inquiétude va vers les personnes queers. Ce sont les principales victimes des attaques, et elles ne peuvent pas aller se confier aux autorités, car au lieu de les aider elles les incarcèrent…

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Crédit photo : Frédéric Noy