En Afrique de l'Est, le président ougandais Yoweri Museveni a répondu aux menaces de sanctions brandies par les États-Unis et l'Europe depuis qu'il a promulgué cette semaine sa "loi anti-homosexualité 2023", considérée comme l'une des plus répressives au monde.
"La signature du projet de loi est terminée, personne ne nous fera bouger." C'est ainsi que le président de l'Ouganda, Yoweri Museveni, a répondu ce mercredi 31 mai aux protestations internationales suscitées cette semaine par l'annonce de la promulgation du texte baptisé "Loi anti-homosexualité 2023", qualifié en mars par le chef du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits humains (HCDH), Volker Türk, de "texte discriminatoire - probablement le pire au monde en son genre".
"Le président Museveni a exhorté les Ougandais à rester fermes en soulignant que la question de l'homosexualité est une question grave qui concerne la race humaine, développe le communiqué relayant le discours du président tenu devant 400 parlementaires du NRM (Mouvement de résistance nationale), le parti au pouvoir à Kampala. Il a félicité les législateurs pour leur soutien, ajoutant qu'une fois qu'ils se battent pour la bonne cause, personne ne peut les vaincre."
"Homosexualité aggravée"
Le chef de l'État a "approuvé" le texte qui "devient désormais la loi anti-homosexualité 2023", avait annoncé lundi la présidence ougandaise. Dans ce pays d'Afrique de l'Est, les "actes d'homosexualité" sont déjà passibles de la perpétuité depuis une loi datant de la colonisation britannique. Le nouveau texte avait été amendé à la marge début mai par les parlementaires, les élus précisant que le fait d'être homosexuel n'était pas un crime, mais que les relations sexuelles entre personnes de même sexe l'étaient.
Dans sa version finale, la loi prévoit de lourdes peines pour les personnes ayant des relations homosexuelles, ainsi qu'un crime capital d'"homosexualité aggravée", ce qui signifie que les récidivistes pourront être condamnés à mort, peine qui n'est toutefois plus appliquée depuis des années en Ouganda. Une disposition sur la "promotion" de l'homosexualité inquiète particulièrement les ONG, selon laquelle quiconque – particulier ou organisation – "promeut sciemment l'homosexualité" encourt jusqu'à 20 ans de prison. S'il s'agit d'une organisation, elle risque 10 ans d'interdiction.
"Contraire aux droits humains"
La promulgation de cette loi a suscité une vague d'indignation d'ONG et de nombreux pays occidentaux, et les militants ougandais des droits humains ont exhorté la communauté internationale à prendre des sanctions contre leurs dirigeants. Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits humains s'est dit "consterné" de voir entrer en vigueur ce projet de loi "draconien et discriminatoire", "contraire à la Constitution et aux traités internationaux", qui ouvre la voie à "des violations systématiques des droits des personnes LGBT".
Dénonçant une "atteinte tragique" aux droits humains, le président américain Joe Biden a annoncé avoir demandé à son administration d'étudier les conséquences sur "tous les aspects de la coopération entre les États-Unis et l'Ouganda" de cette loi "honteuse". Les autorités américaines, a-t-il précisé, envisagent "des mesures supplémentaires", comme des sanctions ou des restrictions de visa pour "toute personne associée à des violations des droits de l'homme ou des faits de corruption". "L'incapacité de l'Ouganda à protéger les droits des personnes LGBTQI+ s'inscrit dans le cadre d'une dégradation plus générale de la protection des droits humains" dans le pays, a souligné le secrétaire d'État américain Antony Blinken.
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Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a lui aussi fustigé une loi "contraire aux droits humains". "Le gouvernement ougandais a l'obligation de protéger tous ses citoyens et de faire respecter leurs droits fondamentaux. S'il ne le fait pas, les relations avec les partenaires internationaux s'en trouveront compromises", a-t-il prévenu. En avril, le Parlement européen avait réagi par le vote d'une résolution appelant à la décriminalisation universelle de l'homosexualité. Ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni s'est dit "consterné que le gouvernement ougandais ait signé la loi anti-homosexualité profondément discriminatoire", selon un communiqué du secrétaire d'État aux Affaires étrangères Andrew Mitchell.
En 2014, des bailleurs internationaux avaient déjà réduit leur aide à Kampala après le vote d'une loi réprimant l'homosexualité. Washington avait notamment suspendu le financement de programmes destinés au gouvernement et imposé des interdictions de visas. Des pays européens (Danemark, Suède, Norvège, Pays-Bas...) avaient également gelé une partie de leur aide bilatérale. La loi avait finalement été annulée par la cour constitutionnelle pour un vice technique lors du vote. Un député ougandais à l'initiative du nouveau texte, Asuman Basalirwa, a confirmé s'attendre à des sanctions occidentales, estimant qu'il fallait trouver de nouveaux "partenaires de développement", notamment dans le monde arabe.
L'homophobie populaire en Ouganda
Cette loi suscite évidemment l'inquiétude des organisations humanitaires. "Les progrès de l'Ouganda dans sa riposte au VIH sont désormais gravement compromis", affirment dans un communiqué trois organisations humanitaires, dont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et l'agence humanitaire américaine USAID, expliquant que le texte "entravera l'éducation sanitaire et la sensibilisation qui peuvent aider à mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique". "Nous nous sentons tellement, tellement, tellement inquiets. Cette loi va faire beaucoup de mal à la communauté LGBTQ ougandaise", a déclaré à l'AFP le directeur exécutif de Sexual Minorities Uganda, organisation de défense des droits des LGBTQI+, dont les activités ont été suspendues par les autorités l'année dernière. Il redoute désormais "une justice populaire et des arrestations massives".
La loi bénéficie en effet d'un large soutien populaire et les réactions d'opposition ont été rares dans le pays dirigé depuis 1986 par Yoweri Museveni. S'il n'y a pas eu de poursuites récentes pour des actes homosexuels, harcèlement et intimidations sont le quotidien des homosexuels en Ouganda, où s'est développé un christianisme évangélique LGBTphobe. La présidente du Parlement, Anita Among, s'est félicitée dans un communiqué de la promulgation du texte : "Nous avons tenu compte des préoccupations de notre peuple et légiféré pour protéger le caractère sacré de la famille (...) Nous sommes restés fermes pour défendre la culture, les valeurs et les aspirations de notre peuple".
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Crédit photo : Tchandrou Nitanga / AFP