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témoignages"Espèce convoitée", le daddy vit sa meilleure vie

Par Mathias Chaillot le 25/10/2023
Daddy

[Article disponible dans le têtu· de l'automne ou sur abonnement] Ils ont la quarantaine passée, les tempes grisonnantes, une carrure rassurante et l’assurance sereine de ceux à qui tout a réussi. Dans un milieu où vieillir effraie souvent, les daddies ont aujourd'hui la cote.

Photographie : Yann Morrison pour têtu·

"Vas-y, papy, passe." La première fois qu’on lui a dit ça, ça piquait un peu ; Erik l'a mal pris. Aujourd’hui, quand on lui dit qu’il est particulièrement sexy avec ses cheveux blancs, le quinquagénaire s'en amuse : "Il faut croire que le daddy est à la mode." La tendance ne concerne pas que les gays, à en juger par les quelque 580.000 références sur Instagram pour "Dilf" (Daddy I'd Like to Fuck, "le papa que je veux baiser").

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L’acteur Pedro Pascal, autoproclamé "your cool slutty daddy" ("ton papa cool et coquin"), ne peut plus faire une interview sans qu'on lui parle de son sex appeal de quasi-quinqua. "Dans la presse, on voit maintenant des classements des daddies les plus sexy, avec plein de sous - catégories, les silver fox, etc., s'étonne encore Cédric, 50 ans. C'est devenu une espèce convoitée !" Dominique, aujourd'hui sexagénaire, a vu les choses changer à 40 ans quand ont débuté "les vingt meilleures années" de sa vie : "On est bien dans sa tête, bien dans ses baskets, souvent passés par la case psy … ça se ressent. Ce qui plaît, c'est ce qu'on exprime par notre attitude, pas juste une couleur de cheveux."

Ce renversement de situation, par rapport à la jeunesse survalorisée, Mathias appelle ça "faire une George Clooney". Le fonctionnaire de 44 ans s'estime chanceux quand il regarde dans le rétro : "Si vous n'arrivez pas à choper à 20 ans, peut-être qu’à 40 vous pourrez choper des mecs de 20 !" Ectomorphe dans sa jeunesse, il a pris 10 kilos et pas mal de confiance en lui. "C’est aussi ce que les mecs recherchent : j’ai les pieds sur terre, des amis, un boulot …" Il s'estime, de fait, plus rassurant en version quadra. Rassurant, expérimenté, arborant fièrement les marques du temps, le daddy retrouve une deuxième jeunesse après avoir longtemps été mal et sous-représenté.

"J'adore leur assurance"

"Par exemple, la façon dont on parlait, avant, des gays plus âgés dans les séries était terrible, relève Tanguy Vandenabeele, sociologue, qui a consacré sa thèse au vieillissement chez les gays. Même Queer a s Folk en donnait au début une représentation assez noire. Le personnage de Vic est triste, malade, pauvre, quand George utilise son argent pour séduire. Mais au fur et à mesure des saisons, ils évoluent, et nos regards aussi." En parallèle, d'autres séries commencent à intégrer des homos plus âgés et positifs, comme Brothers and Sisters ou Cucumber. "Tous ces rôles touchants, questionnants, que n'avaient pas les plus de 40 ans lorsqu'ils étaient plus jeunes, ont émergé progressivement, retrace le sociologue. Petit à petit, on a commencé à avoir d'autres modèles." S'ils sont aujourd'hui sous le feu des projecteurs, les daddies sont aussi sous celui, nourri, des sollicitations. Et pas seulement des hommes de leur âge … "Est-ce moi qui ai commencé à chercher plus jeune ?" s'interroge Erik, quand Cédric pointe les filtres Grindr : "Depuis que j'ai dépassé les 40 ans, 90% des mecs qui me contactent ont moins de 25 ans." Ce qui ne lasse pas d'étonner Nicolas, 44 ans : "Je me demande ce qu'ils viennent chercher chez nous, alors qu'ils ont accès à des corps de leur âge."

Roméo, 24 ans, fait partie de ces jeunes fans de daddies : "Un mec de quinze ans de plus que moi, barbu, un peu poilu et un peu balaise, genre intello avec des traits du visage marqués, je trouve ça sexy." D'aussi loin qu'il se souvienne, physiquement, il a toujours préféré les mecs à l'allure macho : "Quand j'étais plus petit, ma mère regardait les téléfilms pour mamans sur M6, avec des daddies veufs ou divorcés, et déjà je trouvais ça sexy." Loïc, 31 ans, complète : "J'adore leur assurance, ce petit sourire qui te fait savoir qu'il va s'occuper de toi bien comme il faut. Ils sont dominants, mais juste comme il faut. Ce n'est pas violent ; ils sont juste sûrs d'eux, de leur expérience, et ça c'est terriblement excitant. Cette assurance rentre complètement dans mes fantasmes de soumis ! À part ce rapport dominant, je ne suis pas sûr que le daddy soit vraiment mon trip. En tout cas ce n'est pas l'âge en soi qui m'attire."

Quoi qu'il en soit, Erik a pris le parti de profiter à fond de cette nouvelle mode. "Honnêtement, je crois que j'ai plus de plans cul aujourd'hui que lorsque j'étais jeune", calcule-t-il. Les garçons qui lui écrivent ont entre 22 et 30 ans – "parfois, même 19", précise-t-il. Bien sûr, il est conscient que sont projetés sur son corps de daddy des fantasmes et des stéréotypes qui le rendent forcément actif, paternel et dominateur. Si certains assument et endossent le rôle avec bonheur , d'autres s'en accommodent tout juste. Anthony – "47 ans, la maison, la voiture, le golden retriever" – laisse toujours "sa chance au produit", mais il refuse les jeunes mecs qui "recherchent un père de substitution ou veulent simplement se faire mater". Non, il ne donnera pas la fessée. De fait, certains n'attendent que ça.

Traités de "pédo" sur les réseaux sociaux

"Au fond, mon fantasme sur les daddies est ultra-pervers, avoue Loïc. Il y a le côté dangereux, incestueux… J'ai déjà fait l'amour avec quelqu'un qui m'a appelé fiston et c'était ma limite. Je me rends compte qu'une partie mes fantasmes sont des manifestations de souffrance, ou de manque venant de l'enfance, et ça me met mal à l'aise. Mais je consomme quand même beaucoup de porno du type 'step dad' ['beau-père']." Passé la quarantaine, Anthony a remarqué que sa sexualité évoluait , prenant une forme moins performative et plus épanouie. "On sent qu'on a moins d'énergie, un peu plus de mal à être excités, voire à maintenir une érection, développe-t-il. C'est progressif et on se demande : c'est quoi, le sexe ?"

Mais alors, les préliminaires trouvent un sens nouveau : "Les caresses, les embrassades, le toucher sont revalorisés ; les orgasmes sont meilleurs. C'est une conversion, pas une perte." Alors, les nouveaux daddies sont-ils en train de faire exploser l'âgisme réputé ronger la communauté gay ? Pas totalement. Tanguy Vandenabeele estime d'ailleurs que la discrimination envers les plus âgés n'est pas plus virulente chez les gays qu'ailleurs, simplement plus visible. "On a installé l'idée que le corps beau est le corps sain, mince ou sculpté, et les signes de vieillissement viennent l'abîmer, détaille-t-il. Mais les personnes de 40 ou 50 ans savent se défaire de ces difficultés." Surtout lorsqu'elles constatent qu'elles plaisent. "J'ai 24 ans, et j'aime me dire que les mecs de plus de 40 avec qui je baise ou relationne ont quelque chose que je n'ai pas, et que j'ai quelque chose qu'ils n'ont plus : ma jeunesse, mon énergie. Eux ont une situation, de l'expérience, ils sont établis, explique Roméo. Quand mon mec a cinq ans de plus , j'en ai un peu honte car je suis vu comme un baby. Alors que quand il a vingt ans de plus, ce n'est plus un tabou, ce n'est pas dévalorisant : les rôles sont établis, assumés, recherchés. Désirables. Et j'aime ça, car ma jeunesse y est aussi plus valorisée."

Mais pour les daddies, draguer des vingtenaires présente aussi quelques risques. "Il y a une image un peu péjorative dans le daddy car on met vite le mot 'sugar' juste avant", observe Anthony. Cédric s'inquiète aussi de la virulence des réseaux sociaux, où les daddies qui couchent avec des mecs jeunes sont parfois décrits comme des prédateurs : "Depuis quelque temps, je vois des mecs de 18-25 ans qui traitent carrément de pédophiles des quadras parce qu'ils s'intéressent à des plus jeunes." Ceux qui ont grandi dans les années 1970 et 1980 ont souvent dû attendre longtemps avant de faire leur coming out. Et l'épidémie de VIH a rendu le début de leur sexualité particulièrement anxiogène. Ils regrettent parfois de ne pas avoir assez profité de leur jeunesse. "Avec la PrEP et les applis, les jeunes vivent une libération sexuelle", remarque Mathias. Alors, les daddies rattrapent aujourd'hui le temps perdu. Erik y voit une forme de revanche : "Quand j'étais jeune, pour faire des rencontres, il fallait aller dans des endroits que je trouvais glauques ou que je ne connaissais pas."

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Avec qui vieillir ?

Il se souvient de l'époque du Minitel et du réseau téléphonique, sans photos ni géolocalisation, et envie la liberté des plus jeunes qui le draguent aujourd'hui. Il en profite pour vivre sa jeunesse, enfin, à leurs côtés. "Certes, j'ai passé 50 ans, mais des mecs viennent, reviennent, et on s'amuse." "Je me sens assez valorisé d'être désiré par des hommes qui ont beaucoup plus d'expérience, qui ont une vie d'adulte trois ou quatre fois plus longue que la mienne. E t en même temps je peux prendre soin d'eux : je les vois se rendre vulnérables, se mettre à nu face à quelqu'un de quinze ans de moins, c'est puissant, confie Roméo. En plus, j'aime qu'ils me parlent de leur expérience, de le urs histoires avec leur mec ou leurs ex. Par exemple, je suis amant d'un couple, ensemble depuis 22 ans. Ça me paraît trop beau, presque inaccessible pour moi. Alors j'en suis témoin, acteur, via nos relations sexuelles. Je leur en suis reconnaissant, et grâce à eux je me sens bien, hyper vivant."

Alors qu'il voit ses parents et ceux de son compagnon vieillir, Erik s'inquiète néanmoins de ne pas avoir d'enfants pour s'occuper de lui le jour venu. "Mon succès sur le marché de la drague apaise un peu cette angoisse. Les petits jeunes rendent la vieillesse des daddies plus douce", philosophe-t-il. Pour les célibataires reste la question de la personne avec qui ils vieilliront. "J'ai du mal à me projeter dans une vie de couple avec quelqu'un de plus jeune, craint Nicolas. Le plus dur sera de trouver un mec de mon âge, je vois bien qu'ils ne viennent pas à moi. J'espère ne pas rater le tournant car un jour, je ne serai plus désirable. Même pour les jeunes." Cédric espère que la mode du daddy dure et qu'une nouvelle catégorie voie le jour pour garder les seniors désirables dans la communauté. Car pour le moment, rappelle-t-il, après le daddy, il n'y a rien. "Comme si le pédé disparaissait."

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