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reportageÊtre gay en Ouganda : "La situation n’était pas bonne, maintenant elle est affreuse"

Par Margaux Solinas le 07/12/2023
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En Ouganda depuis le printemps, la peine de mort peut s’appliquer pour "délit d’homosexualité aggravée". De nombreux jeunes gays ont donc pris la route de l'exode. Beaucoup sont réfugiés au Rwanda, pays voisin d'Afrique de l'Est, où ils tentent de survivre et de se reconstruire psychologiquement après les traumatismes subis dans leur pays natal.

Photographie Paloma Laudet pour têtu·

L'œil encadré d’une longue balafre, Musika, 29 ans, pose un regard bienveillant sur ses amis installés à côté de lui, dans une petite salle des locaux d’une ONG à Kayonza, au Rwanda. Il a quitté son pays natal voisin d'Afrique de l'Est, l’Ouganda, en février. Musika s’estime chanceux : il n’a pas eu de problèmes pour passer l’immigration ni pour s'installer dans la ville frontalière de Kagitumba avec sept de ses compagnons d'infortune. Sa mère lui adresse encore la parole, et il a la double nationalité ougando-rwandaise. Il peut donc déménager à Kigali, la capitale, pour y trouver un travail et démarrer une nouvelle vie. Ce n’est pas le cas de tous ses camarades.

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Musika est bisexuel. S’il s’est exilé volontairement de Mbarara, une ville du sud de l’Ouganda, c’est par peur des conséquences de sa sexualité et de son engagement pour les droits LGBTQI+. "Dans mon pays je suis considéré comme un hors-la-loi car j’ai créé une organisation régionale [non reconnue] pour défendre nos droits", énonce-t-il en peinant à contenir sa colère. En Ouganda, être homosexuel est un délit depuis la période coloniale (1894-1962). Mais la situation s’aggrave en 2014 lorsqu'une loi anti-homosexualité porte les peines encourues jusqu’à la prison à perpétuité. Et le 29 mai 2023 tombe un nouveau couperet : la peine de mort peut désormais s’appliquer pour "homosexualité aggravée", ce qui englobe la récidive, la transmission d’une maladie mortelle, ou encore une relation avec un mineur ou une personne handicapée.

Parmi les 69 pays qui répriment l’homosexualité dont 32 sur le continent africain, selon le recensement de l’Observatoire des inégalités, l’Ouganda a rejoint la liste des six pays qui rendent les relations homosexuelles passibles de la peine capitale. Cet été, un jeune homme de 20 ans a été mis en examen pour "relation sexuelle homosexuelle avec une personne en situation de handicap". La peine de mort est requise. Depuis, les arrestations "vont bon train", rapporte Justine Bayla, avocate du premier inculpé. Aujourd’hui, six personnes sont inculpées pour "délit d’homosexualité" et risquent a minima vingt ans de prison.

"Je dormais dans la jungle"

Gigotant sur sa chaise à côté de Musika, Kaguta, 21 ans, entortille machinalement l'une de ses dreadlocks avant de prendre la parole. "J’ai dû vivre six mois dans la rue à Kampala lorsque ma tante a découvert que j’étais homosexuel. Elle m’a chassé de la maison, retrace-t-il. Mes parents sont tous les deux morts du sida en 2017. Après ça, j’ai dû m’installer chez ma tante. Le jour ou elle m’a rejeté, elle m’a dit 'Je ne savais pas ce que tu étais', comme si j’étais un monstre. Je ne lui avais pas dit parce que j’avais peur de sa réaction. Et j’avais raison…" Ses doigts nerveux s’en prennent à ses piercings. Une marguerite plaquée or, un anneau en argent et une perle ornent son oreille droite. À Kampala, cette touche de style lui a valu de nombreux tracas. "Je me suis fait harceler quand j’étais à la rue, puis tabasser pour mon style vestimentaire, et pas qu’une fois. Alors j’ai décidé de fuir ce pays. J’avais peur de mourir." Mais le chemin de croix de Kaguta n’est pas terminé : sans le sou et terrorisé, il décide de partir à pied. Il mettra environ deux semaines pour atteindre la frontière rwandaise. "Je n’avais pas d’argent pour manger ou dormir à l’hôtel. La plupart des nuits, je dormais dans la jungle, j’ai survécu grâce à la générosité des gens qui m’ont offert de l’eau et parfois à manger. Puis j’ai fini par traverser illégalement la frontière." Arrivé à Kagitumba en août, Kaguta ne s’est pas encore tout à fait remis du voyage. S’il se dit "soulagé" d’être au Rwanda, le jeune homme n’arrive pas à se débarrasser de ses démons du passé. "La nuit je me réveille et j’ai peur. Mes amis me disent que nous sommes libres ici, mais parfois je suis encore terrorisé. Je n’arrive plus à savoir de quoi, mais je ne me sens toujours pas en sécurité."

"La situation n’était pas bonne, maintenant elle est affreuse", résume Frank Mugisha, 44 ans, activiste à Kampala. "J’essaye d’aider du mieux que je peux, mais c’est catastrophique. Maintenant je tente de trouver des abris pour certaines personnes, de leur trouver à manger car ils ne peuvent plus travailler et doivent vivre cachés. J’essaye de militer pour en faire sortir de prison. L’avantage c’est que je suis trop connu à l’international pour que le gouvernement m’arrête." Icône de la communauté LGBTQI+ dans son pays, le militant était à la tête d’une organisation (Sexual Minorities Uganda) regroupant plusieurs associations de défense des droits humains. Depuis le mois de mai, son organisation "a été interdite par le gouvernement", mais il parvient tout de même à fournir son aide aux personnes LGBTQI+ du pays. Le plus difficile : "Réussir à fournir quelque forme d’assistance médicale aux personnes infectées par le VIH, soupire Musika. Ma génération est infectée car personne ne nous fournit de préservatifs, et le pire c’est qu’une fois atteint d’une maladie sexuellement transmissible, il est quasiment impossible de recevoir des soins. Les médecins font de la ségrégation, nous jugent et se moquent de nous. Et il est évidemment impossible de se plaindre au gouvernement, vous l’aurez compris, il ne va pas plaider notre cause".

Solitude et dépression

Malgré les différences de culture, de langues et d’institutions à travers les quatre royaumes d'Ouganda – Buganda, Bunyoro, Toro et Busoga –, "l’homosexualité est perçue comme une maladie dans tout le pays". Le calvaire d'André*, 23 ans, collier de perles noires autour du cou, a commencé à cause de cette homophobie répandue dans son pays natal. Le jeune homme a commencé à être coquet dès l'enfance. "À 6 ans, je me maquillais avec les produits de ma mère et je ne jouais qu’avec des filles. Au début mes parents me grondaient sévèrement, puis ma mère a commencé à devenir méchante. Je n’étais qu’un enfant, je ne comprenais pas…" Terrorisés à l’idée que leur fils soit homo ou trans, les parents d’André décident de l’abandonner. "C’est son oncle qui l’adopte et l’emmène vivre au Rwanda à ses 7 ans", complète son ami Andrew, 22 ans, tandis qu'André se mure dans un silence hagard. "Il n’aime pas parler de sa situation familiale. Son rejet par ses parents est incompréhensible, il n’était qu’un enfant."

Pour s'exprimer, André commence la danse à l’âge de 8 ans dans les rues de Nyamirambo, le quartier populaire de Kigali. Mais ayant été abandonné dès l'enfance, il n’a pas de papiers. Or pour vivre de sa passion, signale son ami,"il doit pouvoir voyager à l’étranger. Aujourd’hui il craint pour son futur. Il ne peut même pas avoir accès à une assurance santé ici, ni à quelqu’un à qui se confier quand il va mal". La dépression est un problème récurrent chez les LGBTQI+ d'Ouganda en exil, rapporte Andrew. "Nombre de mes amis ont commencé à boire, à devenir violents, à fumer de la drogue… Mais personne ne les aide à comprendre pourquoi ils sombrent dans un état dépressif, et personne ne cherche à les soigner. Nous ne sommes pas réellement pris en charge non plus au Rwanda, mais au moins personne ne nous agresse et on nous laisse vivre en paix."

Avec quelques rares pays africains, le Rwanda a signé une déclaration conjointe des Nations unies condamnant la violence contre les personnes LGBTQI+. Et l’homosexualité n’y est pas pénalisée. "Nous accueillons également des réfugiés du Burundi ou de la Tanzanie", signale Jacob*, président d’une ONG qui milite pour l'accès aux soins de ces réfugiés. Si la vie est plus douce au pays des mille collines pour Musika, André, Andrew et Kaguta, elle n’est pas pour autant facile. "Il y a quand même une homophobie, particulièrement dans les villages, mais pas dans les grandes villes comme à Kigali", explique Jacob, assis dans son bureau où trône un drapeau LGBT auprès d’un drapeau du pays. Pasteur à ses heures perdues, ce militant soutient avec passion le RPF, le parti du président Paul Kagamé. Et il n’hésite pas à le montrer. "Notre président veut unifier notre pays. Et il est ouvert d’esprit, ça n’aurait aucun sens d’avoir combattu un génocide et de se mettre à persécuter une communauté", martèle-t-il. Pourtant, il préfère taire le nom de son ONG, car aider les personnes LGBTQI+ n’est pas recommandé. Quant aux quatre amis d'Ouganda, après quelques mois ici, ils peinent encore à imaginer comment reconstruire leur vie.

*prénoms modifiés à la demande des intéressés

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