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Nos villes queersVisite : "À Bruxelles, vous trouverez toujours quelqu'un qui vous comprend"

Par Nicolas Scheffer le 27/04/2023
Bruxelles, capitale queer au cœur de la Belgique

[Article à retrouver dans le nouveau tetu· disponible en kiosques] Dans la capitale belge, on aime les frites, la bière et les LGBT. Bruxelles est aussi la capitale de l’Union européenne, où se solidifient nos droits. Visite queer.

Il y a cinq ans, pour m’aider à surmonter un chagrin d’amour, mon ami Andy a choisi Bruxelles, une métropole à la fois pluvieuse et chaleureuse, où je n’avais encore jamais mis un pied. Les Chouffe aidant – une bière wallonne de 8° qui s’exporte partout dans le monde –, je noyai ma peine dans sa convivialité multiculturelle, oubliant peu à peu mes ennuis. En y revenant aujourd’hui, je constate à quel point la ville mérite sa réputation de capitale de la fraternité.

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Et pas seulement en raison du concours européen de water-polo LGBTQI+ qui s’y est tenu en novembre, c’est-à-dire trois jours de speedos ultra-moulants en provenance de sept pays européens. Un événement qui s’est conclu par un ball organisé au Mirano, une ancienne salle de cinéma transformée en club, où les quelque 300 poloïstes – incomparables compagnons de nage – ont fait tourner une caisse de solidarité bleue et jaune en soutien aux queers ukrainiens, entre performances déguisées des équipes et cow-boy hollandais en jockstrap.

Des garçons qui débordent

Un conseil, promenez-vous en fin de journée rue du Marché-au-Charbon, où les garçons débordent des bars au point qu’il devient difficile de s’y frayer un chemin. En face de la Rainbow house, le centre LGBTQI+, une immense fresque représentant deux personnes queers se prenant par le bras donne le ton du quartier et rappelle que nous sommes au pays d’Hergé. “La taille humaine de la ville fait qu’il n’y a pas de cloisonnement entre les Bruxellois, les touristes et les expatriés. C’est rare qu’une capitale soit aussi mélangée”, note Vincent Reillon, président de Mannekenfish, l’association de water-polo dont le tournoi de novembre fêtait les 10 ans.

Mais les lesbiennes ne sont pas en reste. Elles peuvent compter sur le Crazy Circle, un bar à une dizaine de minutes à pied, du côté d’Ixelles, ou encore sur le Mother and Daughter, un établissement éphémère qui ouvre tous les étés depuis 2018. Quant à The Agenda, qui a ouvert ses portes en 2022, il dépoussière les codes des bars communautaires : pin’s pour indiquer ses pronoms, boissons à prix libre et programmation engagée. “Veuillez assumer la responsabilité de l’énergie que vous apportez à cet espace”, peut-on lire à côté du bar pour inciter à respecter les autres clients.

Chez Maman, chemisier satin et collier Saint Laurent

Cette volonté de se démarquer, on la retrouve chez Serge Morel lorsqu’il fonde en 1994 Chez Maman, un bar de nuit où furent donnés les premiers spectacles transformistes de la capitale belge. Le lieu, emblématique, voit depuis une foule se presser devant ses portes pour assister au spectacle donné sur le zinc du comptoir. “Je ne voulais pas de scène, pas de décor. Je voulais grimper sur le bar pour faire n’importe quoi, que cela paraisse spontané, improvisé, c’est cette accessibilité qui a plu”, se souvient Serge, désormais exilé en Corrèze, où il profite de sa retraite. Quand il a fallu militer pour obtenir le mariage pour tous, dix ans avant la France, Serge s’est laissé convaincre de débattre avec la droite réactionnaire, habillé en “maman”, chemisier satin et collier Saint Laurent. “J’ai gagné mes galons de militantisme”, souffle-t-il aujourd’hui.

Au Mirano, un Bruxellois quadragénaire ayant vécu une dizaine d’années aux États-Unis, se dit soulagé d’avoir retrouvé sa ville aux 184 nationalités, classée deuxième capitale cosmopolite après Dubaï. “Le plus agréable, c’est d’entendre huit langues différentes dans la rue. À New York, il n’y en a que pour l’anglais et l’espagnol, mais à Bruxelles vous trouverez toujours des personnes qui vous comprennent”, souligne-t-il. En Belgique, où l’on compte trois langues officielles, le français, le néerlandais et l’allemand, “l’intégration fait partie de notre ADN”, confirme Clémentine Delisse, bénévole au Pink Screens, l’un des plus anciens festivals de films LGBTQI+ d’Europe.

L'art du vivre-ensemble à la Belge

Selon de nombreux témoins, le vivre-ensemble est un art que les Belges manient en effet avec doigté. Bien loin de prendre en exemple l’intégration façon creuset à la française, les Bruxellois formeraient davantage une salade composée dans laquelle chaque ingrédient ajouterait son lot de saveurs. Même si la ville connaît aussi son lot de tiraillements communautaires et la montée d’un islamisme radical, responsable des attentats de Paris et de Bruxelles en 2015 et 2016.

Concernant les actes LGBTphobes, Sophie Croiset, experte auprès de safe.brussels, l’organisme public de coordination de la sécurité dans la région-­capitale, regrettait en mai 2022 sur la RTBF que les plaintes ne soient pas systématiquement déposées. “Auprès des victimes elles-mêmes, il y a une sorte de banalisation des discriminations et des agressions. Elles se disent « ce sont des choses qui arrivent », constatait la spécialiste.

La Belgique et les droits LGBT

Pourtant, la Belgique a été précurseuse en matière de droits LGBTQI+ : c’est le deuxième pays du monde à avoir autorisé le mariage aux couples homos ; depuis 2015 les lesbiennes peuvent accéder à la PMA ; en 2018 l’autodétermination de l’état civil a été adoptée ; la GPA n’y est pas interdite. “Le tissu associatif dispose d’un environnement politique favorable avec un soutien des autorités et des élus qui investissent pas mal d’argent pour débloquer des projets pour les personnes LGBTQI+”, analyse Clémentine Delisse, qui s’investit également au sein des Grands Carmes, un espace de la ville de Bruxelles mis à disposition de deux associations LGBTQI+. La militante applaudit au passage le bilan de la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’écologiste Sarah Schlitz. Dans le gouvernement fédéral, la Vice-Première ministre Petra De Sutter, une autre écologiste, est devenue en 2020 l’une des premières ministres ouvertement trans dans le monde – au-delà de son identité de genre, c’est aussi et surtout une militante combative des droits LGBTQI+.

Et puis à Bruxelles, en plus de rencontrer du monde, on a aussi la chance d’avoir un allié au Parlement européen : alors qu’en Pologne pullulaient des “zones sans idéologie LGBT”, l’intergroupe LGBTI a fait voter en 2021 une résolution faisant de l’Europe une “zone de liberté pour les personnes LGBTI+”.

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Crédit photo : Unsplash