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rétrorétine"Querelle" : quand Brad Davis fait escale chez Fassbinder et Jean Genet

Par Thomas Desroches le 06/10/2023

Réalisé par Rainer Werner Fassbinder et adapté d'un roman de Jean Genet, le film Querelle, avec l'acteur américain Brad Davis, s'est fait une place dans l’imaginaire collectif gay.

En septembre 1982, la censure frappe en France une affiche de cinéma représentant un matelot adossé à un pilier de briques en forme de phallus. Le film en question, Querelle, du réalisateur gay Rainer Werner Fassbinder, entre dans la légende, comme le roman de Jean Genet dont il est tiré, Querelle de Brest. Ce livre jugé inadaptable, et dont les 525 premiers exemplaires, publiés en 1947 et illustrés par des dessins érotiques de Jean Cocteau, ont été à l’époque saisis par la justice.

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Querelle est le nom d’un marin dont la beauté ravageuse met les corps et les âmes en ébullition. Lorsqu’il arrive à Brest, à bord du Vengeur, il retrouve son frère, Robert, et croise la route de Gil, un assassin avec qui il se lie d’amitié. Avec ses scènes homoérotiques poussées à leur paroxysme et toute une ribambelle de pulsions inavouées, Fassbinder trouve là une histoire à la hauteur de ses obsessions. À l’écran, il transforme le port breton en un lieu fantasmatique où le soleil se couche à l’infini. Le décor est artificiel, théâtral, les matelots, dont les costumes subliment la musculature, deviennent objets de désir.

Pour le rôle-titre, Fassbinder a choisi Brad Davis (Midnight Express, 1978). L’Américain de 33 ans, bisexuel, à la masculinité exacerbée, donne la réplique à Franco Nero et Jeanne Moreau, la seule femme du casting – elle est Lysiane, celle qui symbolise la féminité dans ce monde noyé de testostérone.

Le tournage, intense, en studio, s’étend sur à peine vingt-quatre jours. L’équipe enchaîne les journées de quatorze heures tandis que Fassbinder cumule les excès : l’alcool et la cocaïne s’ajoutent alors à ses quatre paquets de cigarettes quotidiens.

Jean-Paul Gaultier s’en inspire

Espérant goûter à la folie ambiante, Andy Warhol se rend sur le tournage, où il est accueilli par un cinéaste agité, affublé d’un pantalon en peau de léopard. “Il ressemblait à un dompteur dans un cirque”, écrit le père du Pop art dans son journal intime. Après son passage sur le plateau, il crée une affiche – deux hommes accolés, dont l’un tire une langue rouge –, qui inspirera François Ozon pour Peter von Kant, remake d’un classique du cinéaste allemand. Six semaines après la fin du tournage, Fassbinder, éprouvé par ses abus, meurt en plein montage du film, à l’âge de 37 ans, après 41 longs-métrages tournés en à peine treize ans.

À la sortie de Querelle, les critiques sont divisées. Le New York Times évoque un “gâchis” et compare Brad Davis à “un étudiant américain propret habillé pour un bal costumé”. Incompris, Querelle se fait pourtant une place dans l’imaginaire collectif. En 1983, Jean-Paul Gaultier s’en inspire pour sa première collection de prêt-à-porter pour hommes, qui voit l’apparition de sa célèbre marinière. Interrogé sur le film lors d’une interview télévisée, Brad Davis avait prédit : Querelle n’a pas été fait pour rapporter de l’argent. Il a été fait pour l’éternité et il durera pour l’éternité. Je pense que les enfants de mon fils le verront.” Diagnostiqué séropositif en 1985, il se suicidera six ans plus tard, à 41 ans, par overdose.

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Crédit photo : Carlotta Films