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portraitEurovision 2024 : Mustii, le représentant de la Belgique, prêt à "brûler la scène"

Par Maxime Fettweis le 15/03/2024
Mustii représente la Belgique à l'Eurovision 2024.

Musique, théâtre, cinéma… Avant que la fête soit finie, l’artiste belge Thomas Mustin, alias Mustii, compte utiliser tous ses talents pour faire des étincelles pour la Belgique à l'Eurovision 2024.

“Dans ma performance, il y aura du drame car je suis une drama queen, mais surtout parce que nos réalités sont faites de ça.” À deux mois de l'édition 2024 de l'Eurovision, qui se déroulera du 7 au 11 mai à Malmö, en Suède, Mustii est dans les starting blocks, et compte bien “brûler la scène”. Face au Français Slimane ou au Britannique Olly Alexander, voilà un concurrent de taille venu de Belgique, qui concourt avec “Before the Party’s Over”. Dans un clip incandescent aux couleurs aussi sombres que chatoyantes, cet hymne queer donne un aperçu de l'univers de l’artiste âgé de 33 ans. Ses fans le voient déjà remporter le concours, mais Mustii reste concentré dans le tunnel de préparation qui le mènera en Suède au mois de mai : “Je regarde les commentaires des gens et comment la chanson résonne chez eux mais pas les chiffres et les classements”, assure-t-il, les yeux rivés sur la mise en scène qu’il peaufine avant le jour J.

“Are We Sure the Kids Are Alright?” (“Sommes-nous sûrs que les enfants vont bien ?”), demande-t-il dès les premières paroles. “Le morceau débute sur l'inquiétude de devoir toujours prétendre que tout va bien, se fondre dans quelque chose qui ne nous ressemble pas, détaille-t-il. C’est ce que j’ai beaucoup fait quand j'étais plus jeune, alors que c'était plus complexe à l'intérieur.”  Né dans la banlieue de Bruxelles, Thomas Mustin, de son vrai nom, se souvient de la pression inconsciente qui a longtemps pesé sur ses épaules. Malgré une famille tolérante, il se cache alors derrière une façade de timidité pour rentrer dans le moule : “À l'école, j'étais hyper renfermé, à me cacher derrière tout et rien. J'avais peur, je ne voulais pas faire de vagues.”

Pour conjurer cette gêne maladive, ses parents l'inscrivent à un stage de théâtre à 8 ans. L'expérience le transcende. Dans les costumes qu'il endosse, il se sent “revivre”. “Depuis toujours, je suis fan des personnages en marge, qui ont un pied en dehors du monde, raconte-t-il. Je crois que je me reflète un peu là-dedans.” Des années plus tard, un diplôme d’interprétation dramatique en poche, c'est dans la peau de ce type de personnages qu'il apparaît dans les séries La Trêve sur Netflix (2015) et L'Île au 30 cercueils sur France 2 (2021), mais aussi en 2017 dans le téléfilm Je voulais juste rentrer chez moi, où il incarne le rôle pas évident de Patrick Dils, condamné à tort en 1989 à la perpétuité pour les meurtres de deux garçons à Montigny-lès-Metz, en Moselle, avant d'être reconnu innocent en 2002. Au cinéma, il a donné la réplique à Lambert Wilson et Olivier Gourmet dans L’Échange des princesses, en 2017.

Sur toutes les scènes

“Je me considère comme un acteur, même dans la musique”, estime Thomas Mustin dans son t-shirt blanc qui tranche avec les vêtements noirs qu’il porte sur scène. Il a embrasé l'allumette musicale une dizaine d’années plus tôt dans sa chambre d'étudiant. Après une brève expérience à la tête d’un groupe de rock, il prend son indépendance et façonne Mustii : “C’est une forme d’alter-ego où mes émotions sont multipliées par dix, détaille-t-il, mimant une explosion avec ses mains. Comme au théâtre, je voulais essayer de dessiner une silhouette que je pourrais modifier à ma guise en fonction des sujets que j'aborde, créer mon personnage.”

Deux albums succèdent à son premier single, sorti en 2014. Le public belge découvre la voix sensible et habitée de Mustii, incarnant en 2018 un adolescent mal dans sa peau avec 21st Century Boy, puis marchant dans le pas de son oncle schizophrène décédé avec It’s Happening Now (2021). “‘Before the Party’s Over’ est le premier échantillon de mon troisième album, et c’est la première fois où je ne mettrai aucun intermédiaire, aucun personnage en jeu, explique l'artiste. J'y parviens seulement maintenant car je suis mieux dans ma peau et plus en phase avec qui je suis. Je parle plus ouvertement de moi ces dernières années…” Comédien comme chanteur, une fois sur scène, il exalte, instinctif. Sa musique est construite pour la scène et il refuse que celle de l’Eurovision soit une camisole : “Mon défi c'est de construire un squelette à ma performance et en même temps laisser des zones de respiration où je peux m’exprimer sans tomber dans le piège de ce concours, où on peut être tenté de faire un grand cirque et d'appuyer sur tous les boutons en même temps.”

Membre du jury de Drag Race Belgique

Lors de notre rencontre, il porte une casquette noire estampillée “Drag Couenne”, la lauréate de la première saison de Drag Race Belgique. Mustii était membre du jury de l'émission, et c'était la première fois qu'il s’affichait ouvertement comme un artiste queer. “Quand on est artiste, on se demande toujours où nos décisions peuvent nous ranger. J’ai vite balayé ce doute en me disant que le plus important c'était d’être libre. Maintenant je me dis : ‘Va où ton instinct te dit d'aller et ce que les gens peuvent penser, on s’en fout', insiste-t-il, déterminé.

Apporter son regard bienveillant aux drags du show produit et diffusé par la télévision publique belge a “débloqué les dernières serrures” qui l'empêchaient de chanter à la première personne : “Elles sont dans une position de rébellion, de lutte permanente. Ce vent de liberté résonne chez moi.” Si une partie de son public a d’abord pointé du doigt son prétendu “trip LGBTQI+”, il a appris à se défaire des critiques. Drag Race n'est que le sommet flamboyant de l'iceberg, et j'ai l’impression que tout changement ne se fera pas sans douleur”, souligne Mustii. 

Et cette douleur est transposée dans le final de “Before the Party's Over”. Rejoint par une chorale, Mustii pousse alors un cri de détresse cathartique. “Ça retranscrit une forme de libération après avoir été la moitié de moi-même trop longtemps, explicite-t-il. C'est un cri qui dit : ‘Mec, ne perd pas de temps car c'est bientôt terminé et on est sur un fil trop fragile donc il faut y aller maintenant !’ Parfois j’ai l’impression que je dois rattraper mon adolescence, ce moment où on est censé se sentir libre, expérimenter, c'est de là que vient l'urgence de la chanson.” Composée de voix venues du monde entier après un appel sur les réseaux sociaux, cette chorale est aussi un hommage à la communauté, au collectif qui permet de faire de nos douleurs communes une force pour s'élever car la vie est trop courte. Soit un parti pris similaire à celui de Sandra Kim dans “J’aime la vie”, titre qui avait permis à la Belgique de remporter l'Eurovision en 1986. “Ma chanson, c'est un peu sa jumelle maléfique”, conclut Mustii, en riant. Reste à savoir si ce parallèle est un bon présage pour récolter un maximum de “12 points”.

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Crédit photo : Lennert Madou

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