Récompensé aux Golden Globes en 1998 et co-écrit avec l'auteur belge Chris Vander Stappen, qui s'inspirait de sa propre vie, Ma vie en rose (1997) d’Alain Berliner traite de la dysphorie de genre chez l'enfant. Vingt-trois ans avant Petite fille, le documentaire de Sébastien Lifshitz.
À l’abri des regards, dans l’intimité de sa chambre, Ludovic, 7 ans, applique soigneusement du rouge sur ses lèvres. Ses parents, nouveaux dans le quartier, organisent une fête pour le voisinage. L’enfant descend les escaliers, les chaussures de sa mère aux pieds, et se révèle aux invités dans une robe de princesse. “Il fait toujours ça, une farce !” lance le père, gêné, pour tenter de rassurer ses convives médusés. Dès sa première scène, Ma vie en rose d’Alain Berliner donne le ton. Dans cet univers codifié et coloré, peuplé de familles nucléaires, se joue une quête d’identité. Celle de Ludovic, née dans un corps de garçon.
À lire aussi : "It's a Sin", une série à voir pour la mémoire et l'émotion, mais aussi pour sa BO
Quand le film sort, en 1997, la transidentité est encore un sujet incompris au cinéma. Les personnages trans font l’objet de clichés qui, encore aujourd’hui, collent à la peau de la communauté. Dans ce contexte, l’apparition de Ma vie en rose est une anomalie. Vingt-trois ans avant le documentaire Petite fille de Sébastien Lifshitz, le long-métrage aborde déjà la dysphorie de genre à hauteur d’enfant.
Le combat d'une enfant
L’idée est née grâce à Chris Vander Stappen, auteur belge mort en 2014 qui s’inspire de son expérience d’homme trans pour imaginer l’histoire de Ludovic. Sa rencontre avec Alain Berliner, réalisateur et coscénariste du film, est décisive. "À cette époque, on n’en parlait pas, se souvient le cinéaste. Les quelques médecins que j’avais rencontrés étaient très humbles sur le sujet, et ne savaient pas vraiment m’expliquer.”
Ma vie en rose raconte, avec intelligence et délicatesse, le combat d’une enfant face à l’incompréhension de ses parents et les moqueries de ses camarades. “C’est Dieu qui s’est trompé en m’envoyant mes X de fille, explique le personnage. Le Y est venu à la place dans la cheminée.” Pour s’évader, Ludovic imagine un univers parallèle inspiré de son feuilleton préféré, Le Monde de Pam – dont le générique est interprété par Zazie. Devant les maisons en plastique et une poupée plus vraie que nature, on pense forcément à Barbie de Greta Gerwig. Mais contrairement au film hollywoodien, la firme Mattel n’a pas été conciliante. “Ils ont refusé de nous donner les droits, révèle Alain Berliner. Ils ne voulaient pas être associés à ce sujet.”
Lorsque Michèle Laroque – dans l’une de ses rares partitions dramatiques – accepte le rôle de la mère, le projet s’accélère. Après huit mois de casting, l’équipe trouve enfin celui qui incarnera Ludovic. George Du Fresne, 12 ans, s’impose comme une évidence. Avant de l’engager, le réalisateur s’assure de son entourage : “Il fallait gérer l’après et ce qu’il se passerait à l’école après un film pareil. Par chance, ses parents étaient très ouverts.”
Du Festival de Cannes aux Oscars
À cause du thème jugé “sensible”, l’équipe reçoit sur le tournage la visite de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). “Ils avaient des craintes”, résume le metteur en scène. Malgré tout, Ma vie en rose est soutenu par TF1 et connaît une carrière exceptionnelle. Le film est présenté à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes, et reçoit une longue ovation. Trois semaines auparavant, il était déjà vendu aux États-Unis à Sony Pictures Classics. “Quand je suis arrivé sur la plage à Cannes, le président de la société, Michael Barker, m’a dit : ‘On va gagner l’Oscar du meilleur film étranger’”, se remémore Alain Berliner.
Le rêve ne s’est pas réalisé. Ma vie en rose, qui représente les couleurs de la Belgique, remporte le Golden Globe du meilleur film étranger mais se voit refuser la compétition aux Oscars. La droite conservatrice américaine fait pression et boycotte fermement le long-métrage. C’est la première fois, en quinze ans, qu’un lauréat du Golden Globe pour le meilleur film étranger n’est pas nommé à l’Oscar de la même catégorie. “Les religieux extrémistes étaient passés par là”, regrette le cinéaste.
Avertissement au cinéma
Étonnamment, en France, la presse conservatrice réserve un accueil enthousiaste au long-métrage. Le Figaro encense le film, tout comme le quotidien catholique La Croix. Avec ses 300.000 entrées, Ma vie en rose connaît toutefois un succès modeste. Affiché aux caisses des cinémas, un avertissement à l'intention des spectateurs précise que “le sujet et la manière dont il est traité peut surprendre et déranger”. Le même message, que le réalisateur juge "destructeur", est appliqué lors de la première diffusion sur TF1.
“Aujourd’hui, les mœurs ont évolué”, relève Alain Berliner. Le cinéaste cite notamment Girl, le film sur le même thème de son compatriote Lukas Dhont. Ma vie en rose reste, vingt-sept ans après sa sortie, un film précurseur sur la dysphorie de genre. Récemment remastérisé en 4K, il devrait ressortir prochainement au cinéma.
>> [Vidéo] La bande-annonce du film Ma vie en rose :
À lire aussi : Lukas Dhont, réalisateur de "Close" : "La tendresse est un choix politique"
Crédit photo : Haut et Court