interviewJeanne Mas : "J’ai eu plusieurs relations avec des femmes"

Par Florian Ques le 17/04/2024
Jeanne Mas en robe zèbre

[Interview à lire dans le magazine têtu· du printemps] Sensation brûlante des années 1980, Jeanne Mas entretient la flamme avec une tendresse pour le passé, les rencontres fortuites… et ses fans lesbiennes.

Interview Florian Ques & Maurine Charrier

C’est sa “Toute première fois” dans les pages de têtu·. Pourtant, nous, on a maintes fois terminé nos soirées au rythme de ses hits indémodables, “En rouge et noir” et "Johnny Jophnny" en top de playlist. Quand on rencontre Jeanne Mas dans un hôtel parisien près des Champs-Élysées, élégamment installée dans un fauteuil trop large pour sa menue silhouette, on aurait pu ne pas la reconnaître avec son pantalon en vinyle irisé et sa longue chevelure blonde recouverte d’un gros bonnet fuchsia. Où sont passés ses cheveux courts dynamités et ses tenues sombres empruntées au punk, les looks de ses débuts en 1984, qu’on lui connaît même si on n’était pas encore né ?

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À l'époque, sa mélancolie achevait de séduire les plus sceptiques, dont de nombreuses lesbiennes qui sont tombées raides dingues de cette chanteuse androgyne et torturée, cette "petite flamme noire, forte et souple, terriblement troublante", comme la décrit la revue gouine Lesbia en 1986, après avoir assisté à sa deuxième tournée au Palais des sports. "Le changement physique n’a rien à voir avec le changement intérieur, clarifie-t-elle aujourd’hui. Mon âme reste la même. Je n’aurais pas supporté de ne pas évoluer et d’arriver encore avec les cheveux en pétard et un maquillage très sombre." Quarante ans après ses débuts, son faible pour le noir s’est peut-être dissipé mais sa flamme, elle, demeure intacte.

  • Dites donc, la Jeanne des tout débuts n’aurait jamais osé porter autant de couleurs !

Elle me dirait sans doute : "T’as mis un béret vert ?! Mais qu’est-ce que tu fais avec ton pantalon rose fluo ? Tu as osé !" (Rires.) Le noir protège, on passe incognito. À l’époque, j’avais besoin de cette protection, car j’étais jeune, je débutais… Un jour, je me suis mise à acheter des vêtements colorés. J’habitais aux États-Unis et là-bas, personne ne faisait attention à ce que je portais. En revenant ici, j’ai eu envie de prolonger cette différence en mélangeant les couleurs, les formes, les matières… Et je crois que ça me réussit. (Elle sourit.)

  • Où sont passées les tenues rock de l’époque ?

Beaucoup sont chez ma mère. J’en ai jeté beaucoup d’autres parce qu’elles n’ont pas résisté au temps. J’avais voulu récupérer des shorts en me demandant si je rentrais encore dedans : illusion totale. (Rires.) J’ai essayé plus d’une fois de me refaire brune, mais ça me déprimait tout de suite.

  • Avec vos chansons, votre assurance et vos looks, vous avez séduit une grande partie de la communauté lesbienne à l’époque. Vous en aviez conscience ?

Ah non ! C’est une surprise. On m’a toujours associé à l’homosexualité des garçons et pas à celle des filles. Mais c’est cool ! Ça me touche. (Elle paraît attendrie.) À l’époque, je ne me posais pas de questions, toutes mes copines en Italie étaient des filles qui aimaient les filles, donc j’ai été très immergée dans le milieu lesbien sans que j’y prête trop attention. Pour moi, c’était naturel. Je suis pour le droit d’aimer, point barre.

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  • Votre titre “S’envoler jusqu’au bout” est identifié par beaucoup comme une chanson lesbienne mémorable. Elle s’appuyait sur une expérience perso ?

J’ai été inspirée en regardant mes amies. Mais moi aussi, j’ai eu plusieurs relations avec des femmes. Je les ai comptées l’autre jour, car il y a plein de choses que l’on zappe au fil de sa vie. (Rires.) Deux femmes ensemble, ça choque bien moins que deux hommes. Qu’une femme s’amuse avec une autre femme, ça peut même plaire à certains hommes. Un jour, l’un d’eux m’a dit : "Ouais mais bon, le sexe de l’homme, ça doit te manquer." Quelle prétention ! J’ai eu des expériences avec des femmes, mais je les voyais avant tout comme des êtres. Après c’est vrai que je suis née avec une attirance avant tout pour le mâle…

  • Vous vous souvenez de la première fois qu’une femme vous a troublée ?

J’étais dans l’avion avec ma famille. Dans le siège à côté de moi, il y avait l’actrice allemande Nastassja Kinski, qui avait gentiment ramassé le joujou de ma fille. Je la remercie, je reste discrète. Et avant de sortir de l’avion, elle se retrouve derrière moi et elle me susurre à l’oreille : "J’adore ce que vous faites." Elle m’a tellement troublée, parce que j’ai senti son énergie, je suis rentrée toute chamboulée. C’est la première fois qu’une femme me troublait vraiment. Son énergie m’a pénétrée. Je ne pouvais pas lui laisser mon numéro parce qu’il y avait ma fille et mon compagnon, mais j’aurais beaucoup aimé. C’était une belle sensation, c’est un beau souvenir.

  • Vous êtes souvent draguée par des femmes ?

Je ne sors pas beaucoup donc ça limite totalement les possibilités. (Elle sourit.) Mais non, je ne pense pas. Je me suis un peu détachée de tout ce qui est vie sentimentale.

  • Par lassitude ?

Par choix. Celui de ne plus être perturbée par ce genre d’émotions et de me consacrer uniquement à mon travail et à ce qui me tient à cœur. Mais aussi par peur de moi-même, de ne pas être à la hauteur. Je choisis la solitude. Mon dernier compagnon, lorsqu’il est parti dans l’autre monde, je m’en suis voulue car j’ai été terriblement chiante juste avant. Il s’est fait renverser et j’avais peur qu’il soit parti avec de la tristesse ou des sentiments négatifs à cause de moi. C’est là que j’ai décidé d’en rester là. Si je dois revivre quelque chose, ça me tombera dessus par hasard.

  • Pensez-vous avoir ouvert la voie aux nouvelles chanteuses de la scène francophone ?

J’ai entendu parler d’Angèle, de Hoshi, de Christine and the Queens… Mais artistiquement, je ne connais pas leur carrière. Dans les années 1980, il y avait des femmes androgynes, comme Annie Lennox ou Nina Hagen. On assumait notre personnalité. Peut-être que ça a ouvert des portes… Je ne m’en rends pas compte, je n’ai pas ce recul. Aujourd’hui, quand on me parle de ces jeunes artistes, je me dis que c’est la suite logique.

>> Jeanne Mas, en concert au Trianon, à Paris, du 27 février au 2 mars 2025.

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Crédit : JM Presse

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