cinémaIndétrônable Julianne Moore : 5 films à voir avec la star de "Mary et George"

Par Stéphanie Gatignol le 07/06/2024
Julianne Moore est à l'affiche de la série "Mary & George", sur Canal+

Figure centrale de la sulfureuse série historique Mary et George sur Canal+, l'Américaine Julianne Moore a jalonné sa carrière de rôles qui démontrent qu’elle ne craint pas de bousculer, provoquer, transgresser… mais toujours avec talent.

Quand elle était gamine, Julie Anne Smith détestait ses taches de rousseur, sources de bien des moqueries à l’école. En 2007, cette fille d’un militaire américain et d’une psy écossaise en a fait un livre pour les petits, Freakleface Strawberry, librement inspiré de son enfance et des souvenirs amers liés à son apparence. Après ce premier opus paru en France sous le titre de Miss Fraise, d’autres aventures ont suivi, régulièrement classées parmi les best-sellers jeunesse et l’autrice a fait mieux qu’accepter sa peau en pointillés et sa chevelure de feu. Sa singularité a tapé dans l’œil de poids lourds comme Spielberg, Gus Van Sant, Cronenberg ou les frères Coen, et son glamour séduit des marques de luxe ou de cosmétiques qui l’ont élue pour égérie. Choisir cinq jalons pour raconter un parcours polymorphe où les films indépendants à petits budgets cohabitent avec les grosses productions commerciales relevait de la gageure. Mais cette sélection en caméra subjective dessine les contours d’une personnalité dont le goût du risque a probablement contribué à lui ouvrir un club très fermé : celui des stars primées à la fois à Venise, Berlin et Cannes.

À lire aussi : Jodie Foster : les 5 films à voir avec l'insubmersible actrice lesbienne

  • (1993) Shorts cuts – Savoir se mettre à nu

"Robert, tu vas avoir une surprise, je suis une vraie rousse", aurait réagi Julianne Moore en acceptant le défi lancé par Robert Altman dans cette fresque chorale saluée par un Lion d’or à la Mostra. Sa prestation a marqué les esprits dans une scène de ménage pour laquelle il fallait, paradoxalement, se montrer quelque peu… culottée. Artiste peintre, Marian Wyman est bombardée de questions par un mari jaloux, juste avant de recevoir des amis pour dîner. Elle renverse du vin sur sa robe, part la nettoyer dans l’évier et revient la passer au sèche-cheveux tout en continuant à répondre à l’interrogatoire le plus naturellement du monde, mais pubis écureuil et fesses à l’air ; d’évidence, Madame n’a pas l’habitude de s’embarrasser d’un sous-vêtement ! A l’époque, Julianne Moore, 33 ans, a déjà été repérée dans des seconds rôles, notamment face à Harrison Ford dans Le Fugitif. En prenant le risque de choquer l’Amérique puritaine, elle ose un pari gonflé. Loin de lui nuire, sa prestation entre tension dramatique et drôlerie décalée, dopera sa carrière et lui imprimera une signature : elle n’a pas froid aux yeux !

  • (2022) The Hours – Trouver le courage de s’émanciper

Sur l’affiche du film de Stephen Daldry, elle se trouve au centre, entre deux pointures. Julianne Moore est Laura Brown, mère au foyer des Fifties accablée par l’insondable platitude de son existence. À sa droite, Nicole Kidman incarne l’écrivaine Virginia Woolf, assaillie par la maladie mentale, dans les années 20. À sa gauche, Meryl Streep prête ses traits à une éditrice contemporaine. En couple avec Sally, Clarissa s’occupe de son meilleur ami et ancien amant atteint du sida. Le poète la surnomme Mrs Dalloway comme l’héroïne du plus célèbre roman de Woolf et chacun l’aura compris : le livre est le fil qui relie des protagonistes dont les destins se font écho par-delà le temps. Sombre, cérébrale, cette chronique féministe de trois libérations (fût-ce par le suicide) brille par son architecture complexe et par l’éclat d’un trio récompensé à Berlin par un prix d’interprétation collectif. Le monologue dans lequel Laura raconte comment elle a décidé, un matin, d’abandonner sa famille après la naissance de son second enfant pour, dit-elle, "choisir la vie" plutôt que de se donner la mort, reste l’un des morceaux de bravoure de la carrière de Julianne. The Hours a scellé son entrée dans la cour des grandes. Elle n’en est plus ressortie.

  • (2014) Still Alice – S’obstiner à rester soi-même

Un mot qui vous échappe pendant un discours, cela arrive à tout le monde, même à une brillante professeur de linguistique. Mais lorsque Alice Howland part effectuer un jogging et ne reconnaît plus des lieux d’ordinaire familiers, c’est qu’il y a "quelque chose qui ne va pas". Très vite, le verdict tombe. Celle qui vient de fêter ses 50 ans souffre d’un Alzheimer précoce et congénital. Retraçant son combat pour retarder l’inéluctable et une bataille perdue d’avance, Still Alice permet à Julianne Moore d’écoper d’un "rôle à Oscar" qu’elle a l’intelligence d’investir sans théâtralité ni excès dramatique. Un an après son prix d’interprétation à Cannes pour Maps to the Stars, il lui vaut une pluie de récompenses et de rafler la fameuse statuette dorée. Pour l’équipe du film – dont Kristen Stewart qui incarne l’une de ses trois enfants -, le tournage est marquant à plusieurs titres. Car, hors-champ, les réalisateurs vivent un drame qui résonne avec celui qu’ils mettent en scène. Premier couple gay "officiel" de l'industrie d'Hollywood, Richard Glatzer et Wash Westmorland sont eux aussi confrontés au pire. Richard, atteint de la maladie de Charcot, brave, sur le plateau, de terribles difficultés physiques. Il s’éteindra à 63 ans, quelques mois après la sortie du film.

  • (2015) Free love – Avoir la force de s’engager
Julianne Moore et Elliot Page dans Free Love

Julianne Moore prête ses traits à l’histoire d’amour et au combat bien réel du lieutenant de police Laurel Hester. En 2004, lorsque cette flic réputée du New Jersey se découvre un cancer à un stade avancé, elle décide de se battre pour que sa jeune compagne ne subisse pas un traitement de défaveur : Stacie (Elliot Page) doit pouvoir bénéficier de sa pension après sa mort, comme les conjoints de ses collègues hétéros y auraient droit. Le drame, écrit par le scénariste de Philadelphia, n’a pas toujours convaincu, mais le sujet est raccord avec le profil de son interprète principale qui a défendu le mariage pour tous bien avant sa légalisation aux Etats-Unis en 2015. Sa filmo est jalonnée de cailloux arc-en-ciel et ce n’était pas la première fois qu’elle incarnait la protagoniste d’un couple lesbien. Elle avait partagé la salle de bains d’Annette Bening dans Tout va bien ! The kids are allright, une comédie où deux mères accédaient à la demande de leurs ados de recevoir leur donneur à dîner. Et invitaient l’homoparentalité à la table familiale.

  • 2024 Mary et George -Ne jamais cesser d’intriguer
Julianne Moore dans Mary and George

Soixante-trois ans et toujours très en cour, Julianne Moore se glisse dans les atours d’une figure de l’Angleterre du XVIIème. Issue de la petite noblesse, l’ambitieuse Mary Villiers s’est employée, avec succès, à pousser son second fils à séduire le roi Jacques 1er et à devenir son amant. Remplaçant le comte de Somerset dans le lit du monarque marié à Anne de Danemark, George Villiers (Nicholas Galitzine) devint son favori tout puissant et gravit l’échelle sociale jusqu’au titre de 1er duc de Buckingham, tandis que maman s’octroyait une position d’influence. La fresque de DC Moore devrait renouveler l’intérêt des touristes pour l’abbaye de Westminster où se trouvent les sépultures du duo : George n’avait pas 36 ans lorsqu’il fut assassiné en 1628. Et Mary le suivit dans la tombe en 1632. Moins soucieuse de vérité historique que de mettre en scène le petit théâtre d’une cour désinhibée où le sexe sert autant le plaisir que l’ambition, la fresque charme par son irrévérence et son esthétique picturale, tient en haleine par ses intrigues, et surprend par des scènes de coït audacieuses (dont le scénario a, néanmoins, tort d’abuser). Quant à l’impeccable et implacable Lady Moore, elle tire une fois encore son épingle du jeu et s’offre, à travers le temps, de cultiver un mystère souverain. S.G

À lire aussi : Nicholas Galitzine, le tombeur hétéro qui collectionne les rôles gays

À lire aussi : Cinq séries avec Gillian Anderson aux frontières du queer

Crédit photo : Canal+