Nommée aux Oscars 2024 pour son second rôle dans Insubmersible (Netflix), Jodie Foster, 61 ans, ne choisit pas ses rôles par hasard. Retour sur les moments forts de la carrière de cette icône lesbienne, qui assume sa sexualité et le temps qui passe.
"Ça ne m’intéresse pas tellement de jouer des princesses et des mannequins. J’ai toujours été quelqu’un qui voulait travailler avec des personnages qui ont de vraies vies, de vraies personnes dans le vrai monde." Ces récentes confessions de Jodie Foster lors d'une interview sur France Info ne sont pas une coquetterie. D'ailleurs, celle qu’Hollywood a presque cueillie au berceau n’a pas attendu l’âge adulte pour affirmer sa détermination.
Benjamine de quatre enfants, Alicia voit le jour le 19 novembre 1962 à Los Angeles (Californie). Peu après sa naissance, ses parents divorcent. La nichée sera élevée par leur mère et par la compagne de celle-ci, Joséphine Dominguez, que les gosses appelleront Tante Jo. Evelyn Foster, surnommée Brandy, pousse sa progéniture à passer des castings, mais contrairement aux autres mères d'acteurs de la cité des Anges, elle garde ses distances avec un milieu qu’elle juge superficiel : elle préfère la Nouvelle Vague française, et embarque ses mômes dans les manifs contre la guerre au Vietnam.
Vite repérée, Jodie n’a que 3 ans lorsque sa frimousse apparaît à l’écran pour la première fois, dans une pub pour crème solaire. À l'âge de 9 ans, elle tourne son premier film (Napoléon et Samantha, produit par Disney) aux côtés d’un lion qui se pique… de la saisir dans sa gueule. "Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été dans le métier", déclarera par la suite cette fille bien trop futée pour se faire dévorer par le système.
- 1976 – La révélation d’un phénomène dans Taxi Driver
Des enfants-stars qui démarrent pied au plancher, Hollywood en a vu d’autres, mais combien ont su négocier le tournant de l’adolescence ? Du haut de ses 12 ans, Jodie fait prendre à sa trajectoire un virage à 90 degrés. Elle tanne sa mère pour qu’elle l’autorise à tourner dans le film d’un certain Martin Scorsese, qui l’a déjà dirigée dans Alice n’est plus ici. On peut comprendre les réticences de Brandy : l’élève en blazer-socquettes du lycée français doit incarner une prostituée mineure qu’un chauffeur de taxi torturé (Robert De Niro) tente de sauver du trottoir dans un New York poisseux et violent. Le film implique la présence d’une assistante sociale, mais Jodie a eu du flair. Taxi Driver rafle la Palme d’Or à Cannes, lacère son image de petite star de Disney et lui vaut une première nomination aux Oscars. Il change aussi son regard sur la comédie, qu’elle percevait comme un jeu un peu idiot : "Là, j’ai compris qu’il fallait que je donne plus pour construire mon personnage."
- 1988 – Les Accusés, premier Oscar pour Foster
Pour ce qui est de donner, Jodie ne s’économise pas. Comment oublier le visage dévasté de Sarah Tobias quittant le bar où trois hommes l’ont violée sous les encouragements de certains clients ? À 26 ans, la comédienne crève l’écran dans ce film inspiré par une agression survenue en 1983 dans le Massachusetts, et dans lequel Jonathan Kaplan se livre à un âpre réquisitoire contre la lâcheté et l’impunité des crimes sexuels. Parce qu’elle était éméchée et a agi de manière provocante avec l’assistance masculine, la serveuse se retrouve en position d’accusée lors du procès sensé faire condamner ses agresseurs… Il fallait toute la subtilité et la solidité de Foster pour incarner ce personnage complexe et porter sur ses épaules un drame dont le propos est loin d’être une affaire classée. La perfectionniste a pourtant jugé sa prestation médiocre, et s’imaginait devoir poursuivre ses études à l’université. En la gratifiant d’une statuette dorée dans la catégorie meilleure actrice, l’académie des Oscars en a décidé autrement.
- 1991 – Jodie remet le couvert dans Le Silence des agneaux
Trois ans après son sacre, la presque trentenaire confirme sa propension à marcher en dehors du troupeau en s’invitant au menu d’un thriller flippant. Michelle Pfeiffer ayant décliné le rôle de Clarice Starling, Jonathan Demme s’est laissé convaincre de lui confier ce personnage de brillante recrue du FBI chargée de coincer un tueur en série. Afin de trouver ce Buffalo Bill qui dépèce ses victimes pour changer de peau, l’experte doit convaincre Hannibal Lecter, un autre fou furieux cannibale psychiatre de formation, d’éclairer sa lanterne. Les face-à-face avec l’amateur de chair fraîche (incarné par Anthony Hopkins) enfermé dans une cellule de haute sécurité, et un scénario au scalpel, ont assuré le succès critique et public de cette séance garantie de frissons. Mais une autre dimension a contribué à sa modernité. Filmant son héroïne parmi des flics qui la toisent et font peser sur elle leurs regards condescendants ou libidineux, Demme questionne avant l’heure le male gaze – regard masculin. Malgré sa frêle apparence, Clarice prend l’ascendant sur son environnement masculin et contribue à lézarder la traditionnelle passivité des femmes dans les films d’enquête américains. Face à l’imprévisible Hannibal Lecter, d’autres se seraient fait manger tout cru. Pas Jodie, qui assoit sa réputation de fine lame en raflant un deuxième Oscar de la meilleure actrice.
- 2021 – Avocate de la liberté dans Désigné coupable
Vingt ans après les attaques terroristes contre le World Trade Center, la star prête sa nouvelle chevelure argentée à une figure bien réelle, l’avocate Nancy Hollander, et à son combat contre l’injustice. Face à elle, le Français Tahar Rahim incarne un Mauritanien emprisonné pendant quatorze ans à Guantanamo, sans inculpation ni procès, parce que soupçonné d’avoir participé aux attentats fomentés par Oussama Ben Laden. Torturé, humilié, Mohamedou Ould Salhi doit en partie son salut à cette pénaliste qui s’est battue sans relâche pour obtenir sa libération en 2016. Le film de Kevin Macdonald a séduit une comédienne soucieuse d’inviter l’Amérique à tirer les leçons de ses errances dans le contexte de paranoïa post-11-Septembre. "Nous prenions des décisions, nous déterminions notre politique étrangère internationale en étant mus par la peur au lieu d’appliquer les lois et les règles que nous connaissions", plaide-t-elle. En apprenant que sa performance est primée aux Golden Globes, où elle avait déjà fait son coming out en 2013, la lauréate gratifie son épouse, la photographe Alexandra Hedison, d’un baiser face caméra. Geste pas si banal à Hollywood.
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- 2023 – Insubmersible, nage libre vers un autre Oscar ?
Annette Bening et Jodie Foster crawleront chacune dans leur ligne d’eau durant la 96e cérémonie des Oscars : la première dans la catégorie meilleure actrice, la deuxième dans celle du meilleur second rôle féminin. Héroïnes de ce biopic diffusé sur Netflix, les deux sexagénaires y incarnent respectivement l'athlète Diana Nyad, qui entreprit le pari dingue de relier à la nage Cuba et la Floride sur plus de 160 km sans cage à requin, et sa meilleure amie et coach, Bonnie Stoll, sans laquelle son exploit en 2013 aurait sans doute fait plouf. Ces femmes de caractère, ouvertement lesbiennes et unies par une amitié indéfectible, offrent aux deux interprètes l'occasion d’affirmer qu’on ne boit pas forcément la tasse lorsqu’on assume ses rides à l’écran.
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Crédit photo d'illustration : Netflix