Abo

mondeMariage des homos : la Grèce ringardise à son tour la droite française

Par Nicolas Scheffer le 16/02/2024
La Grèce a légalisé le mariage et l'adoption homo ce 15 février. 2024

Dirigée par un gouvernement conservateur, la Grèce a légalisé ce 15 février 2024 le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels, malgré l'opposition de l'Église chrétienne orthodoxe. Un nouvel exemple que les valeurs familiales ne sont pas contradictoires avec l'égalité et les droits LGBT+, contrairement à ce que la droite française et La Manif pour tous ont tenté de faire croire en France.

"Un tournant pour les droits humains" dans un "pays progressiste et démocratique, passionnément attaché aux valeurs européennes". En Grèce, c'est un Premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, qui a salué le vote, ce jeudi 15 février 2024, de la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Sur les 254 députés présents au parlement (monocaméral à Athènes), 176 ont voté pour, 76 contre et deux se sont abstenus, à l'issue de deux jours d'un débat parfois houleux.

À lire aussi : Les pays qui ont légalisé le mariage pour tous

La Grèce devient ainsi le 37e pays au monde et le 16e de l'Union européenne à permettre aux couples homos de se marier. C'est aussi le premier pays chrétien orthodoxe à l'autoriser, malgré la forte influence de l'Église orthodoxe qui s'est farouchement opposée à la réforme. "Les enfants ont un besoin inné et donc le droit de grandir avec un père de sexe masculin et une mère de sexe féminin", clame en effet le Saint-Synode, qui avait adressé une missive en ce sens à tous les députés.

David Cameron et les valeurs du mariage

Ce n'est pas la première fois, en Europe ou dans le monde, que la droite se fait l'avocate de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels. Au Royaume-Uni, c'est ainsi sous le gouvernement de David Cameron que l'adoption du mariage pour tous s'est faite calmement, en 2013, en Angleterre et au Pays de Galles (l'Écosse suivra en 2014, l'Irlande du Nord en 2020), avec une majorité pléthorique de 366 voix contre 166. Argument du Premier ministre conservateur de l'époque, qu'il exposait selon ses mots avec "la ferveur des convertis" : le mariage pour tous est parfaitement compatible avec les valeurs familiales.

"Je suis un partisan convaincu du mariage, et je ne veux pas que les homosexuels soient exclus de cette grande institution", déclare ainsi David Cameron en décembre 2012, pendant que La Manif pour tous et la droite française déchirent la France sur le même sujet. À ceux de son camp qui l'accusent de n'être donc pas un vrai conservateur, il rétorque : "Je ne soutiens pas le mariage gay bien que je sois conservateur, je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur."

À lire aussi : Dix ans après La Manif pour tous, les petits Barjot de sœur Frigide…

Dix ans plus tard, David Cameron est revenu dans The Independant sur ce débat, expliquant : "Ils [les homos] voulaient s'engager l'un pour l'autre de la même manière que les couples hétérosexuels. C'était important pour eux et cela devait l'être pour nous en tant que société. (…) C'est après des débats longs et difficiles avec mes collègues, mes amis et ma femme, Samantha, que j'ai eu la conviction que refuser aux couples gays la possibilité de se marier leur donnait l'impression que leur amour l'un pour l'autre comptait moins que celui des couples hétéros."

"Barack, pourquoi tu ne parviens pas à faire ce que fait ce conservateur en Angleterre ?"

Dans la facilité britannique à adopter cette réforme, certains ont vu l'influence de la culture protestante, en regard de la culture catholique en France. Dans Le Monde, l'historien Francis Mikus y lit plutôt l'aboutissement d'une société qui encourageait l'homoparentalité depuis les années 1980. "Des collectivités très peuplées, telles que Londres et Manchester, sont devenues, à la fin du XXe siècle, de véritables laboratoires pour l’homoparentalité, banalisant à travers des placements et, plus rarement à l’époque, des adoptions plénières, une autre façon de « faire famille ». C’est cette pratique discrète mais plus ancienne qui a contribué à normaliser l’homoparentalité en Grande-Bretagne", souligne l'historien.

Quoi qu'il en soit, deux mois avant de quitter le pouvoir en juillet 2016, David Cameron livre cette anecdote au média Pinknews : "À une époque où nous avions passé le mariage pour tous mais pas les États-Unis, j'étais à un bal à la Maison-Blanche avec mon bon ami le président Obama, et j'appréciais énormément de voir tous ces collecteurs de fonds et ces gros bonnets démocrates qui allaient voir Obama et lui disaient : « Barack, pourquoi tu ne parviens pas à faire ce que fait ce conservateur en Angleterre ? »"

La manœuvre politique d'Angela Merkel

En Allemagne, le mariage pour tous adopté en 2017 est l'aboutissement d'un paradoxe : la chancelière de droite de l'époque, Angela Merkel, a été une opposante à la réforme, et pourtant le texte n'aurait pas pu aboutir sans elle. C'est qu'en juin 2017, la chancelière est en pleine campagne électorale, or la gauche conditionne à une loi sur ce sujet sa participation à une future coalition gouvernementale.

Face au risque de fracturation de sa coalition, Angela Merkel souhaite faire du mariage pour tous une question non pas partisane mais "fondamentalement individuelle". Lors d'un débat organisé par le magazine Brigitte, elle se dit "ouverte à une discussion qui aille dans le sens d’une prise de décision en conscience plutôt qu’en essayant de la faire passer en s’appuyant sur une majorité". Avec ces mots choisis, et pour ne pas abîmer sa campagne par son opposition à une réforme populaire, la dirigeante propose que le débat soit tranché avant la fin du mandat en cours des parlementaires, soit… quatre jours plus tard. En à peine 38 heures de débat, les parlementaires aboutissent à un vote favorable au mariage pour tous, par 393 voix contre 226.

À titre personnel, Angela Merkel se dit finalement favorable à l'adoption par les couples homosexuels, mais reste opposée à leur mariage. "Vous vous souvenez qu’en 2013 je m’étais prononcée contre le droit à l’adoption pour les couples homosexuels. Depuis, j’ai beaucoup réfléchi à la question du bien de l’enfant, et j’ai finalement changé d’avis. Maintenant, je pense que l’adoption doit être possible pour les personnes de même sexe. Mais concernant le mariage, je continue de penser que c’est l’union d’un homme et d’une femme. Voilà pourquoi j’ai voté non", explique-t-elle à l'issue du vote.

En Australie, la droite référendum

En Australie, le mariage était explicitement interdit aux couples homosexuels depuis qu'en 2004, le gouvernement conservateur de John Howard avait amendé l'Australian Marriage Act de 1961 pour figer le mariage comme l'union exclusive d'un homme et d'une femme. Douze ans plus tard, changement de paradigme : le gouvernement conservateur se montre prêt à adopter le mariage pour tous, mais seulement après un plébiscite en sa faveur.

Dans la lignée du Britannique David Cameron, le Premier ministre Malcolm Turnbull développe : "De nombreuses personnes vont voter « oui » – comme je m’apprête à le faire – parce qu’ils croient que le droit au mariage est un idéal conservateur tout autant que n’importe quel autre principe conservateur. Je crois profondément que les familles sont le socle de notre société et que nous serions une société plus forte avec plus de personnes mariées et moins de divorces. Lorsque des amis me posent des questions sur la vie conjugale, j’encourage les célibataires à se marier, les mariés à rester ensemble, les négligents à renouveler leurs vœux et les lésés à pardonner."

Fin 2016, Malcolm Turnbull propose donc un referendum contraignant sur la question. Mais pour que le vote ait lieu, il a besoin du soutien de l'opposition travailliste (gauche), qui le lui refuse. Un sondage Gallup estime pourtant que 61% des Australiens sont alors favorables au mariage pour tous. "Pourquoi un couple engagé dans une relation devrait-il avoir besoin de frapper à la porte de quinze millions de ses compatriotes pour obtenir leur assentiment ?" plaide toutefois le chef des travaillistes, Bill Shorten, craignant que l'organisation d'un référendum n'ouvre, comme ce fut le cas en France trois ans plus tôt, une campagne d'opposition homophobe. Finalement, le gouvernement organise en 2017 un vote par voie postale qui, n'ayant pas de valeur contraignante pour le pouvoir, ne nécessite pas l'aval des travaillistes. À la question : "La loi doit-elle être amendée afin d'autoriser les couples de même sexe à se marier ?" quelque 61,6% des 12 millions de votants répondent "oui". Une proposition de loi transpartisane est déposée dans la foulée, et votée par le Parlement à l'unanimité moins quatre voix.

"Une grave inégalité" levée en Grèce

La Grèce disposait quant à elle, depuis 2015, d'un contrat d'union civile ouvert aux homos, mais qui n'offre – comme le Pacs – pas les mêmes garanties que le mariage. En particulier concernant la parentalité, car jusqu'à présent seul le parent biologique disposait de droits sur l'enfant. En cas de décès, l'État retire donc la garde à l'autre parent ; en outre, les enfants de deux pères ne peuvent pas obtenir de papiers d'identité, le nom d'une mère étant obligatoire à l'état civil.

C'est notamment la nécessité de mettre un terme à ces situations ubuesques concernant l'homoparentalité qui a décidé le Premier ministre, confortablement réélu en 2023, à faire de cette réforme un marqueur de son second mandat. Le mariage pour tous "améliore considérablement la vie de nos concitoyens" homosexuels et de leurs enfants, a-t-il argué, rappelant qu'il s'agissait là d'"une réalité sociale existante" et qu'en votant pour, les députés allaient lever "une grave inégalité pour [la] démocratie". Kyriakos Mitsotakis a fait face à la rébellion de l'aile la plus conservatrice de son parti, Nouvelle-Démocratie (ND), opposée à cette réforme. Dimanche dernier, Niki, le parti grec d'extrême droite proche de la Russie, a également mobilisé devant le Parlement 4.000 manifestants avec des icônes de la Vierge et des croix chrétiennes. Quant à l’opposition de gauche, elle a voté pour la réforme sauf les communistes, qui l'ont refusée en invoquant "la fonction complémentaire de l'homme et de la femme dans le processus de procréation"… Au bout du compte, si la GPA la PMA restent interdites aux couples de même sexe, l'égalité est désormais acquise pour le mariage.

À lire aussi : Familles homoparentales : entre PMA et GPA, la reconnaissance à deux vitesses de l'Europe

Crédit photo : Aris Oikonomou / SOOC via AFP