[Dossier spécial JO à retrouver dans le magazine têtu· de l'été, disponible en kiosques, ou sur abonnement] Le lobby réac, soudain converti au féminisme, a trouvé dans les sportives trans sa nouvelle cible. Alors que les études scientifiques démentent tout avantage déloyal, les fédérations sportives multiplient les exclusions. À l'heure où s'apprêtent à démarrer les Jeux olympiques de Paris 2024, le sport de haut niveau doit continuer à réfléchir à une réelle inclusion LGBT+.
"Depuis deux ans et demi, la Fédération française d’athlétisme (FFA) bloque mon accès aux compétitions, s’insurge l’athlète Halba Diouf. Je n’ai le droit de concourir qu’au niveau départemental.” La jeune femme trans de 22 ans vient de saisir la justice contre le président de la fédération, André Giraud, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, ainsi que plusieurs membres de son club d’athlétisme, pour harcèlement moral et discrimination basée sur l’identité de genre. Car à la FFA et dans d’autres fédérations sportives et compétitions, les femmes trans sont exclues, suspectées d’être “fatalement” plus fortes et plus rapides que les autres participantes. Pour espérer convaincre le tribunal, Halba Diouf a dû demander à son endocrinologue de rédiger un dossier de plus de 300 pages démontrant son absence d’avantages sur ses concurrentes cisgenres.
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La décision de la FFA est rendue possible par le changement en 2021 de la politique du Comité international olympique (CIO) concernant les critères d’inclusion des personnes trans. Auparavant, les règles étaient injustes, mais claires : les athlètes transféminines devaient être soumises à des tests réguliers de leur taux de testostérone et prouver, un an avant toute compétition, que celui-ci ne dépassait pas un seuil déterminé. Avec le nouveau “Cadre pour l’équité, l’inclusion et la non-discrimination sur la base de l’identité sexuelle et de l’intersexuation”, on aurait pu croire à une avancée : “Aucun athlète ne doit être empêché de participer à une compétition ou exclu sur la seule base d’un avantage compétitif non vérifié, allégué ou perçu comme déloyal en raison de son intersexuation, de son apparence physique et/ou de sa transidentité”, y est-il écrit.
Des exclusions sans bases scientifiques
Là où le bât blesse, c’est que le CIO a abandonné aux instances de chaque sport la capacité de définir ce qu’elles considéreraient comme “avantage déloyal”. Depuis, la Fédération internationale de rugby a interdit en 2021 aux femmes trans de concourir en catégorie “féminine”, et celle de voile vient d’annoncer qu’à partir de 2025 seules celles ayant transitionné à l’adolescence et démontrant un taux de testostérone bas pourront le faire. Du côté des fédérations nationales, c’est la jungle : par exemple, le rugby français accepte les joueuses trans dans leur catégorie. Contacté par têtu·, le CIO invoque “un contexte très difficile avec beaucoup de politisation du sujet” et des “pressions de la part de groupes qui veulent pousser à prendre des décisions dans un sens ou dans l’autre”. Une politique de non-intervention, en somme : “Le CIO se déresponsabilise et ne s’est jusqu’ici jamais exprimé sur l’absence de prise en compte des principes de son 'Cadre' par les fédérations internationales”, observe Anaïs Bohuon, socio-historienne du sport à l’université Paris-Saclay.
Reconnaissons néanmoins au CIO d’avoir financé une étude publiée récemment dans le British Journal of Sports Medicine. Résultat : “Les femmes trans ne sont pas des hommes biologiques”, a résumé Yannis Pitsiladis, son coauteur, au New York Times. Les femmes trans ne bénéficient selon ses travaux d’aucun avantage, car si certaines ont une force de préhension supérieure aux femmes cis, elle est contrebalancée par de moins bonnes performances en saut et en capacité respiratoire.
“Les données disponibles indiquent que les femmes transgenres ayant suivi un traitement de suppression de testostérone ne profitent d’aucun avantage biologique net sur les femmes cisgenres dans le sport d’élite”, confirmait déjà en 2022 un consortium de scientifiques membres du Centre canadien pour l’éthique dans le sport, dans un état des connaissances agrégeant une cinquantaine d’études publiées entre 2011 et 2021. On y apprend que l’écart dans le taux de globules rouges relevé avant la transition “disparaît dans les quatre premiers mois” après le début du traitement, “ce qui laisse supposer une diminution rapide de la performance athlétique, en particulier dans les sports d’endurance”. Douze mois après le début du traitement, “la masse maigre et la force des femmes transgenres diminuent considérablement”, jusqu’à faire perdre aux femmes trans “tout avantage de performance”.
Les vrais défis du sport pro
La focalisation sur les athlètes trans empêche par ailleurs de se pencher sur les réels défis auxquels sont confrontées les femmes dans le sport pro : “La difficulté de trouver des sponsors, de jouir d’un matériel adapté, d’être correctement médiatisées, de bénéficier d’entraînements d’aussi bonne qualité que ceux des hommes”, liste Anaïs Bohuon. Le créateur des Jeux olympiques modernes, le Français Pierre de Coubertin, s’était même opposé à la participation des femmes… “Le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été : elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable”, écrivait-il en 1901.
Malgré lui, des femmes vont conquérir peu à peu leur place dans le sport de haut niveau : “Dans les années 1930, leurs participations vont entraîner des paniques morales, rappelle la socio-historienne. Certains veulent impérativement s’assurer qu’il s’agit de femmes 'authentiques', car elles apparaissent très puissantes, musculeuses. Alors que c’est simplement la pratique sportive intensive qui change les corps des femmes, comme c’est le cas pour les hommes.” Les sportives qui sortent de la norme ont toujours été accusées de ne pas être de “vraies femmes”.
Pour Ava Vales Toledano, militante de l’association Toutes des femmes et membre du comité d’experts sur la transidentité dans le sport de haut niveau, initié par le ministère des Sports en novembre 2023, toutes ces polémiques ne relèvent pas d’un “réel intérêt pour les droits des femmes”. “C’est plus simple de laisser croire aux athlètes que les femmes trans sont un danger pour elles, plutôt que de travailler sur une réglementation réellement inclusive qui devra être défendue face aux conservateurs”, note cette ancienne championne d’Europe de kayak extrême, bannie des compétitions mondiales en raison de sa transidentité. Alors que le grand public connaît mal les effets d’une transition hormonale sur les performances, les arguments transphobes gagnent facilement en audience. Mais la réalité du terrain est bien différente… En France, une seule femme trans a remporté une compétition nationale féminine : Eléna Rouquette, championne de France de quilles en huit.
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