Jeux olympiquesTony Estanguet : "Le sport doit vraiment porter un message d'acceptation"

Par Antoine Allart le 17/07/2024
Tony Estanguet, président du comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Le président du comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Tony Estanguet, répond aux questions de têtu· sur l'inclusion des athlètes LGBT+ dans le sport et nous livre notamment son point de vue sur la place accordée aux athlètes trans.

Tony Estanguet a l'habitude de ramer seul. Comme président du comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, le spécialiste du canoë monoplace slalom, triple champion du monde et triple champion olympique – Sydney en 2000, Athènes en 2004 et Londres en 2012 – a dû apprendre à pagayer en collectif, avec derrière lui plusieurs milliers de salariés et des dizaines de milliers de volontaires. À moins de dix jours de la cérémonie d'ouverture des JO, le 26 juillet, sa baignade dans la Seine ce mercredi avec la maire de Paris, Anne Hidalgo, vient couronner plus de sept ans d'efforts, depuis que la capitale a été désignée en 2017 ville hôte des Jeux d'été 2024. Entretien.

  • Les Jeux olympiques (JO) de Paris se rapprochent à grand pas. Vous avez connu cette attente en tant qu'athlète, et aujourd'hui c'est en tant qu'organisateur : qu'est-ce qui est le plus stressant ? 

Tony Estanguet : Je retrouve des similitudes avec ce que je pouvais ressentir quand j'étais athlète : la dernière ligne droite est toujours particulièrement stressante. Mais cette adrénaline est très intéressante, et je m'appuie beaucoup sur ce que j'ai vécu quand j'étais athlète. Pour réussir dans le sport de haut niveau, il faut voir les choses en grand et être très ambitieux. Là c'est un peu pareil, c'est-à-dire qu'on a voulu être très ambitieux, avec des Jeux qui vont être inédits sur beaucoup d'aspects. Notre ambition nous oblige à être très bons donc forcément, la pression monte !

  • Vous avez participé quatre fois aux Jeux olympiques, quel est votre meilleur souvenir ?

Mes premiers Jeux, ceux de Sydney en 2000, je pense. C'était mon rêve qui se réalisait. En plus je suis reparti avec une médaille d'or. Tout était réuni pour que ce soit magique. Ma dernière victoire, aux Jeux de Londres en 2012, a aussi été une consécration.

  • Vous êtes né dans les Pyrénées, à Pau, et vous y avez grandi. Partir aux quatre coins du monde pour pratiquer votre sport, et pour les Jeux, c'est une expérience qui forge l'ouverture d'esprit ?

Le sport m'a ouvert sur le monde et sur sa diversité, et a façonné ma curiosité et ma tolérance. En participant aux Jeux, j'ai pu découvrir combien c'était un vecteur de découverte, d'inclusion et de diversité. Je suis très reconnaissant de ce que le sport m'a apporté au-delà des médailles. L'humain est au cœur de mon expérience.

  • Que pensez-vous de l'inclusion des athlètes LGBTQI+ ?

Quand on fait du sport, on oublie la différence, le sport doit donc vraiment porter ce message d'acceptation. On est parti de loin, cela a été un sujet très tabou pendant longtemps, et on n'est pas encore au bout de ce combat. C'est évident que certains athlètes ne sont pas suffisamment à l'aise pour faire leur coming out, mais j'ai l’impression que ça va mieux, qu'on en parle un peu plus, et que potentiellement on se moque un peu de savoir quelle est l'orientation sexuelle de chacun. Il faut se battre pour l'inclusion des athlètes LGBTQI+, occuper le terrain, ne pas reculer et ne pas hésiter à sanctionner quand il le faut.

À lire aussi : Coming out dans le sport : les athlètes LGBT, toujours pionniers

  • Qu'avez-vous mis en place en ce sens pour les JO 2024 ?

On a mis en place des formations pour nos 4.000 salariés ainsi que nos 45.000 volontaires. On a aussi mené un vrai travail auprès des représentants des 205 pays qu'on va accueillir. On leur explique que pour nous, ces questions de respect et d'inclusion sont très importantes. Nous n'avons pas rencontré de résistances particulières, mais tout le monde n'a pas le même regard sur ces questions-là. On a aussi mis en place la Maison des Fiertés, à la péniche Rosa Bonheur et au Club France à La Villette, pour que la communauté LGBTQI+ ait des lieux de célébration de ses fiertés.

  • Plusieurs personnalités de la communauté LGBTQI+ ont participé au relais de la flamme olympique, comme Nicky Doll à Arles, mais aussi une ancienne athlète que vous connaissez bien, Sandra Forgues, championne olympique de canoé-kayak aux JO d'Atlanta (1996), avant sa transition. Qu'avez-vous ressenti en la voyant porter la flamme ?

Je l'ai regardée porter la flamme avec beaucoup d'émotion. On a fait une partie de notre carrière ensemble ! C'est quelqu'un qui a été une force d'inspiration pour moi car je suis entré en équipe de France en 1997, au lendemain des Jeux d'Atlanta où elle avait gagné une médaille d'or. Elle a fait partie de ceux qui m'ont accueilli et qui m'ont permis de grandir et d'aller chercher un titre à Sydney. J'ai suivi la transition de Sandra avec beaucoup de respect. 

  • Vous avez discuté avec elle de l'inclusion des athlètes transgenres, et de pourquoi celle-ci pose encore tant problème dans le sport de haut niveau ?

Je dirais plutôt qu'elle m'a donné un cours ! Je voulais écouter sa vision des choses, mieux comprendre ce sujet et voir comment, à mon niveau, je pouvais participer à faire bouger les choses. Même si je ne suis pas décisionnaire sur cette question pour les Jeux de Paris, j'ai des interactions avec les présidents des fédérations internationales, et je peux leur faire passer le message.

À lire aussi : L'inclusion dans le sport, une épreuve de plus pour les athlètes trans

  • L'intégration des personnes trans se passe mieux dans le sport amateur. Sandra Forgues a déclaré un jour que c'est seulement quand des athlètes trans gagnent des compétitions de haut niveau qu'un problème se pose. Vous partagez ce constat ?

Je pense, en effet, que dans ces moments-là, le sacro-saint principe de l'équité dans le sport est bousculé. Certains commencent alors à remettre en cause la victoire, en disant que la personne a gagné à cause d'un avantage, et non simplement parce qu'elle est plus forte que les autres. Mais je suis persuadé que c'est aussi grâce à ces athlètes trans qui gagnent qu'on va évoluer, car leur voix va porter. Or je pense que les résistances dénotent surtout une incompréhension du sujet, donc il faut donner la parole aux athlètes trans. 

  • Pensez-vous que le sport soit un facteur de progrès des mentalités ?

Je pense que l'ouverture d'esprit et la tolérance font partie de l'ADN du sport. Le sport et la culture sont quand même les moments les plus forts pour réunir des gens qui ne se connaissaient pas, et ce sont les meilleures réponses à celles et ceux qui pourraient penser qu'en se refermant sur nous-mêmes, on serait plus forts. Mais rien n'est acquis car le sport repose sur ceux qui décident de ses règles, sur ceux qui le dirigent, donc il faut faire attention et faire en sorte que la société continue à prôner ces valeurs-là.

  • Le président de la République a donné un objectif d'au moins 50 médailles à remporter pour la France. Vous le partagez ? 

Oui, c'est ambitieux car il faut presque doubler le nombre de médailles par rapport à la dernière édition (33 à Tokyo). Mais c'est bien d'avoir de tels objectifs, ça motive. Et puis on sera à domicile, avec tout un pays derrière nous !

  • La maire de Paris, Anne Hidalgo, a pointé du doigt les Français qui ne manquent pas une occasion de critiquer les JO, les qualifiant de “peine-à-jouir”, ça vous a pesé aussi ?

Elle a raison, c'est vrai qu’on entend une petite musique de fond critique. Mais il faut se concentrer sur la majorité, silencieuse, qui a envie que ces Jeux soient une réussite. L'arrivée de la flamme dans le pays a vraiment changé les choses, on a pu mesurer l'engouement des gens. Pour nous, c’est un vrai boost dans la dernière ligne droite. On sent que les Français ont hâte de vivre ces Jeux, et on doit être au rendez-vous.

À lire aussi : "Plus de tabou ni de honte" : Antoine Dupont en une de têtu· contre l'homophobie

Crédit photo : Paris 2024

Jeux olympiques | sport | inclusion | interview