L'Américaine Dorothy Allison, écrivaine prolo et lesbienne à la sexualité dissidente, est morte à l'âge de 75 ans le mercredi 6 novembre.
Lesbienne, trash, radicale, pro-sexe, rebelle et grande gueule, Dorothy Allison nous a quittés le 6 novembre. L'autrice américaine, qui souffrait depuis quelques années de problème de santé, est décédée à l'âge de 75 ans dans sa maison californienne, a confirmé son agente auprès de Libération.
Dorothy Allison naît le 11 avril 1949 à Greenville, en Caroline du Sud, l'un des États les plus défavorisés des États-Unis. L'ensemble de son œuvre puise dans son vécu au sein d'une famille de l'Amérique profonde, précaire et rurale. On y croise une frange de la population confrontée à la violence sociale, à la misère, au mépris et encline au conservatisme qu'elle décrit dans son recueil de récits Trash, "une histoire états-unienne très ordinaire" (éditée en France chez Cambourakis). Sa plume, incisive et irrévérencieuse, au style justement "white trash" assumé, prend le contre-pied de ce qui se fait dans la littérature, dominée par des hommes blancs, aisés et intellectuels.
La colère comme moteur
Dans son pays d'origine, l'écrivaine se fait connaître grâce à ses romans, L'Histoire de Bone et Retour à Cayro. La romancière se met d'emblée à nu, puisque L'Histoire de Bone est largement autobiographique. On y découvre une gamine tiraillée entre son amour pour sa mère et sa haine pour son beau-père, qui la viole durant toute son enfance. Dorothy Allison voit l'écriture comme un exutoire, une démarche salvatrice pour apaiser ses traumas. Outre son récit éminemment personnel, elle devient le porte-voix de la violence systémique des familles de Caroline du Sud. Cette histoire poignante lui vaut d'être finaliste du National Book Award en 1992.
L'autrice ne parvient pas à se départir de sa colère, moteur notamment de Trash, en 1988. "J'étais parfois tellement en colère que j'écrivais pour réfréner ma propre rage", peut-on y lire. On y retrouve des thèmes qu'elle développera plus tard : la misère sociale, sa relation avec les femmes de sa famille, la violence de son beau-père et l'inceste qu'il lui fait subir, la sexualité ainsi que la période des Feminist Sex Wars, une guerre d'idées qui opposa les féministes anti-porno et celles pro-sexe à partir de la fin des années 1970.
Elle explore plus spécifiquement l'histoire des femmes de sa famille dans l'ouvrage Deux ou trois choses dont je suis sûre, sorti en 1995. Elle y dénonce la misogynie ambiante en Caroline du Sud qui les épuise et les use jusqu'à la corde, et questionne son statut en tant que première femme de la famille à aller à l'université et la conscience de classe qu'elle a développée alors.
Sexualité dissidente
Pour comprendre son rapport à l'écriture et à ses diverses identités, c'est vers Peau : à propos de sexe, de classe et de littérature, paru en 1994, qu'il faut se tourner. Dans ce recueil d'essais, Dorothy Allison s'interroge sur sa place dans la littérature en tant que gouine white trash. On y lit aussi en filigrane l'histoire du mouvement lesbien des années 1970-1980. À l'époque, elle édite des fanzines lesbiens, est à la tête d'une librairie féministe, dirige une banque féministe de crédit, vit parmi des communautés de femmes et crée même la Lesbian Sex Mafia, qui réunit des gouines branchées BDSM.
Dorothy Allison est aussi (surtout) une figure de proue des Feminist Sex Wars. Le 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, les éditions Hystériques et associées éditent pour la première fois en France le tout premier livre de l'écrivaine : Les Femmes qui me détestent. Le recueil de poèmes, publié aux États-Unis en 1983, témoigne déjà de son esprit rebelle, de son goût pour une langue crue et empreinte de sensations. Sa passion pour les femmes y est déjà bien présente. Elle décrit une sexualité dissidente, à la marge, qui bouscule les codes de la bien-pensance puisque construite en dehors de l'hétéronormativité. Au-delà, elle met en avant une sexualité hard, violente, déviante. En 1982, elle participe au colloque de Barnard College sur la sexualité, où des féministes anti-pornographie l'accusent d’être une "terroriste antiféministe". À ses détractrices, Les Femmes qui me détestent apporte une réponse cinglante et poétique.
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Crédit photo : Ulf Andersen / Aurimages via AFP