exposition"Disco, I'm coming out" : "Le disco, c’est la bande-son de l’émancipation"

Par Franck Finance-Madureira le 19/02/2025
Expo "Disco" à la Philarmonie de Paris

Sortez les tenues pailletées et faites tourner les boules à facettes, la Philharmonie de Paris nous plonge dans les années disco, ce courant musical libérateur à la croisée des luttes minoritaires des années 1970. Le journaliste Patrick Thévenin est conseiller scientifique de l'exposition. Suivons le guide !

Dès l’entrée, l’effet machine à remonter le temps fonctionne à plein. L'exposition Disco, I’m coming out, qui se tient jusqu’au 17 août à la Philharmonie de Paris, s'ouvre avec la section "Let’s groove", qui retrace les origines du disco dans la scène clubbing noire immortalisée par le photographe de Chicago Michael Abramson. "C’est l’envie de danser qu’on voit sur ces photos, explique Patrick Thévenin, conseiller scientifique de l'expo. Il n’y a pas encore beaucoup de mixité mais ce besoin de danser se fait ressentir en même temps qu'on traverse la crise économique. Le centre de New York est en ruines, les propriétaires préfèrent souvent mettre le feu à leurs locaux pour toucher l’assurance. On comprend mieux l’envie de briller qui accompagne l’émergence du disco. C'est une forme de résilience."

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C'est à New York également que naît la notion même de club, avec la création du Loft du DJ David Mancuso, dont on peut visiter une réplique. Une culture commune se met en place avec les premiers tubes disco et leurs textes queers, féministes et militants. "Les paroles de chansons peuvent paraître un peu faciles, mais il y a toujours des sous-textes. Ainsi 'Ring my bell' d'Anita Ward, ce n'est pas actionne ma sonnette, mais fais sonner mon clitoris ! Et 'In the Navy' des Village People, c'est allons dans la marine parce qu'il y a plein de jolis mecs et qu’on va se doucher ensemble ! Quant à Donna Summer, quand elle chante 'I Feel Love', elle demande à son amant de la faire jouir, et pas qu’une fois !" énumère Patrick Thévenin.

S'ensuivent un hommage au pionnier Barry White, au synthé mythique de Giorgio Moroder (compositeur d'"I Feel Love"), à la guitare de Nile Rodgers ("Le Freak")… La profusion de pochettes de disques et de tenues de scène plus brillantes les unes que les autres, comme la fameuse combi de Sheila période "Spacer", font tourner les têtes, comme les néons du Studio 54 et du Paradise Garage. Ces discothèques, endroits de mixité sociale, raciale et sexuelle deviennent mythiques, objets de tous les désirs. Du VIP au prolo, tout le monde peut devenir la star d’un soir, briller de mille feux.

Le disco à tout prix

"Les gens devenaient fous, retrace Thévenin, et parfois changeaient 3 ou 4 fois de tenue dans la même soirée pour essayer de passer l’obstacle de la porte. Un type est un jour arrivé en ambulance, s’est fait transporter sur une civière, et quand il est arrivé au milieu de la piste, il a enlevé sa blouse pour découvrir son habit de lumière et danser sur sa civière ! Un autre a essayé d'entrer par les tuyaux d'aération et on va le retrouver tout sec, deux semaines après, il ne sera jamais arrivé sur le dancefloor…"

Contrairement aux clubs privés en appartement, où il faut montrer patte blanche, ces lieux permettent un brassage inédit et une créativité esthétique qui s’applique à chaque détail : affiches, flyers écrits à la main, cartes de membres et tickets conso comme ceux dessinés par l'artiste Andy Warhol pour le Studio 54. Le pop art accompagne de près cette culture naissante, comme ce tableau étonnant signé Richard Bernstein, l’un des graphistes majeurs de la revue Interview créée par Warhol, qui représente les premières ampoules de poppers. "À la base, rappelle Patrick Thévenin, c’étaient des ampoules contre l’angine de poitrine, tu les cassais, ça faisait 'pop' !"

Expo "Disco" à la Philarmonie de Paris
Bill Bernstein PARADISE GARAGE_1979

Des clubs et des combats

Ces clubs ressemblent à des manifestations festives qui mélangent les combats et les communautés. On y trouve donc des gays, des Noirs, des femmes et des étudiants qui militent contre la guerre, pour les droits civiques et la libération homosexuelle. Patrick Thévenin pointe des photos du doigt : "Ici le Gay Liberation Front, là les manifs contre la guerre du Vietnam, puisqu'on est encore dans l’héritage des mouvements hippies, avec comme transition la première Pride, le Christopher Street Gay Liberation Day, qui dès 1970 fait suite à Stonewall. Le disco, c’est la bande-son de l’émancipation." Et puis, il y a ce morceau de tissu mythique, le tout premier rainbow flag créé et cousu par Gilbert Becker, un ami du militant élu et assassiné à San Francisco Harvey Milk. "C’est la version originale, affirme notre guide. Il y avait 8 bandes, il n'y en a plus que 6, et les couleurs ont changé. Ça, c'est vraiment exceptionnel, il n'a jamais été montré en France."

Au son du mix concocté par le DJ Dimitri from Paris, et qui reprend tous les grands classiques mille fois fredonnés, on (re)découvre le travail de nombreux artistes queers, comme le graphiste Keith Haring, le peintre Barkley L. Hendricks, les photographes Meryl Manslow et Tom Bianchi qui ont accompagné cette période. D'autres, plus contemporains, sont également présents, tel Pacifico Silano, qui travaille sur la persistance sociétale de ces années de fêtes, de danse et de combats qui donneront naissance à des icônes comme Divine, Grace Jones ou Sylvester.

Expo "Disco" à la Philarmonie de Paris
Meryl Meisler_Studio 54_NYC_1977.

La France n’est pas en reste, notamment grâce à l’évocation des folles soirées du Palace où se côtoyaient les bandes d'Yves Saint-Laurent et de Karl Lagerfeld, le gotha politique et les branchés parisiens. "Là, se souvient Patrick Thévenin, on est vraiment dans la mondialisation, dans l'explosion du disco qui est partout. Le Palace à Paris, comme le 54 à New York, c’est un lieu qui joue de la théâtralisation de ses soirées. Là, ce sont des photomatons de tous les habitués du Palace, c'est une œuvre que Pierre et Gilles ont faite spécialement pour l'expo."

La Demolition Night

Mais à la fin des années 70, le disco vit une forme de retour de bâton, et la Demolition Night – événement organisé en 1979 par un DJ de radio rock dans le stade de Chicago à la mi-temps d’un match de base-ball – aurait pu devenir un coup d’arrêt définitif, comme le raconte Patrick Thévenin : "Ce DJ, Steve Dahl, lance le mouvement 'Disco sucks' et propose une réduction à ceux qui viendront à ce match avec des disques de disco à brûler… Il s'agit de personnes racistes, qui ont peur et trouvent que cette musique atteint leur virilité. Ils pensent qu'elle peut les transformer en femmes ou en gays. Cela va dégénérer en émeutes, et la police va devoir intervenir. Dès le lendemain, le disco est un peu pestiféré. Les grandes majors finissent par parler de boogie, pour ne choquer personne."

Même pas mort ! Depuis les années 1980, le disco renoue avec ses racines underground et continue à infuser la musique en club. Il donnera naissance à des courants musicaux comme la high energy (ou Hi-NRG) et la house music ainsi qu’aux premiers balls de voguing. Sans cesse réinterprété, ce courant musical aux racines fondamentalement politiques et queers traverse les époques et continue de séduire les artistes et les foules. Autant dire que le dernier jour du disco n'est pas arrivé !

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Crédit photo d'illustration : Meryl Meisler, Monster Cherry Grove, Fire Island

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